Publié entre 1986 et 1990 dans le Shônen Jump, le manga Saint Seiya (aussi appelé Les Chevaliers du Zodiaque à l’international) de Masami Kurumada est devenu un véritable mythe. C’est l’un des piliers du manga nekketsu.
Retour, donc, sur les innombrables légendes puisées aux quatre coins de l’univers et dont la rencontre a provoqué un big-bang à l’origine du mythe…
Nous allons ici entreprendre de démêler les multiples sources d’inspiration entrecroisées de Saint Seiya ! Nous incluerons dans cette analyse à la fois le manga de Kurumada et l’adaptation animée, devenu partie intégrante du mythe.
Saint Seiya : Au croisement des mythologies…
L’univers de Saint Seiya emprunte à toutes les mythologies : grecque, chrétienne, bouddhiste, ou encore hindouiste. Et même nordique, avec l’arc d’Asgard dans l’anime qui s’inspire principalement de la légende de Siegfried dans La Chanson des Niebelungen.
La mythologie grecque confère à l’œuvre le ton d’une épopée et un certain lyrisme. Tandis que la mythologie chrétienne lui inspire son manichéisme, à travers le thème récurrent de la lutte entre le bien et le mal.
La déesse Athéna est dans ce manga plus proche d’une figure christique que de la déesse guerrière dont elle porte le nom. Elle peut aussi être associée à Kannon, la déesse de la miséricorde au Japon.
De même, l’enfer représenté dans l’arc d’Hadès mêle légende d’Orphée et Divine Comédie de Dantes.
Au cours de la série, on peut également croiser Shaka, le chevalier d’or de la Vierge, présenté comme l’incarnation de Bouddha. Un shaka est, dans la mythologie japonaise, un humain qui, par sa conduite, a obtenu le statut de bouddha. Un peu à l’instar des saints dans la religion catholique. On rencontre aussi le général des mers Khrishna, qui représente l’hindouisme.
Enfin, on trouve aussi des références à des legendes japonaises. Par exemple, pour obtenir son armure du Dragon, Shiryû doit parvenir à inverser le cours d’une cascade : c’est une référence à la légende selon laquelle ĺes carpes peuvent remonter les rivières et les cascades jusqu’à se changer en dragons. Au Japon et en Chine, le dragon est associé à l’élément de l’eau.
L’idéal chevaleresque
L’héritage des samurai et du bushidô
Bien que leur design se veuille futuriste, les armures (ou « cloths ») des chevaliers sont en fait très inspirées de celles des samurais traditionnels. En particulier des casques, qui étaient souvent ornés de décorations à l’effigie d’un animal, réel ou fantastique.
Les valeurs portées par les héros sont également celles du code du samurai, ou bushidô : honnêteté, loyauté, intégrité, courage, honneur, respect et compassion. Le manga fait aussi l’éloge du sacrifice et de l’amitié, autres valeurs importantes dans la tradition japonaise. Pour autant, il s’inspire également de légendes occidentales.
L’influence des légendes occidentales : la quête spirituelle et l’amour courtois
Nombre de ces valeurs rejoignent celles des chevaliers occidentaux, dont les plus célèbres sont bien sûr ceux de la Table Ronde. L’influence de la légende arthurienne ajoute comme valeur celle de l’amour courtois. Elle est visible en particulier dans l’arc d’Asgard, puisque Siegfried et Hagen servent chacun une dame, à qui ils sont entièrement dévoués : respectivement Hilda et Freya.
Dans l’arc du Sanctuaire, le fameux Septième Sens que les chevaliers cherchent à atteindre peut bien sûr s’apparenter à la quête du Graal. Dans les deux cas, il s’agit avant tout d’une quête spirituelle. Notons aussi que l’attaque de Shura est nommée « Excalibur », en référence à la célèbre épée du roi Arthur. Et ce n’est pas tout…
Le mythe de l’ange déchu
L’idée que Shun, le plus pur des chevaliers, est en fait la réincarnation du diabolique Hadès paraît tout droit inspirée de l’histoire de Lancelot. Lequel était l’un des principaux candidats à la quête du Graal, avant de devenir un traître qui entraîne le royaume dans une guerre sanglante… Mais, bien sûr, cette idée peut aussi provenir de la mythologie biblique et du personnage de Lucifer, qui était autrefois un ange.
L’idée du personnage paradoxal, à la fois ange et démon, est omniprésente dans l’œuvre.
Le meilleur exemple est bien sûr Saga, le chevalier d’or des Gémeaux, doublement double. En effet, il possède à la fois une seconde personnalité maléfique et un frère jumeau. C’est bien sûr une idée inspirée du yin et du yang. Pour le public occidental, elle rejoint aussi l’esthétique du romantisme définie par Victor Hugo : celle de l’antithèse constante et de la réunion des contraires dans un même personnage.
Enfin, au nombre des personnages antithétiques on peut bien sûr citer Saori Kido. Avant de devenir Athéna, elle n’était qu’une riche héritière égoïste, capricieuse, voire méchante… Intéressant, donc, qu’elle soit ensuite choisie pour devenir l’incarnation du Bien, que les héros doivent protéger à tout prix!
