Vous souvenez-vous de ce petit anime kawaii populaire auprès des adolescentes otaku dans les années 2010 ? Eh bien, ce n’est pas exagéré de vous dire qu’Hetalia est probablement le manga le plus problématique de tous les temps. Il a d’ailleurs déclenché une sérieuse polémique en Corée du Sud.
Entre clichés racistes, blagues sexistes et propagande révisionniste, son aspect tout mignon cache un contenu terriblement nocif. Alors, pourquoi Hetalia est-il, aujourd’hui encore, si peu dénoncé ? Petit décryptage…
Qu’est-ce que Hetalia ?
Hetalia est un manga de Hidekaz Himaruya, publié depuis 2006 et adapté en anime. C’est un manga humoristique composé de petits gags de quatre cases chacun. Il n’est pas publié en France, mais le public a facilement accès à des traductions sur internet. Si le manga est assez court et décousu, son adaptation en anime rend l’histoire plus linéaire. Les polémiques principales visent donc surtout l’anime.
Le titre est un jeu de mot entre « heta » (« pas doué ») et « Italia » (« Italie »). Il signifie donc littéralement « Italie pas douée ». Le principe du manga est de représenter chaque pays du monde par un personnage kawaii (« mignon ») et de s’en servir pour raconter l’histoire mondiale sur un ton parodique. Il prend pour personnage principal l’Italie, présenté comme bête et maladroit, dont les mésaventures servent de gags récurrents. Le manga parodie les grands conflits géopolitiques, ainsi que les deux guerres mondiales. Il joue également sur les codes du yaoi (manga mettant en scène des romances entre garçons, à destination d’un public féminin) pour raconter les liens d’amour-haine entre les pays. Mais sans tomber véritablement dans la romance. Cela lui a néanmoins permis de rencontrer un grand succès auprès des jeunes adolescentes.
L’idée de raconter les Guerres mondiales de manière mignonne et comique constitue déjà un problème en soi, surtout que la visée du manga n’est pas d’en dénoncer les atrocités par l’humour contrairement à d’autres œuvres comme La vie est belle. Puisque cela revient à minimiser des évènements horribles, qui ont fait des millions de morts. Mais nous n’en sommes encore qu’au début des éléments problématiques…
Le manque de diversité dans la représentation des personnages :

Un des choix les plus critiquable est avant tout la représentation genrée des pays : presque tous sont des garçons. Alors qu’il aurait été préférable d’utiliser des personnages féminins pour certains pays, comme la France. En l’occurrence, la France utilise habituellement Marianne comme allégorie de sa nation. Mais le manga a décidé arbitrairement que la plupart des personnages seraient des hommes ! On peut aussi relever des incohérences dans les âges des personnages. Certains pays sont plus anciens que d’autres et présentés comme plus jeunes.
Ensuite, beaucoup de gags reposent sur des clichés plus ou moins flatteurs… Italie mange des pizzas. France est un séducteur. États-Unis est un intellectuel moralisateur. Allemagne est un militaire qui crie tout le temps… En fait, le seul personnage qui n’est pas ridiculisé est Japon ! C’est le seul qui est calme et sérieux.
Enfin, tous les pays ne sont pas représentés ! Si les pays d’Europe et d’Asie sont très détaillés, on ne trouve que quelques pays pour l’Afrique et l’Amérique latine…
Le contenu problématique :
En anime, il existe plusieurs séries Hetalia. La série principale est Hetalia : Axis Powers, littéralement « Hetalia : les puissances de l’Axe ». Comme son nom l’indique, elle raconte les aventures d’Italie, Allemagne et Japon à la Seconde Guerre mondiale. Le joueur du Grenier aurait de quoi faire des vidéos jusqu’à la fin de ses jours rien que sur cette série…
Pour commencer, c’est du révisionnisme éhonté !
L’anime ne suit pas du tout la chronologie des évènements. La Seconde Guerre mondiale a commencé dès 1937 en Asie, avec l’invasion de la Chine par le Japon et le massacre de Nankin. Puis en 1939 en Europe, avec l’invasion de la Pologne par l’Allemagne. Les États-Unis n’entrent en guerre qu’en 1941, en réaction à l’attaque de Pearl Harbor… Or, dans cet anime, on n’entend parler ni du massacre de Nankin ni de la Pologne ! On a l’impression que les États-Unis, la Chine, la Russie, la France et l’Angleterre participaient tous dès le début et ont attaqué l’Axe en premier. Hetalia suggère même que la Chine projetait d’envahir le Japon, dans une scène très brève où Chine montre une carte du Japon, en affirmant que c’est chez lui.
