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13 Reasons Why : l’effet papillon du harcèlement [THÉORIE]

Last updated on 2 mai 2023

« C’est l’effet papillon petites causes, grandes conséquences, pourtant jolie comme expression, petites choses dégâts immenses » comme le chantait Bénabar. Aujourd’hui, on vous révèle comment l’orage s’est levé sur les personnages de la série 13 Reasons Why ! On vous parle des conséquences du harcèlement dans 13 Resasons Why.

Parce nous allons aborder des sujets tristes et mornes aujourd’hui, je vous propose de commencer cet article par cette magnifique image d’un petit chaton sur une licorne.

cette photo présente un chaton sur une peluche licorne
Source : Internet

Sortez le chocolat chaud, les Disneys, vos mouchoirs et votre couette : nous allons évoquer le traitement des conséquences affectives et psychologiques du harcèlement dans la série 13 reasons why. En mettant en lumière les mécanismes à l’œuvre dans le harcèlement, 13 Reasons Why nous rappelle à quel point nous sommes tous appelés à être à la fois des coupables et des victimes, des héros et des vilains. Plus que beaucoup d’autres, cette série montre que nous avons en nous le potentiel d’agir avec bravoure et courage. Ou d’exploiter notre cupidité et notre égoïsme. Elle nous confronte aux choix que nous avons dû faire, à ceux que nous aurions dû faire, à ceux que nous devrons faire. Un mauvais choix, aussi insignifiant soit-il, peut avoir des conséquences cataclysmiques dans la vie d’une autre personne.

Un choix, un acte, une parole, et vous pouvez détruire toute une vie.

C’est ce qui s’appelle l’effet papillon. Selon cette loi, le battement d’aile d’un papillon peut déclencher une tempête à l’autre bout de l’orbe terrestre. L’effet papillon, c’est ce que vit Hannah au quotidien. C’est ce que vivent des milliers d’autres personnes dont la vie bascule tout à coup, à partir de gestes, de paroles, de mauvais choix, qui pourraient être anodins, mais qui ne le sont pas. En cela, 13 reasons why évoque avec brio les conséquences du harcèlement. A travers cette image d’un papillon dont le battement d’aile finit par tout balayer dans la vie d’Hannah, la série nous montre comment s’opère l’implosion de ses personnages exposés aux conséquences du harcèlement. Celles-ci portent des noms charmants, doux et plaisants :  stress post-traumatique, dépression et suicide.

Aujourd’hui, stress, dépression et suicide, vous serez à l’honneur dans cet article. Nous allons parler de votre réalité, à travers une fiction. Nous allons voir comment et pourquoi le harcèlement est un assassinat, et quels sont les rôles de nos principaux protagonistes. Enfin, nous allons nous analyser comment  cette série dépeint brillamment ces phénomènes tout en nous renvoyant un reflet bluffant des tragédies banales de l’existence. Enfin, nous allons voir comment 13 reasons why dresse avec justesse le portrait des harceleurs. Buvez deux gorgées de chocolat chaud, et cramponnez-vous à votre couette. Autant vous prévenir d’emblée : les spoilers seront nombreux. 

« Tu as mis mon nom sur une liste. Tu as mis une cible sur mon nom. » (Hannah, épisode 3)

Le point de départ du harcèlement d’Hannah est une simple photo, puis une liste de noms. Tout commence lorsque le crush d’Hannah, Justin, la prend en photo alors qu’elle descend d’un toboggan. Fatale erreur : la jeune fille porte une jupe, et ses dessous appariassent. Le lendemain, Justin montre la photo à ses amis, en élaborant au passage, une réalité fantasque des événements. Comme Hannah l’explique dans la cassette qui lui est consacrée, Justin l’a embrassée.

Ce n’est pas ce que rapportera Justin. Bryce, le meilleur ami de Justin, en profite non seulement pour partager la photo à l’ensemble du lycée, mais aussi, propager la rumeur selon laquelle les faveurs de la jeune fille ne seraient pas difficiles à obtenir. Bryce, un ami comme on en fait plus. Les rumeurs courant plus vite que la vérité, la jeune fille est rapidement happée au cœur d’une tempête qu’elle ne maîtrise pas. (épisode 1)

L’ouragan finit par se déchaîner lorsqu’Alex, un ami d’Hannah, propose le nom de la jeune fille sur une liste. Celle-ci départage les filles suivant leurs caractéristiques physiques : belles lèvres, belles fesses, fesses horribles, mochetés. Alors qu’Alex a mis le nom d’Hannah pour se venger de son ex-petite amie dans la catégorie belles fesses, ce n’est finalement pas lui qui subit le revers de son attaque, mais Hannah. Se faisant haïr par l’ex-petite amie bafouée d’Alex, Hannah perd son amie et ses repères. Ses fesses deviennent rapidement la cible de tous les regards, ainsi que de toutes les moqueries. (épisode 3)

En très peu de temps, Hannah se retrouve isolée. Une cible fragile et vulnérable. Parfaite.

