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Dans cet article, on se propose d’étudier et comparer les premiers chapitres de trois mangas iconiques du Shônen Jump, parus au moment de l’âge d’or du magazine, c’est-à-dire dans les années 80 : Ken le survivant (Hokuto no Ken) de Buronson et Tetsuo Hara (1984), Les Chevaliers du Zodiaque (Saint Seiya) de Masami Kurumada (1986) et JoJo’s Bizarre Adventure (JoJo no kimyô na bôken) de Hirohiko Araki (1987).

Comment bâtir une légende ? Vous êtes-vous jamais demandé comment votre manga préféré s’était construit, sur quels procédés de rythme ou de narration l’auteur s’appuyait pour vous faire vibrer ?

Avant de commencer cette étude, notons aussi que ces auteurs s’influencent beaucoup entre eux. Kurumada s’inspire parfois de Hokuto no Ken dans son manga. Et Araki s’inspire à la fois de Hokuto no Ken et de Saint Seiya !

Ici, nous allons donc étudier les stratégies mises en place par les différents auteurs pour répondre à ce défi. Lequel de ces trois maîtres détient-il la technique la plus efficace ? La battle royale est lancée !

Les premières pages de chaque manga, en couleurs. Celle de Hokuto no Ken représente la destruction du monde par une bombe atomique ; celle de Saint Seiya, Pégase, le cheval ailé ; et celle de JoJo, une jeune fille ligotée et menacée par un poignard.
Sources : HOKUTO NO KEN ©1983 by BURONSON AND TETSUO HARA/SHUEISHA Inc. SAINT SEIYA © 1986 by Masami Kurumada / SHUEISHA Inc. JOJO’S BIZARRE ADVENTURE © 1986 by Hirohiko Araki / SHUEISHA Inc. Tous droits réservés. Description : Premières pages de chaque manga. De gauche à droite : Hokuto no Ken ; Saint Seiya ; JoJo’s Bizarre Adventure.

Le premier chapitre d’un manga est déterminant, car il s’agit de capter immédiatement l’attention des lecteurs pour lancer la série. Tout en introduisant et en exposant efficacement les principaux éléments de l’histoire.

L’image d’introduction est cruciale car c’est la première chose que le lecteur voit. Araki imite la méthode de Buronson et Hara, qui est de commencer par une image-choc ! Une bombe atomique dans Hokuto no Ken ; et dans JoJo, un sacrifice humain.

On nous explique que l’humanité a été presque entièrement détruite par une nouvelle guerre mondiale. On se trouve donc dans un univers post apocalyptique, visiblement inspiré du film Mad Max.

C’est un début in medias res : il n’y a pas de narrateur pour nous expliquer ce qu’il se passe. On voir une jeune fille ligotée dans une position érotique, avec une main au premier plan qui tient un couteau… Le lecteur est donc dans la peau de l’agresseur ! On ne comprend que dans les pages suivantes, lorsque le plan s’élargit, que l’on vient de débarquer au beau milieu d’un rituel aztèque, qui implique un sacrifice humain !

Par ailleurs, puisqu’il s’agit au final d’un sacrifice humain, et non – comme on aurait pu le croire à première vue – d’une agression sexuelle, l’érotisme et le sexisme de la première image n’étaient en fait pas nécessaires. Toutefois, l’auteur mise visiblement sur le sensationnel pour attirer ses lecteurs et les conserver tout au long de ce récit, qui (précisons-le !) n’est pas un hentai.

Cette première case est d’ailleurs surmontée de l’énorme onomatopée « Dogyaaan » (« Ta-daa ! »), qui révèle que l’auteur est très fier de cette accroche !

C’est un dessin du cheval mythique Pégase, qui prend une page entière. Derrière, on peut voir un ciel étoilé, qui brille de mille étoiles. Cet arrière-plan sera l’un des éléments récurrents du manga.

