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Qui est l’homme en noir dans Kaamelott ? [THÉORIE]

Une série écrite et réalisée par Alexandre Astier, avec Alexandre Astier (Arturus), Emmanuel Meirieu (Appius Manilius), Jean-Christophe Hembert (Karadoc), Franck Pitiot (Perceval), Jacques Chambon (Merlin), Jean-Robert Lombard (Père Blaise), Brice Fournier (Kadoc), Thomas Cousseau (Lancelot), Anne Girouard (Guenièvre), Nicolas Gambion (Bohort le jeune), Stéphane Margot (Calogrenant), Alain Chapuis (le tavernier), Alexis Henon (Galessin), Loïc Varraut (Venec), Simon Astier (Yvain), Guillaume Briat (roi burgonde), Aurélien Portehaut (Gauvain), Joëlle Servilla (Dame Séli), Serge Papagelli (Guethenoc), Josée Drevon (Ygerne), Caroline Ferrus (Mevanwi), Tony Saba (Hervé de Rinel), Alexandra Saadoun (Aziliz), Magali Saadoun (Tumet), Christian Bujeau (le maître d'armes), Etienne Fagues (Lionel), Audrey Fleuriot (la Dame du lac), Gilles Graveleau (Roparzh), Philippe Nahon (Goustan le cruel), Virginie Efira (Berlewen), Bruno Salomon (Caius Camilus), Antoine de Caunes (Dagonet), Carlo Brandy (Méléagant), Claire Nadeau (Cryda), François Morel (Belt), Anouk Grinberg (Anna), François Rollin (Loth), Pierre Mondy (Caesar), François Levanthal (Publius Servius Capito), Tcheky Karyo (Manius Macrinus Firmus), Jean-Marc Avocat (Titus Nipius Glaucia), Michel Bernini (Vibius Iuventius Bestia), Valeria Cavalli (Aconia Minor), Lou Bonneti (Licinia), Anne Benoit (Drusilia), Marion Creusvaux (Julia), Frédérique Bel (Numeria), Manu Payet (Verinus), Sébastien Richard (Lan), Frédéric Forestier (Aulus Milonius Procyon), Jonathan Chiche (Caius Papinus), Claire Wauthion (Evaine), Philippe Morier-Genoud (Bohort de Gaunes), Valentin Traversi (Kechatar), Eddy Letexier (Hoël), Bruno Boeglin (Chef vinking), Jordan Topenas (Licius Falrius), Gil Galliot (Flaccus), Alain Doutey (Desticius), Jean-Yves Chatelais (Lurco), Patrick Catalifo (Pisentius), Michel Goddet (Acheflour), Jacky Berroyer (Pellinor), Marthe Villalonga (Nonna), Pascal Vincent (Chef bandits Bohort), Denis Marechal (Narsès), Rachel Arditi (D

Last updated on 2 mai 2023

Et si Méléagant, l’homme en noir de Kaamelott qui hante Arthur et Lancelot, n’était que le pendant maléfique de Viviane, la Dame du Lac… Des explications inédites sur le rôle de ce personnage mystérieux, signées la Revue de la Toile.

Kaamelott nous relate le quotidien épique du roi Arthur et de ses chevaliers. A défaut d’inscrire leurs exploits dans la Légende Arthurienne, ces drôles de chevaliers ont néanmoins réussi à marquer notre époque de leurs répliques cultes ! Mais pas que.

Kaamelott, c’est aussi une série qui a changé de format et changé de tonalité au cours de sa diffusion. Un pari risqué, qui n’a pas séduit la totalité son public, voire, qui a plutôt eu tendance à le diviser. Les amateurs de sketchs déçus d’un côté, les admirateurs du talent d’Alexandre Astier, son réalisateur, de l’autre.

Kaamelott est initialement une shortcom -programme court destiné à faire rire- singulière dans le paysage télévisuel français. En effet, de petit format court de cinq minutes, la série nous a offert six saisons dont les derniers épisodes diffusés duraient quarante-cinq minutes en version director’s cut (la version initiale désirée par le réalisateur lui-même). Si la première saison est purement humoristique, les suivantes versent un peu plus dans le drame, puis, dans la tragédie, tout en conservant ce trait d’humour cinglant qui a fait son succès.

