Susan Mayer, l’un des personnages principaux de Desperate Housewives, s’est vue affublée d’un surnom fort sympathique par la sphère de la Toile. Mais le mérite-t-elle vraiment ?
Susan Mayer a longtemps été présentée par les médias comme une héroïne gaffeuse, mais sympathique. Une mère bienveillante, quoique irresponsable. Si, ces derniers temps, internet lui a accolé le surnom de « Susan la conne », et en a fait un mème, Susan est en fait manipulatrice et beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. Maladroite, certes, elle l’est, mais elle est loin d’être idiote. Comme la plupart des femmes de Wisteria Lane, Susan est avant tout désespérée.
C’est ce leitmotiv qui a fait le succès de Desperate Housewives : nous peindre la souffrance quotidienne et la banalité du chaos intime, dans l’ambiance aseptisée d’une banlieue américaine privilégiée. C’est même la raison pour laquelle, Laura Bush, femme de George W. Bush et première dame des États-Unis sous sa mandature, a proclamé fièrement être une « Desperate Housewife », lors du White House Correspondents Dinner en 2005[1]. Paradoxalement, à cette époque, toutes les desperate housewives de la série incarnaient une réalité quotidienne, et Susan Mayer jouissait d’une réputation plus que favorable.
Desperate Housewives, une série en réévaluation permanente
Récompensée à de multiples reprises, acclamée par la critique et par l’épouse d’un ancien président américain, la série iconique continue de captiver. Depuis que Desperate Housewives est disponible sur Disney+ et sa popularité a connu un regain. Néanmoins, vingt ans plus tard, les critiques portent un autre regard sur les personnages, et le traitement de certaines thématiques.
Tom Scavo, pressenti comme le mari idéal dans les années 2000, est aujourd’hui décrit comme profondément toxique[2]. Edie Britt, la « croqueuse d’hommes » (et surtout d’ex-maris), mi-pin-up, mi-Barbie, s’est vue quant à elle réhabilitée, que ce soit par sa storyline chaotique et sa capacité à faire preuve de résilience, ou par son style vestimentaire, qualifié de « vulgaire » dans les années 2000, devenu aujourd’hui une source d’inspiration[3]. Quant au comportement de Gabrielle Solis, il interroge : peut-on vraiment tolérer sa relation avec un mineur ?
Toute ces remises en question sont nécessaires et invitent à relire la série comme une forme de dystopie sociale, une exposition des tragédies intimes sous couvert d’un vernis lisse. Parmi toute cette galerie de personnages reconsidérés, Susan Mayer est probablement le personnage qui a été le plus descendu (de son piédestal).
Susan Mayer, l’archétype de l’héroïne de romcom des années 2000
Tout droit sortie des cauchemars des réalisateurs les plus aguerris du genre, Susan Mayer incarne dans les années 2000 l’archétype de la « girl next door« . Dès le premier épisode, elle tombe sous le charme de Mike Delfino, lui-même l’archétype du « bad boy with a golden heart« . Ce duo alors emblématique empeste un parfum de nostalgie et n’est pas sans rappeler les romcoms Elle est trop bien, Le journal de Bridget Jones, et autres films du genre inspirés par des monuments comme Grease ou Dirty Dancing. Sur le papier, leur relation a tout pour plaire au public cible de Desperate Housewives. Toutefois, ni les péripéties forcées, ni les nombreuses disputes au sein de leur couple en dents de scie ne font plus fantasmer les jeunes générations qui regardent la série avec vingt ans de recul.
Mike et Susan forment initialement le couple le plus captivant de la série, celui qui vole la vedette à Lynette et Tom, mais qui se fera doubler par Gabrielle et Carlos à partir de la sixième saison. Leur histoire s’essouffle vite. Leur amour nous est dépeint comme un amour véritable entre deux âmes sœurs. Et ce, alors qu’ils se mettent ensemble, rompent, se fiancent, se séparent, se re-fiancent, se marient, divorcent, se remarient, jusqu’à ce que Mike ne meure [S8E16]. Leur relation n’a rien d’épanouissant ; elle est encore plus toxique que celle de Ross et Rachel. Car, le problème est encore plus profond.