Un narrateur nous raconte aussi en guise d’introduction la légende de Persée. Dans les pages suivantes, on comprend que l’action se déroule en Grèce, où l’on suit des touristes japonais.

Le cadre exotique de la Grèce antique dans Saint Seiya, comme celui de l’empire aztèque dans JoJo’s Bizarre Adventure permet de faire voyager le lecteur à la fois dans l’espace et dans le temps.

Mais dans JoJo, ce cadre est inquiétant et hostile. Tandis qu’ici, avec les temples antiques et le ciel étoilé, il paraît merveilleux, presque féérique, et inspire l’émerveillement. La scène est d’ailleurs vue à travers le regard de touristes fascinés.

Kurumada commence donc son histoire à la manière d’un conte inscrit dans la lignée des légendes de l’Antiquité grecque. On sent dès le départ qu’il a l’intention de construire un mythe. Mais son image d’introduction est peu marquante et semble servir uniquement d’arrière-plan au texte.

Araki, à l’inverse, mise tout sur le spectacle et le sensationnel. Peu importe si c’est pertinent pour l’histoire ou non ! Le duo Buronson / Hara est celui qui s’en sort le mieux. Non seulement ils ont une image d’introduction percutante, mais en plus elle est parfaitement intégrée dans le scénario.

…Pour l’instant, ce sont donc eux qui possèdent la meilleure scène d’introduction. Celle de Kurumada n’est pas assez marquante. Qui se souvient que Saint Seiya commençait par cette image ? Quant à Araki, il a surtout réussi l’exploit rare de donner aux lecteurs envie de fuir dès la première case ! Mais attendez, la compétition est loin d’être terminée…