Kaamelott, du duo d’amis au duel des frères ennemis

Les petites scénettes sont devenues, au fil du temps, une véritable histoire, portée par des enjeux dramatiques et complexes. La narration cinématographique, inexistante dans les deux premières saisons, finit par nous porter à l’écran les conflits qui opposent deux personnages antagonistes : Lancelot et Arthur.

Le duo d’amis se métamorphose en duel d’ennemis sur le fil des saisons qui se succèdent. Les deux chevaliers, réunis par une même quête, celle du Graal, objet sacré selon certaines sources, bocal à anchois selon d’autres, finissent par être divisés à cause des divergences de leur vision sur la façon dont mener la quête du Graal, régir le royaume de Kaamelott, ou tout simplement, sur l’utilisation du Calice sacré (ou de la corne d’abondance, on ne sait pas trop). Ils sont guidés par deux personnages mystérieux et intrigants : la Dame du Lac et l’Homme en noir.

Aujourd’hui, nous allons nous interroger sur les rôles respectifs de la Dame du Lac et de l’Homme en noir. Nous verrons pourquoi tous ces personnages sont étroitement liés.

Arthur et Lancelot : des frères ennemis

Le duo/duel de chevaliers fonctionne à merveille, car leurs personnalités et les relations qu’ils entretiennent, ont été construites suivant un schéma narratif simple, mais efficace. L’histoire d’Arthur suit les procédés propres au schéma narratif des Star Wars et des contes, des films de Ridley Scott, ou encore des romans de chevalerie. Arthur est un bel inconnu, venu d’un autre pays, qui réussit à sauver tout un peuple du joug de l’oppression romaine, avant d’entreprendre une ultime quête : la quête du Graal. Le bel inconnu, ce héros venu d’un autre univers, est sensé ramener le calme et l’ordre dans le chaos oppressif incarné par le monde que nous découvrons en même temps que lui. Il s’agit là d’un topos (ou cliché ou lieu commun) qui nous est resservi depuis l’Antiquité.

Sauf que, Alexandre Astier a eu l’intelligence de le traiter autrement : Arthur, fatigué par ses échecs successifs n’est pas le sauveur de son propre royaume, bien qu’il l’ait été dans le Livre VI, Arthur incarne celui qui va le faire plonger en même temps qu’il sombre. Ses relations se dégradent peu à peu avec son meilleur ami, Lancelot, un frère au début de la série, un rival à la fin. Leur relation devient le cœur même de l’intrigue, laquelle est donc à la fois bâtie sur les péripéties d’un héros qui fait naufrage, en emportant son frère ennemi (autre topos) avec lui.

Arthur et Lancelot : deux itinéraires entre ascensions et décadences

Arthur, roi progressiste, se laisse facilement déborder par l’incompétence de ses chevaliers, les guerres avec les autres peuples et sa vie personnelle mouvementée. Rapidement désœuvré, il tombe progressivement dans une profonde dépression, et pense à se suicider dès la fin du troisième livre. Initialement, il a bâti Kaamelott dans l’espoir que ses chevaliers partent en quête du Graal, comme Viviane, la Dame du Lac, le lui a commandé. Cette mission périlleuse n’aboutissant pas plus que toutes les autres quêtes qui lui sont confiées, Arthur finit par perdre la foi. Il se dispute avec son meilleur ami, Lancelot.

Lancelot est un chevalier errant se réservant pour son unique et grand Amour qu’il pense avoir trouvé en la personne de Guenièvre. Dépassé par le laisser-aller du roi Arthur, dont il ne manque pas à plusieurs reprises de fustiger la politique, il décide de fonder son propre camp et de partir en quête du Graal par lui-même. Pour ce faire, il se fait financer par le roi Lot, un politicien machiavélique qui a l’ambition de devenir roi à la place du roi. Dans son entreprise, Lancelot est rejoint par Guenièvre, qui décide d’abandonner Arthur et Kaamelott. L’idylle ne sera que de courte durée puisque Lancelot finit par se comporter comme un tyran avec ses hommes et celle qu’il aime, et se montre obsédé par un prétendu « homme en noir ».

La Dame du Lac : un mentor lumineux

Pendant ce temps, Arthur cède à une énième tentation et faute avec Mevanwi, femme du chevalier Karadoc de Vannes. Refusant de récupérer sa femme, il va même jusqu’à l’échanger contre Guenièvre grâce à une loi obscure du pays de Vannes. Cet acte ultime, insulte faite au dieu, provoque le bannissement de la Dame du Lac.