« Tu veux des nuages et du tonnerre ? Allons […] là où le papillon rencontre l’ouragan » (Hannah, épisode 3)

C’est alors que les évènements s’enchaînent. Hannah étant devenue une cible, elle sera bientôt considérée non plus comme une fille, mais comme une fille facile. En plus de nous démontrer à quel point il est absurde d’accorder foi à des rumeurs infondées, la série porte en elle un message féministe non dissimulée. Ce sont en effet les filles qui sont considérées comme faciles lorsqu’elles couchent, et non les garçons qui s’enorgueillissent de leurs exploits dans les vestiaires. Alors que la sexualité des garçon est valorisée et les valorise socialement, celle des filles est déconsidérée et leur porte préjudice.

Ainsi Hannah passe pour une péripatétipute à cause des rumeurs colportées par Justin, tandis que Jessica devient populaire grâce à leur relation. La notoriété de l’une décroît tandis que l’autre monte en flèche. Hannah le souligne dans le portrait qu’elle dresse de Jessica :« Tu es le genre de fille sur laquelle les garçons ne répandent pas de rumeurs. Tu es la fille sympa, celle qui devient pom-pom girl » (épisode 3). L’ascendance et la décadence d’une réputation est finalement corrélée aux relations qu’entretiennent les personnages avec ceux qui se trouvent au zénith du microcosme social que représente le lycée.

Pourtant, la notoriété ne constitue pas une barrière protectrice contre les agressions du monde extérieur, puisque les parcours parallèles et antithétiques de Jessica et d’Hannah les conduiront au même point : le viol.

Il est intéressant de voir que les agressions mises en scène dérogent aux représentations de l’imaginaire collectif : à savoir qu’elles seraient perpétrées par un individu cagoulé, dans une ruelle sombre, en pleine nuit, sous la contrainte d’une arme. Dans 13 reasons why, elles n’ont pas été perpétrées comme telles.  Les armes des agresseurs sont le chantage affectif, la peur, et la pression sociale qu’ils exercent sur leurs victimes. Ces armes ouvrent des plaies affectives, physiques, psychologiques et sociales, qui s’écoulent en silence, dans l’indifférence totale. Les deux victimes connaissent leurs agresseurs, et c’est justement parce qu’elles connaissent leurs agresseurs que la pression est d’autant plus forte. Revenons donc sur ces agressions.

 « L’effet papillon […] Tout a un effet sur tout » (épisode 3)

La première agression d’Hannah a lieu dans son magasin préféré, alors qu’elle achète une barre chocolatée. Bryce qui s’achète illégalement de l’alcool, propose à Hannah de lui offrir ses friandises. Puis, il en profite pour lui caresser les fesses. Hannah s’effondre suite à cette agression. En effet, elle est passée du stade de fille facile à celui d’objet : elle a été déshumanisée.

La deuxième a lieu au cours de l’épisode 6. Marcus a obtenu une date avec la jeune fille dans un café. Il arrive avec plus d’une heure de retard, accompagné par quatre garçons. Les quatre adolescents se posent derrière eux, observant et commentant leur moindres faits et gestes. Marcus n’est pas là pour débuter une relation avec Hannah, mais pour se donner en spectacle.

Il commence par attendrir Hannah avec des blagues, puis à lui prendre les mains. Il s’approche ensuite d’elle, pose ses doigts sur sa cuisse. Hannah lui demande d’arrêter, mais Marcus insiste, et ne prend pas en considération son refus. Elle finit par le repousser violemment, il tombe à terre. Il lui crie dessus en lui disant qu’elle est sensée être une fille facile. Puis, il repart.

Dans cette agression, il n’y a ni chantage, ni arme, ni cagoule. Juste un idiot égocentrique qui se croit tout permis, un idiot égotiste qui croit des rumeurs, un idiot orgueilleux qui pense qu’une fille facile ne se refusera pas à lui.

Hannah se retrouve dans un état de sidération lorsque Marcus s’en va. Cet état est caractéristique dans les évènements stressants. Hannah est dans le même état qu’un petit lapin perdu de nuit sur une route : les phares d’une voiture approchent et l’éblouissent, mais le petit lapin ne bouge pas. Il est dans un état de sidération. Il va se faire écraser, mais il ne peut plus se mouvoir. Les phares se rapprochent : il est déjà trop tard.