Analysons scène par scène la structure de chaque chapitre…

Image du manga : le gang de motards, les Z, qui ressemblent un peu à des punks !
Source : HOKUTO NO KEN ©1983 by BURONSON AND TETSUO HARA/SHUEISHA Inc. Tous droits réservés. Description : Le gang des Z dans Hokuto no Ken.
  • Scène 1 : Prologue. Présentation de l’univers post-apocalyptique.
  • Scène 2 : Panique chez un gang de motards, les Z, qui trouvent leurs éclaireurs massacrés par une technique mystérieuse. Introduction de la technique du héros.
  • Scène 3 : Apparition de Kenshirô, qui erre dans une ville déserte. On ne sait pas encore qu’il est l’auteur de cette effrayante technique.
  • Scène 4 : Kenshirô se retrouve en prison et rencontre les enfants Bart et Lynn. Scène de discussion qui permet la présentation des personnages et la mise en place de l’univers.
  • Scène 5 : Attaque des motards. Point crucial du chapitre : Lynn, qu’on croyait muette, crie le nom de Kenshirô. S’ensuit une scène d’action au cours de laquelle le héros révèle sa technique et terrasse en un instant ses ennemis.
  • Scène 6 : Départ de Kenshirô pour une prochaine ville.
Image du manga : le grand Pope. Son visage est caché par un casque grec, surmonté d'une sculpture à l'effigie d'un démon. Le reste de sa tenue est constituée d'un mélange de symboles chrétiens : croix, soutane, chapelet.
Source : SAINT SEIYA © 1986 by Masami Kurumada / SHUEISHA Inc. Tous droits réservés. Description : Le grand Pope, qui préside le tournoi pour l’armure de Pégase. Rappelez-vous, dans Saint Seiya, les véritables ennemis sont toujours à chercher parmi les organisateurs des combats, plutôt que chez les adversaires…
  • Scène 1 : Des touristes japonais en Grèce tombent par hasard sur Seiya. La scène introduit la légende de Pégase, puis Seiya (le héros), Marine (son maître), et annonce un adversaire (Cassios).
  • Scène 2 : Les touristes s’informent des légendes locales. Présentation de la déesse Athéna et de ses légendaires chevaliers. (Mise en place de l’univers du manga.)
  • Scène 3 : Début du tournoi pour l’armure de Pégase. On entre tout de suite dans un combat, qui plus est, un combat d’examen. Cela permet de mettre à l’épreuve le héros pour prouver sa valeur au lecteur. Au passage, on introduit parmi les spectateurs qui commentent plusieurs personnages qui se révèleront important par la suite : Shaïna (ennemie puis alliée du héros), le grand Pope (présenté comme bienveillant car il prend la défense de Seiya, mais ce sera en fait l’antagoniste majeur de la série !) et Aïolia (l’un des Chevaliers d’or).
  • Scène 4 : Flash-back sur l’entraînement de Seiya pendant six années. C’est le point crucial du chapitre car sa détermination prouve qu’il mérite la victoire. C’est cette motivation qui va lui permettre de gagner.
  • Scène 5 : Victoire de Seiya et introduction de sa technique principale : « Pegasus Ryûsei-ken ! » – ou « Le poing des météores de Pégase », souvent plus simplement traduit par « Les météores de Pégase » ou encore « Le poing de Pégase ».
Image du manga : les personnages qui se dirigent tous vers le manoir.
Source : JOJO’S BIZARRE ADVENTURE © 1986 by Hirohiko Araki / SHUEISHA Inc. Tous droits réservés. Description : La scène où tous les personnages convergent vers le manoir. C’est le moment du chapitre où l’on réunit enfin au même endroit tous les éléments introduits précédemment dans l’histoire.
  • Scène 1 (Prologue) : Sacrifice humain dans une cité Aztèque. Introduction d’un objet-clé de l’histoire : le masque de pierre.
  • Scène 2 : Dans l’Angleterre victorienne, en hiver. Avant de mourir, Dario Brando confie une lettre à son fils Dio. Dans un flash-back, on voit Dario croiser des aristocrates qui transportaient le masque du prologue. Le masque est donc le lien entre les deux scènes. Dans cette nouvelle scène, on introduit trois personnages : Dario Brando, George Joestar et Dio.
  • Scène 3 : Angleterre victorienne, au printemps. Disputes d’enfants au sujet d’une poupée. Le lien avec la scène précédente est que l’un des enfants appartient à la famille Joestar, que Dario a croisé dans le flash-back, et où il envoie Dio. Introduction d’Erina, puis de Jonathan. A la fin de la scène, on voit Jonathan (personnage de la scène 3) et la calèche de Dio (personnage de la scène 2) converger vers le manoir des Joestar (où se trouve déjà le masque du prologue). Tous les éléments sont donc enfin réunis au même endroit !
  • Scène 4 : Arrivée de Dio au manoir et amorce d’un conflit. Le chapitre s’achève sur l’établissement d’un antagonisme entre Jonathan et Dio.

La première remarque que l’on peut faire est que Hokuto no Ken et Saint Seiya suivent une narration linéaire, avec un schéma classique : chapitre centré autour du héros, nombre limité de personnages, point culminant (moment où l’émotion est à son paroxysme) aux trois-quarts de l’histoire, scène de combat et victoire du héros.

A l’inverse, le premier chapitre de JoJo introduit énormément de personnages et change presque à chaque scène de registre, de temporalité ou de lieu. A première vue, on ne voit pas forcément le lien entre les différentes scènes (les Aztèques, le père de Dio, Jonathan et Erina). Mais tous ces éléments concordent finalement vers un même point : le manoir des Joestar. Il s’agit d’une narration convergente, « à la Stephen King », qui consiste à introduire divers éléments en apparence sans lien, pour les réunir tous brutalement.

On trouve aussi de longues ellipses temporelles, ou des moments du récits qui sont éclipsés et créent des bonds dans le temps. Le passage des saisons contribue à construire l’antagonisme final entre les deux personnages, car ce sont des saisons qui évoquent un contraste entre le chaud et le froid. Chez Dio, c’est l’hiver ; chez Jonathan, c’est le printemps.