Dans la Légende Arthurienne comme dans la série, la Dame du Lac ou Viviane, est initialement un esprit mystique, une sorte d’ange gardien, qui doit guider l’élu des Dieux vers la Lumière du Graal. Arthur est l’élu qui doit mener son peuple vers la Lumière, comme le Christ. Dans le Livre I, Viviane est la conscience d’Arthur, sa confidente.[1] Seul Arthur peut la voir et lui parler.[2] Elle guide Arthur, mais ne peut jamais intervenir par elle-même. Elle ne peut que constater que les événements, et la dépression grandissante d’Arthur, qui détruit non seulement le royaume, mais aussi le roi lui-même. Révoquée dans le quatrième livre, Viviane lui crache alors sa colère et son désespoir :

« Au départ je devais vous guider vers la lumière, vers le Graal. Mais vous, vous préférez n’en faire qu’à votre tête : Lancelot s’en va ? Pas grave, qu’il s’en aille ! Guenièvre part avec lui ? Eh ben qu’elle se tire, ça fera de l’air ! Il faut jamais convoiter la femme d’un autre chevalier ? Ben eh, je m’en fous moi, je la convoite quand même ! Résultat : Bannie ! Ah vous pouvez être fier de vous ! (elle pleure) »[3]

Viviane, Arthur et l’homme en noir

La déchéance d’Arthur est parallèle à celle de Viviane. Dans le Livre V, avant qu’il ne replante l’épée, elle le supplie de la conserver et de s’en servir pour trouver le Graal. Arthur la regarde froidement dans les yeux, et répond : « J’suis roi de Bretagne. J’ai pas de conseils à recevoir d’une clodo ».[4] L’échange s’achève sur les pleurs inaudibles de la Dame du Lac. L’échec d’Arthur devient aussi celui de la Dame du Lac. En ce qui la concerne, ce n’est pas le premier. En effet, au cours du cinquième livre, nous apprenons que Viviane a été la préceptrice de Lancelot. Au cours d’une entrevue, elle révèle à Lancelot qu’il avait été choisi comme élu des Dieux, mais que ces derniers lui ont préféré Arthur. Lancelot ne parvenait pas à retenir une comptine pour guérir les blessures, car il n’en faisait « qu’à sa tête ».[5]

Dans les textes médiévaux, Viviane est profondément liée à Lancelot , dans le Lancelot en prose notamment. Elle élève le chevalier, tandis que Merlin s’occupe de l’éducation du jeune Arthur. Elle lui enseigne les Arts et les Lettres, comme à tout chevalier courtois accompli. Le retournement opéré par la série est intéressant, car Viviane n’éduque plus Lancelot, mais Arthur. Elle le guide, dès ses vingt ans, alors qu’il n’est pas encore sur le trône de Bretagne. Puis, elle le mène sur les routes de la quêtes du Graal, avant qu’Arthur ne commette l’adultère avec Mevanwi.

La faute d’Arthur : une tragédie

La faute d’Arthur semble tout droit sortir d’une tragédie grecque : elle est empreinte d’hubris. L’hubris est un crime d’orgueil commis par un mortel, comme Œdipe et ses parents. Comme Œdipe, Arthur s’est cru au-dessus des Dieux, comme le souligne Viviane : « Mais vous, vous préférez n’en faire qu’à votre tête : Lancelot s’en va ? Pas grave, qu’il s’en aille ! ». Cet enchaînement de questions rhétoriques, qui caricaturent la posture d’Arthur, en est la preuve. Arthur a refusé d’écouter la Dame du Lac, comme Lancelot lorsqu’il était petit, et ce refus a causé leur perte.

D’autre part, son ultime faute, l’échange d’épouses, amorce la tragédie de la série, comme l’annonce le cliffhanger du Livre IV, épisode La réponse :

« Siècle des larmes, hurlements

Au jour dieux, roi de Logres fait affront

Du Lac combattant frère à l’épée

Femme de Vannes épousée commet faute

Panique, ruine, fin d’un monde

Sur Terre sans démon ni sorcière

Vient dieu des Morts solitaire des frayeurs

 Du ciel à l’insulte la Réponse. »

La réponse est l’épisode 50 du Livre IV. Il correspond à la fin du premier tome de cette saison. À ce moment précis, le spectateur est dans l’attente des horizons possibles engendrés par cette annonce. Une épée de Damoclès plane désormais au-dessus de la tête des chevaliers, et nous ne savons pas encore quelle forme est prendra. Puis, un mystérieux personnage, « l’Homme en noir », dont le costume n’est pas, une fois encore, sans rappeler celui des siths dans Star Wars, se met à poursuivre Lancelot. Lancelot semble préoccupé par ce personnage intriguant, qui l’observe, tapis dans l’ombre. Entre eux, s’installe un rapport de séduction et d’angoisse. Lancelot écoute l’Homme, sans savoir pourquoi, mais il en a peur.