L’idée que le Japon ne faisait que se défendre contre des complots ennemis est une théorie révisionniste malheureusement répandue dans l’archipel. Une variante de cette théorie, qui est même parfois racontée aux touristes par les guides japonais, est que les Américains auraient prévu l’attaque de Pearl Harbor et se seraient volontairement laissés attaqués car ils n’attendaient qu’un prétexte pour entrer en guerre.
La série est très difficile à suivre, en raison de sa chronologie désordonnée et de son scénario décousu. Cet anime suit le modèle des sitcoms. Il se présente comme un enchaînement de scénettes apparemment sans lien entre elles, avec un rythme très rapide. Cela s’explique par le fait que le manga original n’était qu’une suite de petits gags. Et c’est pourquoi il a reçu globalement peu de critiques : difficile de critiquer lorsqu’on ne comprend pas tout à l’histoire…
Le trio de l’Axe : Allemagne, Japon et Italie
Pour résumer la dynamique de ce trio : Allemagne est le leader ; Japon est le lèche-botte ; Italie est un gros boulet ! L’idée semble être : « Si on est entré en guerre, c’est à cause de l’Allemagne. Si on a perdu, c’est à cause de l’Italie. » Ce qui, une fois de plus, est faux puisque le Japon n’obéissait pas à l’Allemagne et avait ses propres ambitions. Il voulait diriger un empire colonial « de la Grande Asie orientale ». Notons aussi qu’Italie n’a été choisi comme personnage principal que pour être mieux ridiculisé : c’est particulièrement insultant !
Durant l’épisode 6, on a donc droit à une scène d’amitié touchante où les trois protagonistes scellent leur alliance en mangeant des marshmallows sur la plage, dans un paysage romantique ! Ils répètent chacun le mot « axe » dans leur langue respective et expliquent qu’ils ont choisi ce nom car ils forment un axe autour duquel le monde tourne. Ah, quel moment émouvant…
Enfin, dans cet anime, on a l’impression que les Alliés passent leur temps à attaquer les pauvres Italie, Allemagne et Japon qui ne font bien sûr rien de mal ! Mais précisons que ce qu’on appelle « attaquer » dans Hetalia signifie juste venir embêter, par exemple en jetant des tomates. Puisque les pays sont symbolisés par un seul personnage, il n’y a pas de morts, pas de batailles, pas de victimes civiles, pas de massacres. On a l’impression que les personnages ne font que jouer.
Certains objectent qu’il est normal de raconter l’Histoire du point de vue de l’Axe, puisque l’anime est japonais. Mais le problème est que cet anime n’a aucune réflexion sur la période, raconte des mensonges historiques, présente la guerre comme un jeu et romantise une alliance militaire ! Il existe des mangas très pertinents sur la Seconde Guerre mondiale, comme Gen d’Hiroshima. Et des films d’animation comme Dans un recoin de ce monde et Le Tombeau des lucioles. Mais Hetalia n’apporte vraiment rien.
Les Alliés : États-Unis, Chine, France, Angleterre et Russie
Pour commencer, la présence de France et Chine dans ce groupe est discutable : c’est très gentil de faire comme si on avait toujours été dans le game, mais à cette époque la France et la Chine étaient surtout des pays occupés ! Pour bien faire, il aurait fallu représenter la France libre et la France occupée par deux personnages différents. Mais, évidemment, l’anime n’a absolument pas prévu les histoires d’occupation ! Non seulement il n’en parle pas mais, au contraire, c’est plutôt Italie qui se fait parfois capturer par les Alliés… Qui sait ? La série se déroule peut-être dans un univers parallèle où tout est inversé ?
Si Chine et États-Unis sont présentés comme des ambitieux, France, Angleterre et Russie sont en revanche des petits antagonistes plutôt sympathiques. France et Angleterre sont d’ailleurs souvent shippés (mis en couple) par les fans. Et le seul passage potable de cet anime est leur histoire d’amour-haine, avec notamment la guerre de Cent Ans.
Quant à Russie, on nous raconte son histoire de famille compliquée avec les pays d’Europe de l’Est… Dont certains gags passent aujourd’hui très mal, en rétrospective ! Par exemple l’épisode où l’on nous explique qu’Ukraine adore son frère Russie et a toujours rêvé de vivre avec lui.
Les gags sexistes et les codes yaoi
Ajoutons qu’Ukraine est l’un des rares pays représentés par une femme. Pourquoi ? On ne sait pas. En tout cas, cela permet de multiplier les blagues sur ses seins chaque fois que ce personnage est présent.