Il ne s’agit donc pas d’une exposition classique pour un shônen manga. Pas de combats (mis à part une courte scène de bagarre), pas de résolution à la fin, pas de point culminant. Le héros est introduit de manière très anecdotique et ne possède aucun pouvoir spécial.

En effet, les éditeurs conseillent généralement d’introduire le héros dès les premières pages et de centrer le premier chapitre sur lui. Puis de rajouter progressivement les autres personnages au fur et à mesure des chapitres. Ici, l’auteur cherche au contraire à introduire tous les personnages d’un coup, en commençant plutôt par l’antagoniste (Dio) que par le héros (Jonathan). Jonathan est d’ailleurs le dernier personnage introduit, après Dario, Dio, George et Erina. Et encore, son apparition est immédiatement éclipsée par une seconde apparition de Dio à la fin du chapitre. Le personnage central de ce chapitre est donc Dio, l’antagoniste.  Si l’on enlève le prologue chez les Aztèques, le chapitre commence et finit par lui.

L’introduction de Saint Seiya est très différente de celle de JoJo. Elle est centrée sur le personnage principal, et les autres personnages ne seront introduits que progressivement. Cela permet de leur consacrer à chacun un chapitre entier : Saori est présentée au chapitre 3, Hyôga au chapitre 5, Shiryû au chapitre 6, Shun au chapitre 8 et Ikki au chapitre 9. En tout, le manga met donc une dizaine de chapitres (soit près de dix semaines de publication !) pour réunir tous les personnages de l’histoire. L’intérêt est de nous faire découvrir, presque à chaque chapitre, un nouveau personnage. Et son apparition est généralement accompagnée d’un combat qui présente ses techniques et/ou d’un flash-back qui explique son passé.

Dans le premier chapitre de Saint Seiya, l’auteur établit le schéma qu’il utilisera pour tous les combats et qui fera le succès de la série.

L’accélération du rythme au moment où le héros fait « exploser son cosmos » est captivante. Mais le flash-back qui précède est le moment véritablement déterminant du combat, car c’est là que le héros puise la motivation qui le mènera à la victoire.

Les flash-backs qui se dévoilent à chaque combat permettent également de développer des back-stories intéressantes et complètes pour chaque personnage. Les drames personnels de chacun et chacune constituent des micro-intrigues qui occupent le lecteur à chaque épisode, tandis que l’auteur développe plus lentement en arrière-plan les grandes intrigues politiques, comme le fait que le grand Pope actuel est en réalité un imposteur…

Au niveau du scénario, Saint Seiya met donc en place un schéma répétitif adapté à une diffusion par épisodes. Dans les dessins aussi, on retrouve d’une case à l’autre un certain nombre d’éléments récurrents : paysage uniforme avec temples grecs et ciel étoilé ; multiplication des personnages masqués (Marine, Shaïna, puis le grand Pope). Enfin, la plupart des personnages ont un seul costume tout au long de la série !

JoJo’s Bizarre Adventure mise au contraire sur la variété des décors : entre les scènes 2 et 3, on passe d’un paysage un peu gothique (cimetière, arbres morts) lorsqu’on nous présente Dio, à un paysage romantique (prairie avec des pétales de fleurs qui volent au vent, ciel sans nuage) avec l’apparition d’Erina.

Hokuto no Ken est, comme Saint Seiya, bien adapté à la diffusion en feuilleton. L’univers est prévu pour que le héros puisse errer indéfiniment de ville en ville. Ce schéma permet d’introduire une ville et une situation nouvelle à chaque épisode.