Méléagant, une métaphore de la folie de Lancelot ?

En outre, Lancelot est le seul à l’avoir aperçu. Dans l’épisode Corvus Corone du Livre V, Arthur demande à Guenièvre si elle a vu cet homme de ses propres yeux. Guenièvre répond par la négative. Cette réponse augmente le clivage fantastique [6] de la série. Dès lors, le spectateur s’interroge, il hésite entre deux hypothèses. Soit « l’Homme en noir » est un personnage maléfique, qui a le pouvoir de n’apparaître qu’à un seul homme, soit Lancelot est ravagé par la folie et plongé dans un délire paranoïaque.

Quand l’homme en noir se révèle à Arthur

Pourtant, Arthur finit lui aussi par voir « l’Homme en noir », qui se présente à lui comme un guide qui le ramène à Kaamelott, après son errance dans les terres à la recherche de ses enfants. Si « l’Homme en noir » peut être vu d’Arthur et Lancelot, cela signifie qu’il est, à l’instar de la Dame du Lac, une divinité envoyée par les Dieux pour guider ses élus. Cependant, la Dame du Lac mène Arthur sur le chemin de la Lumière, tandis que « l’Homme en noir » les mènent tous deux dans les ténèbres.

Lancelot : l’élu des ténèbres

Au cours du livre V, Lancelot se retire dans une grotte. Il y vit en ermite, mais « l’Homme en noir », lui rend régulièrement visite. Lancelot, intrigué, demande à l’Homme de lui dévoiler son nom. L’homme s’appelle en fait Méléagant. Il présente à Lancelot la marionnette Pupi d’Arthur, et lui explique qu’elle a subi un enchantement. Si Lancelot la plonge dans le feu, Arthur brûlera vraiment. Méléagant ordonne à Lancelot de tuer Arthur, mais il refuse, d’un geste brusque. A cause de sa maladresse, la poupée tombe dans les flammes. Sous les yeux désemparés de Lancelot, Méléagant lui explique alors qu’il a menti. La marionnette n’était pas ensorcelée. Il dit alors à Lancelot qu’il est prêt.

En fait, cette scène représente la relation qui unit les deux élus au guide : entre ses mains, ils ne sont que des pantins.[7] Méléagant lui révèle ses intentions vis-à-vis d’Arthur. Il ne veut pas le faire mourir, il préfère le faire souffrir au point qu’il se suicide. Il aime organiser le « sabordage » des Hommes. Le sabordage est un terme spécialisé en marine, il désigne le fait de couler volontairement un bateau en ouvrant ou créant des voies d’eau. C’est ainsi que finira Arthur à la fin de la cinquième saison : dans l’eau d’une baignoire, les veines ouvertes.

La nuit tombe sur le royaume de Kaamelott

D’ailleurs, « l’Homme en noir » apparaît aux côté de César, suicidé.[8] Son objectif est d’amener le chaos. Dans les textes médiévaux, Méléagant est celui qui mène le royaume d’Arthur à sa chute, que ce soit dans la série ou dans Le chevalier à la charrette,[9] ou encore, dans La mort du Roi Arthur.[10] Dans ces deux textes, Méléagant est un seigneur qui enlève la reine Guenièvre et qui serait défait par Lancelot. Guenièvre, dans la série, s’enfuit du château, mais Lancelot lui-même la retient prisonnière, poussé par Méléagant qui révèle en lui ses côtés les plus noirs. Le thème de la nuit est omniprésent dans Kaamelott.