La sidération est gérée par une partie du cerveau : l’amygdale, centre névralgique de la peur et des instincts primitifs. En cas de choc, l’amygdale peut, en quelques sortes, demander au cerveau de se paralyser, couper toute émotion, toute capacité à agir, dans le but de simuler notre propre mort. Ce blocage permet d’anesthésier et de distancier les émotions négatives qui surgissent. Il s’agit initialement d’un camouflage. Dans cette scène, Hannah ne pouvait pas réagir, elle ne pouvait que subir.

La force de cette série c’est de montrer qu’à l’instar du papillon qui déclenche une tempête, une caresse peut aussi devenir une agression. [1]

« Comment en vouloir à quelqu’un pour quelque chose qui s’est passé quand il était inconscient ? […] Comment on s’en remet ? » (Hannah, épisode 9)

Marcus ne pense pas à Hannah, ni à ce qu’elle veut, ni à ce qu’elle ne veut pas. Il ne pense qu’à lui. Cette attitude négationniste, qui fait de l’autre l’objet d’un désir et non un sujet pensant, est symptomatique de notre société. Dans les cours d’Education sexuelle, on éduque les filles et les garçons à mettre des préservatifs, à se protéger, mais pas à considérer l’autre et son consentement comme étant primordial dans toute relation.[2]

Résultat : certaines filles comme certains garçons ne se regardent pas comme des sujets, mais comme des objets de plaisir et de désir. On n’apprend pas à respecter l’autre, à respecter son corps, à respecter ses limites, parce que la société et l’Institution scolaire pense que ce sont des acquis.

Ce n’est pas le cas. Si la relation ou l’acte n’est pas consenti-e, ce n’est ni une relation, ni un acte de plaisir : c’est une agression.

C’est ce qui s’appelle la « culture du viol ». Décriée vivement par des polémiques stériles, la culture du viol consiste à banaliser les agressions sexuelles à l’encontre des femmes, et des hommes. Il s’agit de considérer les hommes hétérosexuels comme étant incapables de retenir leur désir, et les femmes, comme étant les responsables de ce désir. Cette conception faussée des relations hommes-femmes transforme les femmes en objet de désir, et non en sujet, tout en les blâmant d’être désirée par les hommes. Elle transforme les hommes en bêtes féroces qui prennent les femmes pour des cibles. Je ne saurai dire lequel de ces concepts est le plus dégradant. La culture du viol est en somme une suave combinaison de victim-blaming, et de machisme, desservant à la fois l’image des hommes et celle des femmes. [3]

Le victim-blaming consiste à rendre la victime coupable de son agression, lorsque l’on est agresseur-seuse, ou un proche de l’agresseur-seuse.

Il s’agit de porter un blâme moral ou comportemental à l’encontre de la victime, dans le but de se déculpabiliser ou déculpabiliser l’agresseur-seuse. Un exemple simple : elle s’est faite violer, mais elle était ivre. Si elle n’avait pas autant bu, il ne lui serait rien arrivé. Ceci s’appelle un blâme comportemental. Un autre ? Je l’ai vanné, il l’a mal pris, mais c’était qu’une blague, c’est pas si grave. Ceci s’appelle un blâme moral. Le victim-blaming métamorphose la victime en coupable, car il est paradoxal et difficile pour nous de reconnaître que nous défendons un agresseur-seuse, ou que nous avons profondément blessé quelqu’un.

Reconnaître l’autre comme une victime revient à nous confronter à notre propre vulnérabilité. Dans un monde où « victime » est une insulte, nous ne pouvons que péniblement admettre les faiblesses et les erreurs des autres. Les autres, l’autre, nous renvoient toujours un miroir de nous-même. Au final, en nous faisant juge des actes d’autrui, nous nous confrontons à la partie la plus sombre de nous-même.

Reconnaître que les autres se trompent et peuvent être des criminels revient à nous reconnaître comme tel, or, nous portons en nous le désir de croire dans un monde juste, où les bonnes choses arrivent aux bonnes personnes, et les mauvaises, aux mauvaises personnes. Malheureusement, ce n’est jamais le cas.

Nous pouvons heurter sans le vouloir, ou nous pouvons le faire en ayant pleinement conscience que de ce que l’on fait, nous pouvons être victimes, ou coupables. Nous sommes comme certaines plantes : capables d’enchanter le monde par notre beauté, mais aussi, capable de l’empoisonner.

Il s’agit du message le plus critique de la série : nous pouvons êtres victimes et agresseur-seuses, ce n’est pas paradoxal. Nous subissons une violence banale et quotidienne, et nous la faisons endurer aussi : à nos proches, davantage qu’à des inconnus.