Susan Mayer : désespérément dépendante ?
Durant la cinquième saison, Edie et Susan se retrouvent coincées dans un sous-sol. Edie retrace la vie amoureuse de Susan et en vient à la conclusion que Susan ne sait pas être seule [S5E12]. Susan, comme Mike, comme Bree, a de véritables problèmes de dépendance, qui sont d’ordre affectifs. Sa drogue, elle ne peut pas la cacher au fond d’un placard ou dans la boîte à gants d’une voiture, puisqu’elle dépend émotionnellement de Mike, qu’elle considère comme un sauveur. Il la sauve de la honte lorsqu’elle se retrouve nue dans un buisson [S1E1], la sauve lorsqu’elle se perd dans la montagne à sa recherche [S2E13], il sauve même son futur fiancé Ian [S3E22]…
Mike sauve Susan de tout, sauf d’elle-même. Cette tendance à tomber dans le schéma sauveur/victime est en réalité une des facettes les plus communes du triangle de Karpman[4]. Un triangle relationnel dans lequel il y a un sauveur, une victime et un bourreau. Susan se pose régulièrement en victime, et si sa rivalité avec Edie fait de cette dernière un tyran, Susan est en réalité souvent son propre bourreau. Comme lorsqu’elle offre de l’argent à Zack pour qu’il parte à la recherche de son père adoptif, alors qu’elle sait pertinemment que sa relation avec Mike en pâtira, ce qui occasionne un énième conflit avec son bien-aimé [S2E4].
Drama queen et auto-sabotage
Contrairement aux autres personnages, Susan provoque délibérément la plupart des drames qu’elle subit, dans une perspective d’auto-sabotage permanent[5]. Aucune des épreuves qu’elle ne s’inflige ne lui permet d’aller de l’avant, de devenir une femme forte, indépendante et de se remettre en question. Lorsqu’elle essaie, elle finit tout de même par être sauvée des pires situations. Par exemple, quand elle révèle à travers ses peintures le meurtre qu’elles et ses amies ont couvert [S8], elle ne le fait pas par inadvertance, mais par pur égoïsme, car peindre l’aide à se sentir mieux. Susan ne s’est jamais souciée des conséquences de ses actes, et lorsque ses peintures se retrouvent exposées, Bree et Gabrielle les achètent in extremis.
Susan est incapable de se sauver elle-même et encore moins de sauver les autres. Focalisée sur la faible estime qu’elle a d’elle-même, elle se trouve et se donne toujours des excuses, parmi lesquelles, sa peur de se sentir abandonnée. C’est toute la problématique de Susan : sa peur de ne pas être aimée la rend perfide, profondément autocentrée, hypocrite et égoïste. Exactement comme Rebecca Bunch dans Crazy Ex-Girlfriend. Cependant, Rebecca réussit à s’affranchir de sa peur à force de travail acharné sur elle-même. Susan n’y parvient qu’à la mort de Mike, lorsqu’elle décide enfin de quitter Fairview et de vivre seule avec ses enfants et sa petite-fille.
Elle incarne le désespoir romantique, mais surtout, la femme-enfant, celle à qui tous les malheurs du monde qu’elle a elle-même causés, sont pardonnés. À l’instar d’autres personnages comme Peyton Sawyer (One Tree Hill), Serena Van der Woodsen (Gossip Girl) ou Carrie Bradshaw (Sex and the City).
Susan, mère courage ?