La nuit est traitée sous un angle comique ou dramatique. Cette omniprésence pourrait s’expliquer par l’horaire de diffusion de la série : le soir, avant le Prime Time, voire, en Prime Time. La nuit fait échos au quotidien du spectateur. Elle fait aussi échos aux Ténèbres de la dépression qui submergent peu à peu le roi et son meilleur ami. Arthur et Lancelot sont deux élus, qui cherchent à atteindre le ciel et sa lumière, mais qui finissent par sombrer dans l’obscurité. Chacun d’eux est l’élu des Dieux. C’est Méléagant lui-même qui révèle à Lancelot qu’il est un élu, mais pas un élu « de ces Dieux-là ».[11] Cette tournure péjorative désigne les divinités de Lumière, le Dieu unique qui guide Arthur et ses chevaliers vers le Graal. Lancelot est donc un personnage profondément chaotique, il est l’élu des Ténèbres, et Méléagant, un ange du chaos.

Arthur : l’élu de la lumière

Le Roi Arthur, vêtu de noir, prêt à replanter Excalibur dans son rocher
Le Roi Arthur, vêtu de noir, prêt à replanter Excalibur dans son rocher
Source : Alexandre Astier, Kaamelott, livre V, Calt, 2007

           Arthur a le souci de rétablir la dignité des faibles, comme le lui a enseigné César. Ce n’est finalement pas par les armes qu’il le rend la gloire, mais toujours par la parole. Ce souci de l’éloquence est matérialisé par le médaillon que porte Arthur, représentant le Dieu Ogma. Le Dieu Ogma est le Dieu celte qui terrasse ses ennemis par l’éloquence. Ce médaillon a été fabriqué par Anton, son père adoptif. Dans le Livre V,[12] Méléagant mène Arthur à Anton. Anton explique sa promiscuité avec le petit Arthur, qu’il a élevé jusqu’à ce qu’il soit envoyé en camp militaire.

Le chevalier considérait l’enfant comme son fils, alors qu’il n’en était pas le père biologique. Arthur est désemparé, car il comprend non seulement d’où il vient, mais aussi, ce qu’il a perdu toutes ces années loin de son père adoptif. Méléagant attire alors le regard d’Arthur et de son hôte sur les médaillons qu’Anton fabrique. Le chevalier demande à Arthur de montrer le sien. Arthur s’exécute, puis s’excuse alors de n’être jamais revenu. Il lui dit qu’il ne parle plus beaucoup, et qu’en vieillissant, il se contente de ne plus l’ouvrir du tout. Le chevalier se lève et part. Anton choisit de noyer son chagrin dans l’alcool.

Un cheminement intérieur

La trame scénaristique est dès lors plus proche du Road movie que de la shortcom. Méléagant mène Arthur sur les chemins les plus magnifiques de Bretagne, et il le mène non sur les sentiers du Graal, mais aussi à se confronter à ses craintes et ses souvenirs oubliés. Méléagant a d’ailleurs expliqué à Arthur que le chemin n’était pas normal, mais qu’il était son rôle de le conduire sur celui-ci.[13]

Méléagant amène ensuite Arthur dans un camp de comédiens, des saltimbanques, « des amis » comme il les nomme. Il lui explique que ces gens-là, comme lui, sont au-dessus des considérations politiques, comme le Graal. Plus tard, dans le camp, Arthur se dispute avec son guide et un comédien à propos du chemin qu’ils ont pris. Il hurle qu’il pourrait faire raser le camp. Alertée par les cris, Prisca sort de sa tente et se présente à eux pour leur demander de se calmer. Elle reconnaît Arthur et le salue.

Le soir, Arthur et Méléagant assistent à une représentation théâtrale d’une fable d’Esope : Le garçon qui criait au loup. Les comédiens appellent le public à participer sur scène. Ils désignent Méléagant pour incarner un mouton, et Arthur le loup. La représentation théâtrale est d’ailleurs une métaphore de la rencontre de l’élu avec ses guides. Les rôles sont en fait inversés : Méléagant est celui qui dévore les rêves et les espoirs d’Arthur. Viviane a longuement crié au loup, avant que le loup véritable ne pointe le bout de sa truffe. Arthur n’est qu’un mouton qui s’est laissé berner.

L’homme en noir : un guide funèbre

Le guide, durant cet itinéraire, devient un passeur entre les mondes : le monde humain et le monde divin. Méléagant n’est pas seulement la Réponse à la faute commise par Arthur, il est aussi la Réponse des Dieux à la question d’Arthur : a-t-il eu des enfants et en aura-t-il un jour ?