Image de Hokuto no Ken : l'irruption des motards, dans une grande case qui occupe tout le haut d'une double-page.
Source : HOKUTO NO KEN ©1983 by BURONSON AND TETSUO HARA/SHUEISHA Inc. Tous droits réservés. Description : L’attaque des motards dans Hokuto no Ken.
En revanche, dans les trois cas, les auteurs ont conscience qu’il faut réveiller le lecteur par une rupture de rythme à l’approche de la fin du chapitre :
  • Dans Hokuto no Ken, la scène de discussion entre Kenshirô, Bart et Lynn est interrompue brutalement par l’irruption des motards, dans une grande case qui s’étend sur une double-page. Ce qui relance l’intrigue dans l’avant-dernière scène.
  • L’enchaînement scène calme et scène action vers la fin du chapitre se retrouve aussi dans Saint Seiya, avec l’enchaînement du flash-back introspectif, puis de l’explosion du cosmos au moment du retour dans le présent.
  • Enfin, dans JoJo’s Bizarre Adventure, la rencontre Jonathan/Dio (scène 4) est en rupture avec la scène un peu mièvre de la rencontre Jonathan/Erina (scène 3). Comme dans le prologue, grandes cases et onomatopées géantes sont de mise. La double-page où Dio apparaît (ou plutôt, réapparaît car on l’a déjà vu dans la scène 2) est dépourvue de texte, mais traversée d’onomatopées : « Dozaa ! », « Shan ! », « Suta ! », « Guuuun », et pour finir « Baaaan ! ». Le personnage fait une entrée fracassante ! Comme l’évoque Frederico Anzalone dans son ouvrage JoJo’s Bizarre Adventure : le diamant inclassable du manga, ce style d’entrée en scène avec poses et effets sonores est très probablement inspiré du théâtre kabuki.
Image de JoJo's Bizarre Adventure : Dio qui saute hors de sa calèche, et se retourne en plusieurs temps, au bruit d'onomatopées.
Source : JOJO’S BIZARRE ADVENTURE © 1986 by Hirohiko Araki / SHUEISHA Inc. Tous droits réservés.  Description : L’arrivée de Dio au manoir. La série JoJo’s Bizarre Adventure est connue pour son usage abusif des onomatopées, même dans des scènes où il ne se passe en fait pas grand-chose ! Ici, le personnage est juste descendu d’une calèche.
…On comprend que les éditeurs du Shônen Jump citent le premier chapitre de Hokuto no Ken comme un modèle à imiter !

Cette histoire est véritablement conçue comme un one-shot. Elle est très bien structurée et possède une véritable conclusion. Alors que Kurumada termine son chapitre un peu brutalement, au moment où l’attaque de Seiya envoie promener son ennemi. Et qu’Araki amorce à peine l’élément perturbateur de son histoire !

Toutefois, Araki maîtrise une technique de narration bien plus complexe, atypique pour un manga shônen. Et Kurumada est inégalable pour ce qui est de susciter l’émotion et de faire vibrer les lecteurs.

Deux points, donc, pour Hokuto no Ken… Mais cela s’est joué de peu ! Et le tournoi n’est pas encore fini…

Le premier chapitre de Hokuto no Ken a une moyenne de 5,28 cases par pages, avec un nombre maximal de 9 cases par page. Celui de JoJo’s Bizarre Adventure possède un nombre de cases similaires, avec une moyenne de 5,06 cases par pages et un nombre maximal de 9 cases par page. Cependant, on peut voir sur les graphiques ci-dessous que, dans Hokuto no Ken, les pages les plus chargées sont concentrées au milieu du chapitre, qui est une scène de discussion et non d’action. Tandis que dans JoJo, on alterne beaucoup plus entre des pages chargées et épurée, d’où les nombreux pics sur le graphique.