« Je sais ce que tu penses. Peut-être que si cette fille n’avait pas autant bu, il ne serait pas arrivé ce qu’il est produit. » (Hannah, épisode 9)

Dans cette série, comme dans tant d’autres (Degrassi nouvelle génération, Skins, Gossip Girl pour ne citer qu’elles), les agressions sont enfin représentées de façon réaliste. Dans l’inconscient collectif commun, la violence sexuelle, psychologique ou familiale est trop souvent représentée dans un contexte social défavorisé. Cette violence est incarnée par un personnage malade et virulent. Un ivrogne dont personne ne souhaiterait s’approcher.

La violence est dramatisée, et jamais représentée comme elle le devrait. Ou plus exactement, elle y est tellement banalisée, que finalement, personne ne la remarque.

Vous n’avez pas besoin d’exemples, vous n’avez qu’à allumer votre télé, regarder des clips, ou TPMP.  En réalité, la violence sexuelle touche toutes les strates de la population et plus particulièrement les jeunes femmes : 80% des victimes sont des femmes, 62% ont moins de 18 ans, et 54% des viols sont commis dans le cadre d’une « relation amoureuse »[4] (est-ce vraiment utile de vous préciser pourquoi j’ai ajouté des guillemets ?). Dans 13 reasons why, les viols dépeints décrivent parfaitement le ressenti et l’état psychique dans lequel se retrouve un-e victime. Évoquons d’abord le viol de Jessica.

L’agression de Jessica n’est pas caractérisée par de la violence physique : Bryce entre dans la pièce, Jessica est étendue sur le lit. Il lui enlève sa culotte. L’adolescent défait son pantalon et la pénètre. Il n’y aucune menace, aucun chantage. Elle est saoule, il en profite. La scène n’est pas dramatisée par des violons, ou de la musique triste. Bryce ne se montre ni violent, ni insistant. Il ne pense qu’à satisfaire son égo malade. Oui, malade. Parce que je ne vois pas qui, hormis quelqu’un de profondément atteint par un trouble psychiatrique, peut prendre du plaisir à violer une fille dans l’unique but d’assouvir son emprise sur son meilleur ami ? (C’est une question rhétorique).

Tout au long de la série, Jessica se demande si elle a vraiment été agressée ou non.

Dans l’épisode 3, elle affirme à Clay qu’Hannah est une menteuse. Dans l’épisode 9, elle interroge Courtney sur la véracité des faits qu’Hannah a décrit. « La photo de Justin était réelle, la liste […] était réelle, le reste l’était peut-être aussi ». Un souvenir la percute alors : elle revit son viol. Elle ne voit pas la personne qui l’agresse, mais elle se rappelle des mains qui enserrent les siennes. Le souvenir est trouble, confus.

Vous pourriez peut-être vous imaginer qu’un tel souvenir devrait lui apparaître de façon claire en mémoire : après tout, les événements les plus marquants de votre vie sont ceux dont vous vous souvenez le mieux. En fait, la mémoire n’est pas capable de restituer correctement le ressenti et le vécu : nos souvenirs ne sont qu’une reconstruction permanente d’images, d’odeurs, de sons, de saveurs, d’émotions. La mémoire est un complexe géré par plusieurs ensembles dans notre cerveau, et il en existe plusieurs types. Nous ne stockons pas les événements marquants de notre vie sur le même disque dur qu’un numéros de téléphone, par exemple.

Comme je vous l’ai déjà évoqué, une agression peut littéralement anesthésier votre cerveau dans le but de vous aider à survivre.

Mais pas que. Une personne victime d’agression sexuelle peut aussi faire preuve d’un état de dissociation : c’est-à-dire qu’elle se trouve dans un état dans lequel elle se distancie de l’événement. Cet état dissociatif peut prendre plusieurs formes : avoir l’impression ne plus éprouver aucune émotion, ne plus sentir son corps, se sentir détaché de l’événement. Cet état dissociatif est bien retranscrit dans le regard vide d’Hannah lorsqu’elle se fait violer par Bryce. Du coup, d’autres fonctions du cerveau sont coupées, notamment le système limbique (qui permet entre autre de recevoir et gérer les émotions). Dès lors, la victime ne peut plus correctement encoder les souvenirs relatifs à son agression. Les principaux systèmes étant coupés, ces informations demeureront floues, confuses :

« La personne dans un tel état de choc ne peut donc plus avoir une vue d’ensemble de ce qui lui est arrivé et de ce qu’elle vit, ni avoir accès à l’événement en tant que souvenir. Cette personne « revit » l’expérience traumatique chaque fois que des éléments traumatiques reviennent à la conscience et/ou sont sollicités par la situation. » [5]

Jessica ne peut donc pas se rappeler de ce qu’elle a vécu : il s’agit d’une amnésie traumatique.