Pourtant, la Réponse n’est pas sincère, au contraire, elle est illusoire et mensongère. Méléagant a la particularité de manier les apparences, et de pouvoir prendre le contrôle des songes prophétiques de Prisca. Il lui fait dire ce que craint Arthur, mais ce n’est pas nécessairement la vérité. Comme Ogma, Méléagant a terrassé Arthur par son éloquence. Arthur perçoit alors ses quêtes comme des échecs qui le mènent à se saborder.

La dame du Lac et l’homme en noir : l’incarnation de la loyauté et du chaos

Cette opposition entre les différents types de Dieux et les vision des personnages est une référence aux jeux de rôles. Les joueurs décident de l’alignement du personnage qu’ils incarnent, ou, de leur moralité et de leur éthique. Dans cette perspective, les joueurs peuvent aussi choisir la religion qui correspond aux aspirations de leur personnage, suivant une grille précise. L’alignement se définit sur six axes dans Donjons et Dragons, le premier et le plus célèbre des jeux de rôles : l’axe loyal (ceux qui chérissent les lois), l’axe neutre, et l’axe chaotique (ceux qui ne respectent pas la loi), auquel il faut ajouter trois autres axes (bon, neutre, ou mauvais), ce qui donne neuf possibilités de jeu (en me donnant par la même occasion, l’impression d’être dans une taverne à expliquer les règles du cul de chouette).

Un personnage peut être loyal mauvais (et donc chercher à dominer le monde tout en respectant scrupuleusement ses règles), chaotique bon (un rebelle), neutre neutre (désirant ne pas passer pour un mouton, mais raté, tout en adoptant la sociabilité digne d’un papier peint).[14] Viviane est clairement un personnage loyal bon, tandis que Méléagant est un chaotique mauvais. Quant à Arthur et Lancelot, ils sont respectivement loyal mauvais (Lancelot) et chaotique bon (Arthur). En considérant l’alignement respectif des personnages, on observe un croisement entre eux : Viviane, loyal bon entraîne un chaotique bon, tandis que Méléagant, chaotique mauvais, entraîne un loyal mauvais.

La rencontre tragique 

Enfin, la rencontre entre Viviane et Méléagant est tragique.[15] Méléagant l’amène à Lancelot, et Viviane comprend alors la gravité de la situation. Lorsqu’elle tente ultérieurement de prévenir Arthur, il est déjà trop tard. Le roi est devant l’épée, mais ne veut plus la reprendre. Il la voit, comme la Dame du Lac, non plus comme un don divin, mais comme un fardeau. Cet épisode s’intitule Aux yeux de tous III. Deux autres épisodes portent le même nom, l’un dans le Livre I, l’autre dans le Livre IV. Dans le premier épisode, la Dame du Lac rencontre des difficultés avec sa magie, et apparaît aux yeux de tous, sauf à ceux d’Arthur.

Dans le Livre IV, la Dame du Lac est bannie, et apparaît donc aux yeux de tous. Elle explique à Arthur qu’elle ne sait rien faire : ni manger, ni se laver, ni dormir. Elle n’en a jamais eu besoin. En fait, en tant que divinité, elle était loin des préoccupations quotidiennes du roi et de ses sujets. Ironiquement, elle se trouve donc incapable de vivre comme eux, alors qu’elle était censée guider Arthur. Dans l’épisode Aux yeux de tous III, Lancelot la reconnaît enfin. Elle reconnaît Méléagant. De plus, elle sait que les engrenages d’une tragédie sont engagés, et que la fin du royaume se précipite. Toutefois, elle tente de prévenir Arthur, lorsqu’il revient au rocher, mais celui-ci, découragé, décide d’abandonner.

Conclusion

En définitive, les chemins des élus sont finalement à la fois croisés et parallèles : Arthur est l’élu de la Lumière mais sombre dans l’obscurité, tandis que Lancelot est l’élu du chaos et entreprend une quête perpétuelle de Lumière, jusqu’à la fin de la saison V. Tous deux sont guidés par des anges, et tous deux échouent leur quête initiale. Peut-être ne pouvait-il en être autrement, après tout, pour pouvoir approcher et toucher la lumière de près, il faut être passé par les ténèbres et l’obscurité.

Sur ce,

Longue vie et prospérité.