Hetalia est un manga atypique car il joue à la fois sur des gags sexistes (plutôt destinés aux garçons) et des gags yaoi (qui visent le public féminin). Alors que les mangas au Japon sont habituellement très genrés : ils visent soit les garçons soit les filles.
Il semble que jouer à la fois sur le hentai et le yaoi soit une stratégie visant à attirer un plus large public. Mais, étant donné qu’il n’y a pas d’érotisme en dehors de ces blagues lourdes, le manga attire surtout les jeunes adolescents et adolescentes. Ce qui est très problématique, car il s’agit d’un public qui n’a pas encore eu de cours d’Histoire approfondis.
Le manga mélange des épisodes historiques réels parfois bien documentés avec des mensonges parfaitement grossiers. Un collégien moyennement cultivé aura donc du mal à distinguer le vrai du faux.
La réception d’Hetalia à travers le monde :
La polémique en Corée

L’auteur d’Hetalia, Hidekaz Himaruya, s’était déjà fait remarquer avec une courte série intitulée MoeKan qui mettait en scène une jeune fille coréenne ayant une peur irrationnelle des Japonais. Ce qui a été interprété comme une référence au fait que le Japon a tenté plusieurs fois d’envahir la Corée au cours de son Histoire.
Dans Hetalia, Corée est un garçon qui tente d’agresser sexuellement Japon. La scène laisse entendre qu’il s’agit d’une métaphore pour les tensions diplomatiques autour des îles Liancourt (appelées Dokdo en coréen et Takeshima en japonais), revendiquées par les deux pays.
Le scandale prend rapidement de l’ampleur, au point que le gouvernement coréen déclare ce manga insultant pour son pays. Suite à quoi il a été décidé que le personnage de Corée serait retiré de l’anime.
Les analyses japonaises :
Beaucoup d’analyses mettent en avant les points positifs de Hetalia pour le public japonais. Les Japonais sont habituellement très ethnocentrés, mais les personnages charismatiques de ce manga (Angleterre, France, etc.) ont poussé les fans à s’intéresser à d’autres cultures et même à faire des recherches dessus ! Le manga a aussi eu un impact important dans le monde du yaoi, qui constitue un espace de libération pour les jeunes femmes japonaises.
Le concept de « négationnisme » n’existe pas vraiment au Japon, qui n’a pas appliqué de lois mémorielles ni de devoir de mémoire. Aussi, les analystes ne comprennent pas les critiques portées contre ce manga. Ils admettent qu’il est très éloigné de l’Histoire réelle, mais le voient simplement comme une œuvre comique et sans profondeur. Leurs analyses se concentrent plutôt sur le « complexe d’infériorité » du Japon par rapport à l’Occident. Car Japon a une personnalité timide dans le manga, tandis que les personnages occidentaux sont plus dynamiques.
Cependant, ce que les analystes interprètent comme de l’autodénigrement est précisément ce que l’on reproche à Hetalia : Japon est présenté comme une victime, à une époque où c’était lui l’agresseur.
Ils soulignent néanmoins que ce manga ne plaît pas aux nationalistes, en raison des blagues à caractère érotique entre les nations et du rôle passif de Japon. Il encourage plutôt l’ouverture sur le monde en invitant à fantasmer sur l’Occident. Enfin, il faut préciser que ce manga satirique s’adressait plutôt à un public adulte au Japon. C’est en Occident que l’anime Hetalia est devenu très populaire auprès des collégiens.
La réception en France :
Les universitaires français relaient l’analyse japonaise. Ce manga n’a pas de visée politique. Il est au contraire subversif, car il ridiculise les opérations militaires avec ses blagues sexuelles et ses codes yaoi.
Toutefois, malgré sa popularité dans les années 2010, Hetalia n’a jamais été publié en France et l’anime n’est jamais sorti en DVD. Tandis qu’il est publié dans les pays anglophones.
Les maisons d’édition craignaient-elles une interdiction légale ? Les lois sur le négationnisme ne concernent que la Shoah, elles n’incluent pas la négation des crimes de guerre commis par l’armée japonaise en Chine et en Corée. Le manga n’aborde pas le sujet de la Shoah, mais le simple fait de ne pas en parler pourrait sans doute être considéré comme du négationnisme. Néanmoins, il reste plus nocif pour le public japonais que pour des Européens car ses mensonges concernent surtout les rapports entre Japon, Chine et Corée.