L’arc du Sanctuaire et le schéma des batailles
Saint Seiya est célèbre pour le schéma de la bataille du sanctuaire, qui a inspiré depuis de nombreux autres mangaka. Dont Araki, pour l’arc de Stardust Crusaders dans JoJo’s Bizarre Adventure. Ce schéma est souvent repris car il s’adapte particulièrement bien en jeux vidéos.
Le principe est simple :
Douze ennemis à terrasser en douze heure, pour sauver la princesse Saori – alias Athéna. Un seul chemin pour arriver jusqu’au Pope, avec des ennemis placés à chaque étape. Les héros partent à quatre (plus Ikki qui, comme d’habitude, arrive en cours de route), mais à chaque obstacle l’un d’entre eux reste seul en arrière pour se battre. C’est l’occasion du fameux « Partez devant, je vous rejoindrai! » …Sauf qu’en réalité, il ne les rejoint pas du tout, puisqu’il s’écroule à la fin de son combat. Si bien que Seiya arrive finalement seul au palais du Pope en ayant laissé tous ses camarades sur le chemin.
Ce schéma narratif est davantage inspiré par le roman Les Trois Mousquetaires qu’il ne l’est des légendes arthuriennes. Il reprend dans les grandes lignes le célèbre épisode des ferrets de la reine : Les mousquetaires ont pour mission de porter au plus vite une lettre en Angleterre. Cependant, ils tombent à chaque étape sur une nouvelle embuscade et, à chaque fois, l’un d’entre eux doit rester en arrière. Si bien que d’Artagnan arrive finalement seul en Angleterre, après avoir laissé successivement tous ses amis blessés dans différentes auberges.
Quoique non confirmée, c’est une source d’inspiration tout à fait possible, puisque Les Trois Mousquetaires ont été popularisés dans les années 80 au Japon par l’anime Sous le signe des mousquetaires (Anime Sanjushi) qui, à défaut d’être une bonne adaptation, a du moins contribué à faire une immense publicité au roman.
Si les influences de la légende arthurienne et de celle de Siegfried sont assez évidentes, celles d’autres romans européens moins anciens ne sont que des hypothèses…
Outre Les Trois Mousquetaires, on s’interroge par exemple sur l’influence possible du Seigneur des Anneaux dans l’arc d’Asgard, avec l’anneau des Niebelungen. En l’état actuel de mes recherches, ce sont mes deux candidats principaux pour les sources d’inspiration littéraires secondaires de Saint Seiya!
Des références littéraires à travers les personnages de Saint Seiya
Camus, le chevalier d’or du Verseau
Il est bien sûr nommé d’après l’écrivain français Albert Camus, célèbre pour l’incipit de L’Etranger : « Aujourd’hui, maman est morte. » Dans le roman, cette phrase illustre l’indifférence anormale du personnage principal, nommé Meursault, face à la mort de sa mère. Dans le manga, elle représente la philosophie que Camus veut inculquer à Hyôga : être impassible face à tous les évènements, y-compris la mort de ses proches. L’attaque ultime de Camus, « Aurora execution », est quant à elle une référence à la fin du roman, où Meursault meurt exécuté à l’aube.
Natassia, la mère de Hyôga
Morte depuis le début de l’histoire et reposant au fond de l’océan Arctique, elle protège parfois Hyôga en lui parlant depuis l’au-delà. Elle peut rappeler la dame du Lac – toujours dans la mythologie arthurienne – qui est la mère ou la préceptrice de Lancelot.
Esméralda, la petite amie d’Ikki
Egalement morte avant le début de la série et présente uniquement à travers des flash-backs. Elle tient bien sûr son nom du roman de Victor Hugo Notre-Dame de Paris. Même si ses seuls points communs avec l’héroïne romantique semblent être sa gentillesse, son innocence et sa mort tragique. La référence a ici pour but d’ajouter à l’histoire du drame et de la poésie.
Saint Seiya dans l’histoire du manga
Il y a bien sûr de nombreuses références mythologiques et littéraires, mais Kurumada s’est aussi inspiré des mangas contestataires de mai 68, comme Ashita no Joe de Tetsuya Chiba et Ikki Kawajira. C’est de là que viennent les airs de voyous qu’ont Seiya ou Ikki au début de la série, lesquels s’atténuent avec le temps. Également l’opposition des classes sociales dans les dialogues entre Seiya et Saori au début du manga. Avant Saint Seiya, Kurumada avait d’ailleurs écrit Ring ni kakerô (« Mise tout sur le ring ! »), un manga sur la boxe directement inspiré d’Ashita no Joe.
L’influence d’Ashita no Joe est un point commun entre Saint Seiya et JoJo’s Bizarre Adventure, qu’on a déjà un peu étudié dans d’autres articles. Dans les deux cas, elle est surtout visible au début de la série.