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[1]Alexandre Astier (real.), Kaamelott, Livre II, Le Rebelle, M6 Vidéo, 14/06/2006
[2]Sauf dans l’épisode Aux yeux de tous, dans le Livre I, où Viviane, rencontrant des difficultés avec sa magie, devient invisible aux yeux d’Arthur et visible aux yeux de tous. [3]Alexandre Astier (real.), Kaamelott, Livre IV, La Révoquée, M6 Vidéo, 26/09/2007 [4]Alexandre Astier (real.), Kaamelott, Livre V, La roche et le fer, M6 Vidéo, 19/11/2008 [5]Alexandre Astier (real.), Kaamelott, Livre V, Jizô, M6 Vidéo, 19/11/2008 [6]Selon la définition de Todorov dans Introduction à la Littérature fantastique, le spectateur hésite entre une explication surnaturelle et une explication rationnelle de la situation.
[7]Alexandre Astier (real.), Kaamelott, Livre V, Le dernier jour, M6 Vidéo, 19/11/2008
[8]Alexandre Astier (real.), Kaamelott, Livre VI, Lacrimosa, M6 Vidéo, 25/11/2009
[9]Chrétien de Troyes, Œuvres complètes, édition et traduction sous la direction de Daniel Poiron, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1994
[10]E.Abry, C.Audic, P.Crouzet, Histoire illustrée de la Littérature française, H.Didier éditeur, 1941
[11]Alexandre Astier (real.), Kaamelott, Livre V, La roche et le fer, M6 Vidéo, 19/11/2008
[12]Alexandre Astier (real.), Kaamelott, Livre V, Le garçon qui criait au loup, M6 Vidéo, 19/11/2008
[13]Ibid
[14]La Rédaction s’excuse auprès de tous les papiers peints.
[17]Alexandre Astier (real.), Kaamelott, Livre V, Le dernier jour, M6 Vidéo, 19/11/2008

Published in Kaamelott Les rubriques de nos Chefs étoilés Pop culture et confiture (théories de fans et analyse) Théorie de Fan

17 Comments

  1. Vifs applaudissements !
    Je crois que tout a été dit, même mieux formulé que le brouillon dans ma tête autour de ce sujet. Je crois que c’est d’ailleurs pour ça que j’apprécie autant Kaamelott, cette profondeur du récit, et cette « noirceur » osée dans le ton comique mis en avant à l’origine. J’ajouterais tout de même que Méléagant joue plus simplement son rôle d’ennemi « juré » d’Arthur, même si tu le dis bien sûr ^^
    Merci pour ce superbe article autour de Kaamelott, je lis tout ça avec passion !

    • Merci beaucoup pour ton enthousiasme et tous nos échanges 🙂 N’hésite surtout pas à partager notre blog et les articles, et à nous envoyer les tiens par mail ! À bientôt ! Tsilla

  2. Mel Mel

    Merci pour cette analyse détaillée et très juste qui fait honneur au génie Astier et dont j’avais surtout besoin pour percevoir tous les détails, toutes les références et tous les sous-entendus si nombreux, comme la métaphore du garçon qui criait au loup, qui m’avaient échappé ! On y retrouve ou découvre ainsi parfaitement l’univers complexe, chaotique et merveilleux de la série.
    Sur ce,
    Longue vie (assez longue j’espère pour voir la fin au cinéma) et prospérité.

    • Merci beaucoup pour ton commentaire ! J’espère pouvoir encore t’éclairer davantage sur les prochains articles !

  3. Tres bon article, c’est toujours interessant de s’interessé a ce genre de complicité dans une serie aussi bien ecrite en esperant que les films nous permettrons d’en savoir plus sur ce mysterieux Méléagant !

    • Merci ! Oui j’espère qu’on aura plus de réponses sue la réponse 😉 et surtout sur son rôle. Merci pour le commentaire. À bientôt.

  4. Marc Marc

    Analyse juste mais complètement « basique » … N’importe qui qui regarde Kaamelott prend des notes au fil des épisodes et résume tout ca comme ca …
    C’est simplement un résumé de ce qu’il se passe, pas une analyse ..

    • Merci pour ton commentaire. Puisque tu te sens de le faire, je te propose d’écrire un article pour la revue de la toile 😉 à bientôt.

  5. Ichan Ichan

    TLDR

  6. […] Kaamelott lui est dédié, une rose porte son nom, ainsi qu’une allée ! Louis de Funès est l’acteur le plus prolifique de sa génération. Comédie, doublage, théâtre, danse, chant : il savait tout faire. Il avait les arts du spectacle dans le sang. Aujourd’hui, nous avons décidé de lui rendre hommage en vous proposant de revenir brièvement sur ses meilleurs films. […]

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