Ne pouvant se remémorer l’évènement dans sa globalité, elle est dans le déni : phase commune à de nombreuses victimes de viol, comme le sont la dramatisation (ne plus pouvoir s’arrêter de parler de l’agression), la minimisation (prétendre que tout va bien), l’explication (l’analyse de l’agression) et la fuite (le changement : changement d’apparence, changement de ville). Le déni permet dans un premier temps de supporter l’insupportable. Surmonter l’insurmontable. [5]

« Je sais que c’est excitant de plonger dans la vie d’un autre » (Hannah, épisode 4)

Le stress post-traumatique, quésaco ? Abrévié ESTP, SSPT ou TSPT dans la langue de Molière ou PIST dans celle de Shakespeare, le stress post-traumatique caractérise un état de stress anxieux sévère qui se manifeste suite à une expérience vécue comme étant traumatisante. Le traumatisme, ou l’insurmontable.

L’insurmontable : un sentiment d’angoisse existentielle et d’abandon, qui vous balance entre pulsions suicidaires et attaques de panique. Le viol, plus que toute autre agression, rattache la victime à un sentiment mortifère. Le souvenir traumatique s’installe et perturbe en profondeur le fonctionnement cérébral, à tel point qu’il peut même modifier la physionomie d’un cerveau. La victime se sent abandonnée.

L’abandon s’accompagne d’un fort sentiment de culpabilité entremêlé de honte, qui va entretenir un dégoût de soi, une colère tournée contre soi, et contre le monde entier.

Le tout sera amplifié par un souvenir invasif et répétitif des événements. Un peu comme si le cerveau était bloqué sur la pire journée de votre vie, et vous la refaisait vivre encore, et encore. Non seulement, la victime est traumatisée, mais elle aussi peur de parler et de parler de ce qu’elle a subi : elle se replie alors sur elle-même.

Comme dans tout stress post-traumatique, les victimes peuvent mettre en place des stratégies d’évitement. Les stratégies d’évitement consistent à essayer d’éviter les lieux, les objets, les personnes ou les moments qui peuvent rappeler un évènement traumatisant : sécher les cours, ne pas prendre de pause déjeuner, aller se réfugier aux toilettes à toutes les pauses sont d’autant de stratégies d’évitement. Les victimes d’un stress post-traumatiques mettent en place ces stratégies car leur cerveau n’a de cesse de leur faire revivre leurs pires souvenirs,via des flashbacks, des rêves envahissants.

C’est exactement ce qui arrive à Hannah lorsque Clay et elle sont sur le point de coucher ensemble, dans le onzième épisode. Malgré l’envie qu’elle éprouve, Hannah est rattrapée par les fantômes de son passé, et ne peut s’en détacher. Elle choisit alors de repousser Clay, car c’est la seule façon pour elle de repousser en même temps les mauvais souvenirs qui l’assaillent.

Le stress post-traumatique peut aussi survenir à l’occasion de terreurs nocturnes : la personne se réveille alors en hurlant après un cauchemar.

Toutefois, elle n’a pas nécessairement connaissance de cet épisode le lendemain. Elle peut aussi devenir insomniaque, comme Clay, après la mort d’Hannah. La victime peut aussi manifester des sursauts, ou devenir hypervigilante. L’était d’hypervigilance se caractérise par le fait d’être constamment sur le qui-vive, à surveiller le monde qui vous entoure, comme si celui-ci allait vous attaquer d’une minute à l’autre. Cet état d’hyperviligance, Clay le vit au quotidien : en particulier dans le deuxième épisode, lorsqu’il se retrouve seul au milieu de tous les autres élèves de son lycée.

Le harcèlement et les agressions sexuelles peuvent aussi être à l’origine d’une dépression. Celle-ci est superbement traitée -si je puis dire- dans la série.

« Les pires cicatrices ne sont pas celles qui sont visibles à l’œil nu » (Hannah)

Les signes évidents de dépression évoqués par la série et par le livre 13 reasons why sont : changement d’apparence, désintérêt pour les activités ordinaires, troubles de l’attention et de la mémorisation. Enfin, dans les cas les plus graves, les victimes peuvent développer des maladies psychosomatiques, des addictions (jeux vidéos, sexe, drogue, alcool, médicaments…), se mutiler ou se suicider. La mutilation est brièvement abordée par la série lorsque Clay remarque les bras mutilés de Skye.