La communauté de fans :
Les fans défendent évidemment beaucoup ce manga, auquel ils sont attachés pour ses personnages mignons plus que pour son scénario. Des fans occidentaux disent même s’être passionnés pour la géopolitique grâce à Hetalia.
Bien sûr, il y avait eu à sa sortie des vagues de réactions négatives sur les forums et les réseaux sociaux, notamment des accusations de racisme en raison des clichés sur les pays. Mais, ce manga étant passé de mode, on n’en entend plus trop parler aujourd’hui.
On peut cependant encore trouver sur internet des AMV (« anime music video ») multilingues réalisés par des fans sur des chansons populaires célèbres : Disney, comédies musicales françaises, etc. Ces AMV qui circulaient beaucoup dans les années 2010 témoignent de l’ampleur du fandom autour d’Hetalia :
Suite au succès de l’anime, il y a bien sûr eu des produits dérivés (porte-clés, pins, etc.). Ce qui est tout aussi discutable, car cela signifie que les fans pouvaient se promener avec des objets kawaii représentant des soldats allemands ou japonais de la Seconde Guerre mondiale ! Les personnages du manga sont presque tous en uniformes militaires, donc ils ne représentent pas seulement un pays mais aussi une armée…
En fait, ce qui plaît tant aux fans dans Hetalia, c’est la représentation des pays avec quelques clichés amusants, les designs kawaii des personnages et les histoires d’amitié entre les pays. Donc cet anime aurait peut-être pu être mignon s’il s’était intéressé aux pays d’un point de vue purement culturel, plutôt que militaire et diplomatique.
Les stéréotypes sur les pays : un problème généralisé dans les anime…
Sans aller aussi loin qu’Hetalia, de nombreux mangas et anime utilisent des stéréotypes parfois douteux sur les pays. Par exemple, les opening et ending d’anime incrémentent des phrases en allemand lorsqu’ils veulent paraître sombres ou gothiques. En Occident, on utiliserait plutôt le latin, qui évoque l’Inquisition au Moyen Âge. On peut aussi évoquer le manga Ring ni kakerô de Masami Kurumada qui, comme Hetalia, caricature les Français en séducteurs et les Allemands en nazis.
Le kawaii : une arme dangereuse ?
Comme l’enseigne l’excellent anime Madoka Magica, méfiez-vous toujours de ce qui est mignon ! La culture kawaii est à l’origine un instrument de libération pour les femmes japonaises, car elle symbolise un refus de grandir et d’assumer les rôles traditionnels de mère et d’épouse. Mais le kawaii a aussi des désavantages, de par son côté infantilisant. Et il est devenu depuis extrêmement commercial…
Les mascottes kawaii peuvent conquérir les foules et garantir le succès immédiat d’un produit. Et ce, pas seulement au Japon : pensez à Grogu (« bébé Yoda ») dans The Mandalorian ! On peut aussi l’utiliser pour faire paraître mignon quelque chose qui ne l’est pas. Au Japon, il existe des mascottes pour tout, même pour la police ! La mascotte de la police s’appelle Peopo et possède une antenne sur la tête pour symboliser la surveillance des citoyens. On vend même des Peopo en peluche, soit des produits dérivés de la police… Avouez que c’est terrifiant !
Mais la question que pose Hetalia est surtout : Comment un anime avec un si mauvais scénario et un contenu si problématique a-t-il pu conquérir un si vaste fandom ? Y compris en Chine, où les fans auraient pourtant dû s’insurger contre le révisionnisme japonais ! Le seul pays où Hetalia a vraiment été boycotté est la Corée. Apparemment, son succès réside uniquement dans son humour et dans ses personnages mignons, qui sont plus importants pour les fans que l’histoire racontée.
Sources :
BOUVARD Julien, Manga politique, politique du manga. Histoire des relations entre un medium populaire et le pouvoir dans le Japon contemporain des années 1960 à nos jours. Sous la direction de Jean-Pierre Giraud, Université Lyon III Jean Moulin, décembre 2010.
FERNÁNDEZ GARCÍA Bárbara, Guide du kawaii, Paris, Ynnis Éditions, 2025.
MIYAKE Toshio, « Doing Occidentalism in Contemporary Japan: Nation Anthropomorphism and Sexualized Parody in Axis Powers Hetalia« . In: NAGAIKE Kazumi, SUGANUMA Katsuhiko, Transnational Boys’ Love Fan Studies; special issue of Transformative Works and Cultures, N°12, 2013.
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Rédigé par Umeboshi
Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.


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