Comme Edie Britt, Susan est une mère célibataire divorcée, qui, contrairement à Edie, a fait le choix de garder sa fille près d’elle. Seulement, Susan n’est jamais présentée comme une « bonne mère ». Tandis que Julie est toujours l’enfant prodige : intelligente, bienveillante, mature et responsable. Les rôles sont souvent inversés : Julie explique régulièrement à Susan ce qu’elle devrait faire ou non. Julie assume aussi un rôle de soutien émotionnel lorsque Susan, en dépression suite à ses séparations, s’avère incapable de s’occuper d’elle-même. Alors que Susan se rappelle de cette période avec légèreté car elles mangeaient régulièrement des céréales pour le dîner, Julie lui explique qu’elles mangeaient des céréales car c’était la seule chose que Julie savait cuisiner[S8].
Susan se confie et s’épanche sur ses relations amoureuses, tandis qu’elle interdit à Julie de sortir avec les garçons qu’elle aime. Bien que les goûts de Julie puissent être discutables en la matière (Zack Young, le neveu d’Edie Britt, Nick Bolen et… Porter Scavo), Susan n’agit pas avec bienveillance envers sa fille. Allant jusqu’à user de stratagème pour récupérer la garde de sa petite-fille dans la dernière saison [S8E11].
Si Julie n’a pas de bons goûts en matière relationnelle, c’est sûrement parce qu’elle n’a jamais eu une vie stable. Lorsqu’elle tombe enceinte, elle pense tout d’abord abandonner sa fille, parce qu’elle s’est sentie elle-même abandonnée par sa propre mère, qui l’a placée dans un rôle de mère de substitution. Leur relation est tout sauf saine. Julie en a conscience ; Susan ne fait même pas l’effort de s’en rendre compte. Elle préfère s’installer confortablement dans son déni. Elle joue la carte de la naïveté pour éviter une terrible remise en question qui la mettrait face à l’ensemble des traumatismes qu’elle a pu causer à Julie. Elle ne parviendra à assumer pleinement son rôle de soutien familial qu’après la mort de Mike. Pour autant, Susan ne parviendra jamais à devenir totalement indépendante, surtout financièrement. Au vu de son cadre de vie, Susan serait-elle une imposture ?
Susan, la Cendrillon de Wisteria Lane
Les quatre protagonistes principales sont construites de sorte à provoquer une identification chez les spectateurs et spectatrices. Bree est la mère au foyer parfaite, conservatrice, la tradwife par excellence. Lynette est la mère au foyer débordée, la carriériste, celle qui a permis de mettre en lumière la charge mentale et le burn-out maternel [6]. Gabrielle est la féminité fantasmée, l’incarnation du glamour et de l’American Dream, celle qui n’est partie de rien et qui a tout réussi, aussi belle que vaniteuse.
Et Susan… C’est l’artiste, désespérément romantique, hypersensible, la femme-enfant, issue comme Gabrielle d’une classe populaire. Susan habite dans une maison qu’elle n’aurait jamais eu les moyens de s’offrir sans son ex-mari Karl. Susan n’appartient pas au monde de Wisteria Lane. Elle est la fille d’une mère célibataire, elle-même devenue mère célibataire. Son père biologique est le propriétaire d’un magasin de fournitures agricoles. Susan incarne un rêve : celle de la femme de la classe moyenne qui s’est mariée et s’est faite entretenir par la bonne personne.
En cela, on peut dire qu’elle a connu, telle Cendrillon, une ascension sociale de sa condition sans que pour autant cela ne porte atteinte à ses valeurs, ou presque. Elle est donc la seule femme de Wisteria Lane issue de la classe moyenne et la seule qui refuse d’épouser les valeurs de l’environnement dans lequel elle évolue, tout en profitant de ses avantages. Or, c’est l’un des seuls personnages -avec Mike- qui représente cette classe moyenne à l’écran, ce qui en fait donc un personnage parfait pour le principe de l’identification [7]. Sur le papier, Susan incarne Madame Tout-le-monde, projetée dans un environnement privilégié grâce à un mariage malheureux.