Clay, Tyler et Alex montrent des signes caractéristiques de dépression. Comme Jessica, l’état physique et psychologique de Clay se dégrade au fur et à mesure de la série. D’abord, il chute à vélo, et un pansement apparaît au-dessus de son front (épisode 2). Puis, il ne prend plus de douche, car il est dégoûté par ce qu’il a fait (épisode 4 et 5). Ensuite, il se bat avec Bryce pour obtenir son témoignage (épisode 12). Son visage est de plus en plus marqué par la souffrance, tout comme l’est sa psyché. Les cicatrices physiques de Clay expriment en fait la peine intérieure qu’il ressent.

Ainsi, si l’on peut percevoir qu’une personne est plus facilement irritable, peureuse ou déprimée, il est souvent impossible de comprendre sa réalité émotionnelle.

Il est difficile de comprendre que l’isolement volontaire d’une personne est souvent l’expression et la concrétisation de ce qu’elle ressent, et non l’inverse. Chaque humain possède en lui un besoin d’appartenance à un groupe, et le désir de créer des liens avec d’autres individus. On ne peut se sentir isolé si l’on n’a pas été rejeté par un groupe : on ne se rejette pas tout seul d’un groupe. Ça n’a pas de sens. On s’isole parce que l’on se sent rejeté par un groupe, et non l’inverse comme peuvent certains le prétendent.

Le comportement de Jessica est tout à fait symptomatique de cet état. Son style vestimentaire dénote clairement son état émotionnel. Rayonnante au début de la série : Jessica s’habille avec des couleurs pétantes, qui sont renforcée par le filtre coloré connotant les passages du passé dans lesquels Hannah était toujours vivante. Après le suicide d’Hannah, elle ne porte plus que des couleurs sombres, et des tenues vestimentaires peu attrayantes.

Elle ne se maquille plus, et ne se met plus en valeur, comme si elle cherchait à s’effacer. Elle apparaît cernée, dans le deuxième épisode, des boutons sur le visage. Il s’agit d’un déni de son propre corps : Jessica abandonne sa féminité car elle se sent abandonnée. L’image, plus terne, renforce là aussi l’altération psychologique du personnages.

En outre, elle devient sujette à un comportement auto-destructeur : elle commence à boire au lycée, et à sécher les cours, tout en affichant une mine réjouie en public, malgré sa souffrance manifeste.

Elle masque son alcoolisme sans réellement le faire, comme un appel au secours. Jessica ne prend plus vraiment part aux entraînements et activités des pom-pom girls. Elle délaisse son seul ami, Alex, avec qui elle entretient des relations tumultueuses. Elle se montre même violente avec son petit-ami, qu’elle manque d’ailleurs de violer à son tour. Pour les spécialistes, cette forme de sexualité entreprenante dénote la volonté de la victime à reprendre possession de son corps. [5] Tout, dans son attitude, trahit qu’elle a vécu un choc émotionnel traumatisant. Pour autant, elle semble ne pas pouvoir prendre pleinement conscience de ce qu’elle a vécu, et pour cause : son petit-ami lui ment. Dès lors, elle est prisonnière et prise au piège par sa popularité.

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« Je ne veux pas aider…je veux blesser » (Clay, épisode 5)

Dans l’épisode 4, le Lycée organise un concours de costumes. Seuls Clay et Tyler ne se sont pas déguisés. Ce sont les deux seuls personnages qui ne portent pas de masque du début à la fin de la série. Ce sont les deux seuls personnages qui assument le rôle qu’ils ont joué dans le suicide d’Hannah Baker. Presque tous les autres participent à la finale du concours. Ce sont finalement Jessica et Justin qui l’emportent, déguisés en Sid et Nancy.

Sid Viscious était le batteur des Sex Pistols, et Nancy une groupie follement amoureuse de lui. La jeune femme souffrait probablement de schizophrénie paranoïde (une maladie psychiatrique pas cool du tout qui se traduit par des hallucinations visuelles/sonores et la sensation d’être agressé-e de façon permanente), comme le révéla sa mère dans son autobiographie.

Amoureux, les deux amants se seraient laissés emporter dans leurs excès de drogues, d’alcool, de passion et de violences. Le corps de Nancy aurait été retrouvé dans la salle de bain d’une chambre d’hôtel, percé de coups de couteaux. Sid serait mort quelques mois plus tard d’une overdose. Ces déguisements sont finalement à l’image de ce qu’incarnent Jessica et Justin. Ce sont des amants maudits, qui finissent par se détruire l’un et l’autre.

Un bel exemple de victim-blaming, en somme.

