La version Netflix du Gupéard, Il Gattopardo, se pose comme un successeur ambitieux, à la fois de l’adaptation du film de Luchino Visconti et du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Elle reprend l’essence du récit – la lente agonie d’un monde ancien face à l’avènement du nouveau – tout en y insufflant une énergie contemporaine et un regard plus politique.
Réalisée par Tom Shankland (avec la collaboration de Giuseppe Capotondi et Laura Luchetti) et produite par Indiana Production (Fabrizio Donvito) en partenariat avec Moonage Pictures (Will Gould, Frith Tiplady), la série se déploie sur six épisodes et met en scène un casting de premier plan : Kim Rossi Stuart dans le rôle du Prince de Salina, Benedetta Porcaroli dans celui de Concetta, Deva Cassel en Angelica, et Saul Nanni en Tancrède.
Résumé du Guépard
Le récit se déroule en Sicile, au milieu du XIXᵉ siècle, à l’heure où l’Italie s’apprête à s’unifier sous la bannière du Risorgimento. Tandis que les troupes de Giuseppe Garibaldi, les célèbres chemises rouges, débarquent sur l’île et renversent l’ordre établi, la noblesse sicilienne voit vaciller les fondements d’un monde figé dans ses privilèges et ses certitudes.
Au cœur de cette tourmente historique, se dresse Don Fabrizio Corbera, Prince de Salina, figure d’un ordre en voie d’extinction. Il observe avec lucidité et mélancolie les derniers feux de sa caste, contemplant ce monde qu’il sait condamné. Tancrède, son neveu, choisit de rejoindre la révolution et les idéaux du nouveau royaume, convaincu que tout doit changer pour que tout reste comme avant. Amoureuse de son cousin, Concetta, déchirée entre loyauté familiale et désir d’émancipation, se retrouve prise au cœur d’un tourment qui va faire basculer sa vie lorsqu’Angelica, fille d’un notable arriviste, fait irruption dans la sphère de l’aristocratie.
Mon avis pas du tout objectif sur Le Guépard
Un hommage assumé à Visconti
L’hommage à Visconti est évident du début à la fin de la série : dans la composition des plans que dans la lenteur choisie de certaines séquences, dans les scènes où la caméra laisse parler les regards quand les mots se taisent. Chaque scène a fait l’objet d’une esthétique picturale. Chaque éclat de lumière semble renvoyer au cinéma des années 1960 et à son goût du faste mélancolique.
Sous l’œil de la caméra, la Sicile resplendit : elle devient un personnage à part entière, une entité historique qui semble immuable et qui nous entraîne dans ses processions, ses traditions, ses paysages, sa chaleur… Chaque image épouse parfaitement l’âme de l’île, avec une justesse rare, captant autant la poussière des chemins que l’or des palais. La photographie est une véritable réussite, portée par des costumes somptueux, des décors majestueux et une musique classique d’époque (Haendel, Verdi, Strauss) qui accentue la nostalgie de l’ensemble. Chaque plan a été pensé comme un tableau pour donner corps et vie à une forme de dolce vita crépusculaire.
Une histoire qui revisite le mythe du Guépard
Plusieurs partis pris sont assumés : la reprise de certaines scènes de Visconti, comme le pic-nique à mi-parcours de Donnafugata ; le casting qui évoque presque le duo mythique Burt Lancaster (le prince de Salina dans la version de Visconti)/Alain Delon (Tancrède); et un resserrement de l’intrigue autour du triangle amoureux Angelica–Tancrède–Concetta. Toutefois, certains personnages et certaines intrigues ont été réécrites pour que l’intime et le politique se mêlent davantage, et s’adaptent mieux aux aspirations plus modernes.
Un casting prestigieux et une mise en scène picturale
Le Prince de Salina apparaît plus dur, plus corrompu, mais toujours aussi noble. Observant le monde qui l’entoure avec la lucidité et l’élégance qui le caractérisent. Tancrède se fait plus rêveur et idéaliste tout en restant très opportuniste, tandis qu’Angelica affirme une modernité plus tranchante. Concetta, quant à elle, gagne une véritable épaisseur dramatique : elle s’affranchit enfin de la tutelle de son père sans s’en émanciper jamais totalement et trouve une forme d’indépendance que ni le roman ni le film de Visconti n’avaient pleinement développée. D’autres personnages ont été davantage soignés comme Paolo, ou Stella, la femme du prince. Les personnages secondaires comme Segara possèdent leur propre intrigue et sont pleinement investis dans l’histoire. Tous les personnages sont interprétés avec brio par des acteurs et actrices de talent.
Ces ajouts narratifs viennent étoffer l’univers et développer ambitieusement les personnages, quand des omissions, comme l’absence de la gouvernante, renouvellent la dynamique sans trahir la trame originelle. Cependant, la série souffre parfois de sa densité symbolique. Certaines scènes sont trop longues, et ne desservent nullement le drame. La volonté de tout dire, de tout montrer – le pouvoir, la sensualité, la mort du monde ancien – finit parfois par alourdir la narration.
Le Guépard : une série historique engagée et contemporaine
La série choisit aussi d’ancrer plus fortement l’histoire dans son contexte révolutionnaire. La présence à l’écran de Garibaldi, de scènes de combat violentes sont d’autant de métaphores de la ferveur populaire qui s’exprime et explose à l’écran. La Sicile semble pleinement impliquée dans son destin, et ce que vivent les Salina comme un drame est présenté comme une bénédiction pour un peuple qui se meurt sous le joug de la principauté italienne.
Cette approche rend ce biopic plus vivant, au risque de faire déborder le cadre intime du roman original, et d’inverser parfois les rôles. Ainsi, le prince de Salina, apparaît figé dans ses principes, se montrant lucide sur tout, sauf sur lui-même et sur la forme de décadence qu’il incarne. Tous les personnages oscillent ainsi entre l’ombre et la lumière, mouvant dans leur complexité. Ils finissent par devenir le centre d’une tragédie existentielle qui résonne d’autant plus dans un contexte révolutionnaire.
Adapter le Guépard de nos jours est une piqûre de rappel plus que nécessaire dans nos démocraties actuelles, qui sont en souffrance. En effet, l’unification du pays s’est construite dans le sang, mais aussi dans l’espoir de voir tomber un régime corrompu. Le Guépard fait une résonance subtile en passé et présent, nous rappelant que les blessures de l’Histoire, loin de s’effacer, continuent de cicatriser dans notre présent.
En conclusion,
L’ensemble est magnifique, sincère et émouvant. En six épisodes, la série réussit à réinventer le mythe sans le dénaturer. L’esprit du Guépard demeure : la conscience d’une fin inévitable, la nostalgie d’un monde qui bascule, l’émancipation d’une jeunesse ambitieuse. La tension tragique entre la lucidité et l’impuissance de la famille Salina est à son paroxysme. C’est une adaptation riche, audacieuse, parfois excessive, mais qui, au fond, capture exactement ce que Lampedusa écrivait : « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change. »
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Rédigé par Tsilla
Rédactrice en Chef, ex-Enseignante en Lettres Classiques certifiée, Autrice de roman, Scoute toujours, Jedi à ses heures perdues, Gryffondor.


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