Contrairement à JoJo’s Bizarre Adventure, publié à la même époque, Saint Seiya reste assez proche des valeurs traditionnelles japonaises. Ce, tout en s’inspirant énormément de la culture européenne. Alors qu’Araki puise ses références dans la littérature anglo-saxonne et le cinéma américain, Kurumada semble peu intéressé par les États-Unis. (Bien que le manga mette en scène de nombreux personnages aux origines les plus diverses, aucun n’est américain !) Il s’inspire plutôt de la Grèce antique, la France, la Chine, l’Inde ou la Russie.
Une nouvelle légende née de l’alliance des grands mythes universels
Saint Seiya peut expliquer son succès planétaire par la superposition et l’exploitation habile des légendes héroïques du monde entier. Mais le manga se distingue également par sa poésie et sa sensibilité dues à l’influence de la littérature, avec une esthétique proche du romantisme.
On retrouve des grands mythes universels, qui deviennent à l’intérieur de l’œuvre de véritables motifs récurrents. (L’ange déchu, les frères jumeaux ennemis, la progression à travers une quête spirituelle, la lutte entre le Bien et le Mal, le souvenir persistant d’une personne à jamais perdue…) Le manga fonde ainsi à son tour sa propre mythologie.
En conclusion, Saint Seiya est un manga devenu culte !
Saint Seiya est aujourd’hui une référence pour le manga nekketsu. Le manga dit « sang-chaud », qui comprend une quête initiatique, des combats et des histoires d’amitié.
Au nombre de ses points forts et de ses références culturelles qui parle à tout le monde, on peut aussi citer ses superbes ost composés par Seiji Yokohama. Egalement la chanson « Pegasus Fantasy », dont Kurumada a lui-même rédigé les paroles, et qui est l’un des openings les plus iconiques de tous les temps :
Si vous avez aimé Saint Seiya :
En manga :
- Ring ni kakerô, l’autre manga à succès de Masami Kurumada.
- Ashita no Joe de Tetsuya Chiba et Ikki Kawajira pour le shônen. Versailles no Bara (La Rose de Versailles / Lady Oscar) de Riyôko Ikeda pour le shôjô. Ce sont les deux mangas les plus iconiques du mai 68 japonais, qui ont inspiré toute la génération de mangaka des années 80.
- JoJo’s Bizarre Adventure (JoJo no kimyô na bôken) de Hirohiko Araki pour les mangas contemporains de l’œuvre. (En particulier les arcs de Phantom Blood et Stardust Crusaders, qui ont quelques points communs intéressants avec Saint Seiya…) Egalement Hokuto no Ken (Ken le survivant) qui est le manga de référence pour cette période et dont on retrouve quelques éléments dans Saint Seiya.
- Dans les années 2000, Fullmetal Alchemist (Hagane no Renkinjutsushi) de Hiromu Arakawa. Pour les histoires de frères et les personnages au passé tragique.
- Demon Slayer (Kimetsu no Yaiba) de Koyoharu Gotôge pour les mangas récents. On y retrouve l’esprit de Saint Seiya, un univers proche de Naruto, et quelques références à JoJo !
En romans :
- Les romans de Chrétien de Troyes sur la légende du roi Arthur. Egalement La Chanson des Niebelungen si vous cherchez toutes les origines de l’œuvre. Et bien sûr, toute la mythologie grecque, nordique, bouddhiste, hindouiste et shintoïste, si vous êtes motivé·e·s !
- En tant que fan de longue date de Saint Seiya, je vous conseillerais également la saga des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas. (Les Trois Mousquetaires / Vingt ans après / Le Vicomte de Bragelonne.) Je sais d’expérience que ce sont des romans qui plaisent beaucoup aux fans de Saint Seiya, et réciproquement. On y trouve des épisodes similaires, comme le parcours où les personnages s’arrêtent un à un en chemin pour permettre au héros d’arriver et de remplir sa mission. Ou encore l’histoire du jumeau caché qui veut prendre la place de son frère. Mais – plus important – c’est une série où chaque personnage possède une backstory, qu’il raconte à l’occasion, et une personnalité développée qui évolue au fil des romans. Ce dernier point est, je pense, l’élément le plus important dans une histoire pour les fans de Saint Seiya.
- Toujours dans le registre épique, je peux bien sûr également vous recommander Le Seigneur des Anneaux et Bilbo le Hobbit, de J.R.R. Tolkien.
- Et sinon, pour les fans de Camus du Verseau, vous pouvez bien sûr lire L’Etranger ! Même si je ne suis pas sûre que cela vous aide à comprendre sa façon de penser…
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Rédigé par Umeboshi
Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.
Bibliographie
Ouvrages théoriques
GOTÔ Hiroki, Jump. L’âge d’or du manga, Paris, Kurokawa, 2018 [Traduction française de Julie Seta].
PINON Matthieu, LEFEBVRE Laurent, Histoire(s) du manga moderne 1952-2012, Paris, Ynnis Editions, 2019-2022.
PRECIGOUT Valérie, Le mythe Saint Seiya. Au Panthéon du manga, Toulouse, Third Edition, 2019.
Magazines
Rockyrama – Otomo n°7 : Aux sources de Saint Seiya, octobre 2021.
Rockyrama – Otomo n°8 : Saint Seiya, aux confins de la mythologie, décembre 2021.
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