La série casse les codes de représentation habituel des viols et des violences sexuelles, lesquels sont considérés comme rares. Le #metoo a récemment démontré le contraire : presque toutes les femmes sont concernées par ces agressions, comme les hommes. Le problème que pose cette fiction est celui de la représentation de cette violence corrosive, mais pourtant ordinaire. D’après de récentes études, les agresseurs se trouvent dans l’entourage des victimes.

Rongées par la honte et la culpabilité, les victimes n’osent pas parler. Lorsqu’elles le font, elles subissent une double peine. L’agression et le victim-blaming, qui protège les agresseurs et balaye leur témoignage d’un simple blâme moral ou comportemental. Voilà comment s’établit le silence oppressant qui permet aux harceleurs-euses, aux agresseurs-euses de régner en maîtres-ses en s’imposant violemment aux autres.

Le principal harceleur, Bryce, est non seulement populaire, mais aussi, intouchable. Souvent, ces personnes ont assis leur aura et leur autorité sur leur propre réputation. Ce sont des leaders  Finalement, le harcèlement n’est pas si différent d’une dictature. Son mécanisme principal est la peur.

« On regarde toujours quelqu’un. On suit toujours quelqu’un. Et on est toujours suivi. Et on adore ça » (Hannah, épisode 4)

Ces agressions ne pourraient avoir lieu si le contexte ne le permettait pas. Nous sommes dans une société où nous ne pouvons ni montrer nos faiblesses, ni assumer nos erreurs. L’Institution scolaire nous apprend dès notre plus jeune âge que nous sommes soit bons, soit mauvais. Faibles ou fort-e-s dans tel ou tel domaine. Nous devrions aspirer à l’excellence, sans jamais prétendre y parvenir : personne n’obtient jamais 20 de moyenne générale. Peut-être des exceptions, Merlin seul sait qu’elles existent en grammaire.

Nous sommes noté-e-s en fonction de nos erreurs, et non suivant nos succès. Nous perdons des points à chaque faute, au lieu d’en gagner à chaque réussite.

Dès notre plus jeune âge donc, nous intégrons que nous n’avons pas le droit à l’erreur : l’erreur est mauvaise. L’erreur fait de nous des faibles. Pourtant, l’erreur est humaine. L’erreur, c’est ce qui nous permet d’avancer, mais aussi d’apprendre. Chaque échec surmonté est un pas vers sur le chemin d’un triomphe. Pour réussir, il faut apprendre à échouer, buter sur des obstacles pour avancer. C’est ainsi que notre cerveau nous permet de progresser. C’est ainsi que nous construisons notre estime de nous-même : en apprenant de nos erreurs, en surmontant nos échecs, en rencontrant des succès.

Dès notre plus jeune âge, l’erreur est corrélée à l’estime que nous avons de nous-même. Dès lors, dans la vraie vie, comment assumer nos échecs, autrement qu’en les cachant, en mentant, en les omettant ?

C’est peut-être la raison pour laquelle les élèves essaient de s’écraser les uns les autres : ne pas paraître faibles. Celui-celle qui est fort-e, c’est celui-celle qui réussit. Nous intégrons rapidement, à cause du système scolaire, que la compétence a plus de valeur que la bienveillance. Pour réussir dans ce système, il vaut mieux être Docteur House : un connard expert et qualifié, réputé, mais détestable ; que Neville Longdubat : courageux, gentil et généreux, mais incompétent. On donnerait éventuellement un blâme à Gregory House dans un conseil de classe, mais jamais on n’accorderait les félicitations à Neville.

« Tu ne peux pas foutre ma vie en l’air parce que tu ne t’aimes pas » (Hannah, épisode 5)

C’est précisément ce problème qui est pointé par la série. Notre système encense les harceleurs-euses, les agresseurs-euses en leur accordant des récompenses ou leur octroyant une certaine forme de pouvoir ou de popularité.

Tous les agresseurs de 13 reasons why sont reconnus pour leurs compétences dans leur établissement : Bryce est le meilleur sportif ; Courtney est impliquée dans la vie scolaire de son lycée : présentatrice du concours de costumes elle appartient aussi au conseil de son lycée, Marcus est le président dudit conseil et le meilleur élève de sa promotion, Ryan tient un journal populaire, Zach, Sheri, Justin et Jessica sont populaires : sportif ou pom-pom girl, Alex est ami avec ces personnes populaires. Clay est un tuteur et il appartient lui aussi au conseil étudiant. Tyler est le photographe attitré de son établissement. Pourtant, ils sont tous un point commun. En effet, ils ne s’aiment pas, ou ils n’ont pas suffisamment confiance en eux pour assumer qui ils sont, ou ce qu’ils sont.

La série et le livre 13 reason why dressent un portrait particulièrement réaliste des harceleurs qui existent.