Le premier chapitre de Saint Seiya a un nombre de cases beaucoup moins dense, avec une moyenne de 3,75 cases par page et un nombre maximum de 7 cases par page. Kurumada dessine souvent des images qui occupent une page entière, voire une double-page pour que le lecteur prenne vraiment le temps d’apprécier les scènes importantes. Sur le graphique, on peut voir qu’il y a trois pages de suite (les pages 33, 34 et 35) où une seule case occupe toute la page ! Ses cases sont donc plus grosses et moins nombreuses. Et ses dessins sont également moins chargés et moins détaillés que dans les deux autres mangas. L’histoire avance donc plus lentement, mais parallèlement le rythme de lecture est plus rapide. (Car les lecteurs tournent les pages plus rapidement lorsqu’elles contiennent moins d’informations.)

En répertoriant le nombre de cases par page dans chaque premier chapitre de manga, on obtient donc les graphiques suivants :

Les trois graphiques présentet tous beaucoup de pics, mais celui qui en a le plus est celui de JoJo's Bizarre Adventure. Il a donc des nombres de cases plus variés que les deux autres.
Description : Variation du nombre de cases (ordonnées) par n° de page (abscisses), pour chaque premier chapitre de manga. Graphique 1 : Hokuto no Ken (47 pages). Graphique 2 : Saint Seiya (57 pages). Graphique 3 : JoJo’s Bizarre Adventure (31 pages).

Cependant, les scènes les plus intenses sont en réalité celles qui ont les plus grandes cases. Et donc, le moins de cases par page. Ainsi, si l’on souhaite établir un véritable « cardiogramme » de chaque série, il faudrait plutôt présenter les graphiques à l’envers, comme ceci :

En mettant les graphiques à l'envers, on remarque que ceux de Hokuto no Ken et JoJo suivent une courbe hyperbolique, qui descend d'abord, puis remonte vers la fin du chapitre.
Description : Mêmes graphiques, mais à l’envers !

On peut alors voir que les premiers chapitres de Hokuto no Ken et de JoJo’s Bizarre Adventure suivent un rythme à peu près similaire. Le pic de début correspond aux prologues, le creux de la courbe aux passages de dialogues ; et la remontée finale, respectivement au combat de Kenshirô contre les Z et à l’arrivée de Dio au manoir.

Kurumada, lui, n’aime pas les scènes de dialogues trop chargées. Les passages qui comportent le plus de textes dans son manga sont les explications du narrateur, les récits illustrés comme la légende du vieux sage sur les Chevaliers d’Athéna, ainsi que les pensées ou les souvenirs dans l’esprit des personnages. Et pour cela, il préfère multiplier les bulles ou les zones de textes dans une seule grande case. D’où l’absence de creux dans son graphique. Par rapport à Hokuto no Ken et à JoJo, Saint Seiya est un manga beaucoup plus porté sur l’introspection. Les pensées des personnages ou les récits du passé remplacent dialogues et les discussions.

Dans JoJo, le rythme du chapitre alterne globalement entre des scènes ultra-percutantes comme celle de l’introduction (grandes cases et onomatopées bruyantes écrites en caractères énormes), et parfois des enchaînements de petites cases pour montrer une action comique ou inquiétante, qui se déroule à un rythme très lent. Par exemple à la quatrième page, lorsque des sortes de piques ou de tentacules jaillissent du masque de pierre pour venir se planter une à une dans le crâne de l’Aztèque qui l’a revêtu.

L'enchaînement de cases décrit ci-dessus. Les piques mettent trois cases à jaillir. Cette action est accompagnée des onomatopées : "Bin bin", "Bin bin", "Dozu", "Dozu, dozu, dozu, dozu, dozu, dozu".
Source : JOJO’S BIZARRE ADVENTURE © 1986 by Hirohiko Araki / SHUEISHA Inc. Tous droits réservés.  Description : Un exemple d’action lente qui prend plusieurs petites cases. Là aussi, c’est un passage muet, où les onomatopées remplacent le texte.
Dans Saint Seiya, l’auteur utilise généralement une longue case verticale qui traverse toute la page pour indiquer une rupture dans le rythme. (Ses cases étant la plupart du temps horizontales.)