Des choix de carrière désastreux
Susan apparaît comme un personnage à part, en dehors du monde de Wisteria Lane. Elle d’ailleurs souvent amenée à faire des scènes loin de colonial street, le studio de la série. Le set de Desperate Housewives était notoirement tendu [8]. Terry Hatcher, l’interprète de Susan, ne s’entendait pas avec le reste du casting. Il est probable que les péripéties vécues par Susan aient été des prétextes pour éloigner son interprète du reste du plateau. Cela expliquerait pourquoi elle se retrouve à vivre loin de Wisteria Lane pendant une bonne partie de la saison 8, ou bien que Mike se retrouve dans le comas une partie de la saison 3, permettant de focaliser l’intrigue en dehors de son site, dans un hôpital. Cette configuration a accentué le fait que Susan apparaisse comme un personnage singulier, qui a fait des choix de vie différents.
Contrairement aux autres femmes qui connaissent des moments difficiles financièrement, Susan a choisi de ne pas se soucier de ses finances et demeure donc dans un état d’instabilité permanent, tout en continuant à exercer une profession artistique qui ne lui rapporte pas suffisamment. Ce sont ces choix de carrière qui en font un personnage passionné et désintéressé, mais aussi, profondément dépendant. Ce sont ces mêmes choix qui vont la pousser à reprendre des activités plus ou moins lucratives, comme enseignante d’arts plastiques ou webcameuse. C’est d’ailleurs son cousin qui l’aide à faire ses déclarations d’impôts [S4E11] : en quelques mots, même financièrement, Susan n’arrive pas à se sortir de sa dépendance. Si elle s’avère douée dans ses activités, ses talents ne la propulsent jamais dans une forme d’indépendance financière.
Toutefois, Susan a fait le choix de résider en banlieue pour offrir le meilleur à ses enfants : la meilleure éducation pour Julie et plus tard pour M.J., bien qu’elle n’ait, seule ou avec Mike, pas tout à fait les moyens de leur offrir. Ce qui caractérise là encore l’idéalisme du personnage : Susan n’a pas les moyens de réaliser ses désirs, qui sont inconciliables avec sa réalité, et ne cesse de compter sur les autres ou de dépendre d’eux pour les réaliser. Susan n’évolue pas durant les huit saisons, elle reste fidèle à elle-même, jusqu’à la mort de Mike qui lui fait prendre conscience qu’elle doit s’occuper seule d’elle-même, et de sa famille.
Susan n’est pas « conne », elle est plus difficile à aimer
En conclusion, Susan Mayer n’est pas stupide. Elle est instable, vulnérable, complexe. Son caractère clivant vient du fait que sa souffrance soit moins spectaculaire, moins tragique, mais plus insidieuse que celle des autres housewives. Elle ne déconstruit pas ses schémas : elle les répète. Desperate Housewives a été une série qui a su montrer des femmes dans toutes leurs contradictions.
Chacun est libre de la détester ou de la comprendre. Mais elle mérite d’être vue pour ce qu’elle est : un personnage tragique, plus difficile à aimer.
Bibliographie et références
- [1] Rediffusion disponible sur la chaîne YouTube Political Comedy
- [2]Camille Bonvalet, « Desperate Housewives : à la réflexion, et si Tom Scavo n’était pas le mari toxique par excellence ? », Closer, 05/04/25
- [3]En témoignent les épingles pinterest sur son style vestimentaire
- [4]Stephen Karpman M.D., « Drama Triangle [archive] » [PDF], sur karpmandramatriangle.com, 1968
- [5]Seligman, Martin. Learned Helplessness, 1975.
- [6]Maushart, Susan. The Mask of Motherhood, Penguin Books, 1999.
- [7]Brown, Jeffrey A. Dangerous Curves: Action Heroines, Gender, Fetishism, and Popular Culture, University Press of Mississippi, 2011.
- [8]Longoria, Eva. Devious Maids (Cameo, 2015) et Vanity Fair. « Behind the Scenes on Desperate Housewives« , 2005.
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Rédigé par Tsilla
Rédactrice en Chef, ex-Enseignante en Lettres Classiques certifiée, Autrice de roman, Scoute toujours, Jedi à ses heures perdues, Gryffondor.
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