Avant tout parce qu’ils dressent un portrait réaliste des ados. Avant 13 reasons why, j’avais rarement eu l’occasion de voir des adolescents représentés comme des adolescents. Des adolescents avachis sur un canapé, qui jouent aux jeux vidéos. Qui boivent, qui se droguent, qui font la fête, ou qui restent sérieux. Habillés comme des adolescents : des mini-jupes en jean, des converses, des sacs stylisés avec des stickers, loin des tenues magnifiques et du maquillage parfaits des héros-ïnes de Riverdale, par exemple. Dans 13 reasons why les ados font des conneries d’ados. Ils expérimentent le sexe.

Ils utilisent des gros mots, ils s’insultent. Des adolescents qui s’aiment, se détestent, sont violents. Ils se cherchent eux-mêmes, ils sont en pleine découverte de leur identité. La dernière fois que j’ai vu ces ados-là, c’était dans Skins, ou de très bons teen-movies, comme Juno.

Le portrait de chacun d’entre eux est brossé sur une face de cassette audio. De la fille qui assoit sa popularité jusqu’à en écraser les autres, au garçon timide qui ne dit rien parce qu’il a peur de perdre la fille qu’il aime, chacun peut se retrouver dans un portrait ou dans un autre.

La série réussit un tour de force : nous faire compatir aux malheurs de son personnage principal tout en nous permettant de nous identifier à ses harceleurs. Elle nous fait prendre conscience que chacun des actes, des plus anodins aux plus violents, peut avoir des conséquences et des répercussions graves. 13 Reasons why nous fait prendre conscience que nous ne prenons pas assez soin les uns des autres. Elle nous fait prendre conscience qu’harceleurs-euses comme harcelé-e-s, nous ne sommes jamais parfaits en tous points.

Cette série nous fait prendre conscience que, même avec les meilleures intentions du monde et une gentillesse digne d’un bisounours, nous pouvons en fait devenir des harceleurs. Elle nous fait prendre conscience qu’il n’y a que deux camps : les harceleurs ou les harcelés. Elle nous fait prendre conscience que l’on peut tuer en se taisant. Ainsi, l’on participe ainsi de la façon la plus active qu’il soit : en ne faisant rien, en ne disant rien, en ayant peur.

En conclusion,

L’effet papillon : tout a un effet sur tout. Un panneau qui tombe, un accident de voiture, un nom sur une liste, des rumeurs, un viol. Puis un suicide. La série explose les mythes de représentation : dépression adolescente, suicide, viol, harcèlement. Elle nous renvoie le miroir des parts les plus sombres de notre humanité. Nous sommes donc ténébreux et solaires, un peu comme des étoiles qui luisent lointainement dans l’obscurité du ciel.

Elle nous rappellent que nous sommes profondément humains, que nous blessons nos semblables, surtout si nous sommes nous-mêmes blessés. Elles nous rappellent que les voies qui permettent de vivre en harmonie en société sont difficiles à emprunter. Accepter ses échecs et ses erreurs, les réparer, respecter les limites imposées par les autres, se mettre à leur place et faire l’effort de comprendre leur réalité émotionnelle, en somme, être à la fois honnête et empathique, ce qui n’est JAMAIS aisé. Pour finir, je vais vous laisser méditer sur cette phrase de JK Rowling :

« Les vrais dilemmes de l’enfance sont les dilemmes de toute une vie : il s’agit de faire face à la trahison, à la puissance d’un groupe d’individus et le courage qu’il faut pour se construire en tant que personne. Il s’agit de faire face à l’amour, à la perte et à la signification d’être un être humain. » [6]

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Bibliographie

[1] Psychologues TCC de Paris, Le syndrome de stress post traumatique,  Institut universitaire de la Santé Mentale de Montréal, Etat de Stress post-traumatique

[2] Rockstardinosaurpirateprincess, The tea consent, Bluseatstudio, Youtube, 2min59

[3] Dans Mon Tiroir, Le Victim-blaming ou pourquoi j’ai grondé mon chat après lui avoir marché sur la queue, WordPress, 22/09/2016

[4] Charlotte Hénin, Docteur Michel Hénin Quels sont les caractéristiques physiologiques et les corrélats psychologiques de l’état de stress post-traumatique (PTSD) chez les victimes d’agression sexuelle ?

[5] Docteur Muriel Salmona, Violences sexuelles, conséquences 8/9, sosfemmes.com

[6] JK Rowling, Discours lors du prix de littérature Han Christian Andersen, 2011

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4 Comments

  1. j’aime me promener sur votre blog. un bel univers. Très intéressant et bien construit. Vous pouvez visiter mon blog naissant ( lien sur pseudo) à bientôt.

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