C’est par exemple ce qu’il utilise à la page 3 pour l’arrivée de Seiya, qui tombe littéralement du ciel tel une étoile filante ou un météore. Ou encore à la page 9, pour l’entrée en scène de Marine. C’est visiblement sa technique préférée pour introduire les personnages.

Enfin, lorsque les Chevaliers lancent leurs attaques, leurs techniques sont si puissantes que la case déborde sur la page suivante ! Et le personnage est souvent dessiné tout petit, par rapport à l’explosion qu’il déclenche.

Une fois de plus, les trois chapitres sont difficiles à départager ! Le rythme de Hokuto no Ken est bien sûr un modèle à imiter… Mais, cette fois, je serais plutôt tentée de donner le point à JoJo’s Bizarre Adventure, qui applique le même rythme à une histoire construite de manière totalement différente et dépourvue de scènes de combats. Et qui a également la mise en scène la plus variée et la plus percutante. Néanmoins, Saint Seiya avait aussi un rythme original, avec ses disgressions sur le passé et sur les pensées des personnages.

Hokuto no Ken remporte donc cette première manche ! …Suivi de près par JoJo’s Bizarre Adventure, qui vient de décrocher un point de justesse !

Mais il y aurait encore beaucoup à analyser pour pouvoir véritablement départager ces trois mangas… A bientôt, donc, dans de prochains articles !

To be continued…

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Umeboshi : prune japonaise séchée et amer

Rédigé par Umeboshi

Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.


Sources 

Ouvrages théoriques :

ANZALONE Frederico, JoJo’s Bizarre Adventure. Le diamant inclassable du manga, Toulouse, Third Editions, 2019.

ARAKI Hirohiko, Manga in Theory and Practice. The craft of creating manga, San Francisco, VIZ Media, 2017. [Traduction anglaise de Nathan A. Collins]

BOUVARD Julien, Manga politique, politique du manga. Histoire des relations entre un medium populaire et le pouvoir dans le Japon contemporain des années 1960 à nos jours. Sous la direction de Jean-Pierre Giraud, Université Lyon III Jean Moulin, décembre 2010.

BUISSOU Jean-Marie, Manga: Histoire et univers de la bande dessinée japonaise, 2010, Editions Picquier.

GOTÔ Hiroki, Jump. L’âge d’or du manga, Paris, Kurokawa, 2018 [Traduction française de Julie Seta].

OKAMOTO Katsuto, « Les Onomatopées de la Langue Japonaise (1) – Le système et le sens fondamentaux des giongos », Université de Kôchi, pp.189-197. Disponible sur : https://kochi.repo.nii.ac.jp/record/6948/files/H041-15.pdf

PINON Matthieu, LEFEBVRE Laurent, Histoire(s) du manga moderne 1952-2012, Paris, Ynnis Editions, 2019-2022.

PRECIGOUT Valérie, Le mythe Saint Seiya. Au Panthéon du manga, Toulouse, Third Edition, 2019.

TILLON Fabien, Culture Manga, Paris, Nouveau Monde Editions, 2006.

Ouvrage collectif

Créer un manga : L’école du Shônen Jump [rédigé par un collectif d’éditeurs du Shônen Jump], Bruxelles, Kana, 2023. [Traduction française de Sophie Lucas]

Magazines

Rockyrama – Otomo n°7 : Aux sources de Saint Seiya, octobre 2021.

Rockyrama – Otomo n°8 : Saint Seiya, aux confins de la mythologie, décembre 2021.

Comments

7 réponses à “[ANALYSE] Comment fonder une saga ? L’exemple des mangas du shônen Jump (Hokuto no Ken, JoJo, Les Chevaliers du Zodiaque) !”

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  2. […] féminisme… La série JoJo’s Bizarre Adventure de Hirohiko Araki est l’un des rares shônen manga à avoir mis en scène une héroïne. Et encore, il a fallu attendre pour cela la sixième partie […]

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