Composée par Claude-Michel Schönberg, sur un livret d’Alain Boublil et Jean-Marc Natel, la comédie musicale Les Misérables est représentée pour la première fois au Palais des Sports en 1980. Elle est ensuite entièrement remaniée, avec l’aide de Cameron Mackintosh et Herbert Kretzmer, pour sa représentation à Londres en 1985. La version que l’on joue aujourd’hui est donc en réalité franco-britannique.

Mais à quoi ressemblait le spectacle de 1980 ? Quels sont les principaux changements ? Voici notre article pour tout comprendre !

Certains airs changent de place et les paroles sont réécrites…

Les Misérables, en 1980, commençait par l’histoire de Fantine :

L’air du bagne (« Pitié, pitié »), l’actuelle chanson d’ouverture, était à l’origine l’air des mendiants de Paris (« Donnez, donnez ») qui n’intervenait qu’en milieu de spectacle. L’histoire commençait avec Fantine qui travaille à l’usine de Montreuil-sur-Mer. Et la chanson d’ouverture était « La journée est finie » (renommée « Quand un jour est passé » en 1985). Les Anglais ont demandé à rajouter le prologue au bagne pour expliciter l’histoire et présenter les personnages.

Ainsi, si la version actuelle du spectacle est très centrée sur Jean Valjean, celle de 1980 introduisait d’abord Fantine. Bien qu’elle meure dans la première partie, Fantine a toujours eu une place très importante dans le spectacle car elle chante l’une des chansons les plus célèbres, « J’avais rêvé ».

Chanson d’ouverture actuelle du spectacle Les Misérables (représentation de 1991) :

La chanson d’ouverture initiale (1980) :

Air des mendiants avec Gavroche (1980) :

Note : Cette chanson figure toujours à la même place dans le spectacle actuel. Elle est ainsi perçue par le public comme une reprise de l’air du bagne.

Gillenormand disparaît !

Monsieur Gillenormand, le grand-père de Marius, apparaissait dans une chanson à la fin du spectacle ! Cette scène ne figure pas dans la version actuelle car le personnage n’avait pas vraiment été présenté. Elle rallongeait donc le spectacle inutilement.

Chanson de Marius et Gillenormand (1980) :

Éponine gagne une chanson !

La chanson d’Éponine, « Mon histoire », appartenait initialement à Fantine et s’intitulait « L’Air de la Misère ». Fantine avait donc deux chansons avec « J’avais rêvé », alors qu’Éponine n’en avait aucune. Elle lui en donne une !

« L’Air de la Misère » par Fantine (1980) :

« Mon histoire », par Éponine (1991) :

Note : Éponine est un personnage assez populaire dans le fandom des Misérables et sa chanson « Mon histoire » a donc eu beaucoup de succès. Quoique les personnages les plus populaires du fandom restent Enjolras et les Amis de l’ABC.

« J’avais rêvé », la chanson principale de Fantine :

Gavroche chantait « La Faute à Voltaire » en entier :

Aujourd’hui, Gavroche ne chante que le couplet le plus célèbre. Ce qui est un peu dommage car c’est la seule chanson dont les quatre couplets sont directement tirés du roman.

« La Faute à Voltaire » en 1980.

Les costumes sont différents

Le cas le plus frappant est celui de Javert : dans la version internationale, il porte un uniforme et un tricorne, costume inspiré de l’uniforme historique des sergents de ville. Tandis qu’en France, il est en manteau noir et haut de forme, comme sur les illustrations du roman. Aujourd’hui, même si on joue en France la version internationale, Javert garde son costume original. On ne le reconnaîtrait pas, sinon !

Javert gagne en prestance et s’impose comme antagoniste principal

Changement de registre :

Javert, justement ! Dans la version actuelle de la comédie musicale Les Misérables, c’est un antagoniste sombre et imposant, personnification de la fatalité qui poursuit Jean Valjean. Il raconte à ce dernier son passé tragique : « Tu ne sais rien de Javert ! / Je suis né dans une cellule ! / Parmi des déchets comme toi ! / Entouré de hors-la-loi ! ». Il l’affronte dans la chanson « La Confrontation ». Et il se suicide en disant : « Toute ma vie fut une erreur, / Je la retourne au néant ». Dans les versions anglaises de West End, le chanteur, souvent, pleure presque à ce moment…

Difficile, donc, d’imaginer que cet antagoniste tragique était à l’origine un personnage plus secondaire et très caricatural. Qui arrivait en chantant : « Où je passe, le crime trépasse ! ». Et qui se suicidait en s’écriant : « Je préfère quitter ce monde / Qui tolère les Valjean / Et où Javert volerait / Le pain du gouvernement ! »… C’était moins élégant !

Apparemment, nos amis Anglais se sont donnés pour mission de sauver l’honneur de la police française et de rendre Javert présentable ! Il faut dire qu’ils avaient eu peu avant, en 1978, un téléfilm sur Les Misérables dans lequel Javert était interprété par Anthony Perkins. Il avait su donner une certaine complexité au personnage. Et sans doute se sont-ils dit aussi que, puisque les Thénardier étaient déjà des antagonistes comiques, Javert pouvait jouer un rôle plus tragique. En effet, si les Thénardier sont plus sympathiques au public lorsqu’ils sont comiques, Javert plaît surtout quand il parvient à émouvoir.

Le suicide de Javert actuellement (1991) :

Note : En 1991, le chanteur portait la version anglaise du costume !

Le suicide de Javert (« Noir ou Blanc »), à l’origine (1980) :

La première apparition de Javert (1980) :

Note : La scène de l’arrestation de Fantine existe toujours dans le spectacle actuel, mais elle se chante sur un ton plus mécanique. Les paroles aussi sont plus sérieuses et commencent désormais ainsi : « Dîtes-moi ce qui se passe / Dans le nid de cette vipère / Vous pouvez parler, Monsieur / Je suis l’inspecteur Javert »… C’est à la fois mieux et moins bien : on regrette beaucoup le « Qui est mort ?? Qui a tué ??? » !

Les ajouts du prologue, de la chanson des étoiles et de la confrontation…

Le prologue au bagne axe l’intrigue sur l’antagonisme Valjean/Javert :

Javert apparaissait initialement pour l’arrestation de Fantine. Mais la version internationale le présente dès la chanson d’ouverture et établit une première opposition avec Jean Valjean.

Toujours dans ce prologue, la chanson de la rédemption de Jean Valjean suite à sa rencontre avec l’évêque, réutilise l’air du suicide de Javert, établissant ainsi un jeu de miroirs entre les deux personnages et un parallèle antithétique entre le début et la fin du spectacle. Même certaines phrases des paroles sont similaires.

La rédemption de Jean Valjean (« Pourquoi ai-je permis à cet homme ? ») en 1991 :

Les étoiles, monologue introspectif :

La chanson de Javert sur les étoiles est très atypique car elle ne se rattache à aucun passage du roman. Quand tous les autres personnages chantent pour parler de leurs problèmes, Javert est le seul qui divague en regardant les étoiles ! Cette chanson, ajoutée pour la version internationale, apporte de la poésie au personnage, en le montrant idéaliste et rêveur à sa manière. Elle est proche de l’esprit du romantisme, mouvement littéraire auquel appartient le roman.

Particularité de la version internationale : Javert a un vocabulaire très religieux et se dit investi d’une mission divine ! Tandis que dans la version française de 1980, il parlait plutôt de l’État et de son devoir de fonctionnaire. Mais peut-être ce concept de fonctionnaire était-il mal compris à l’étranger ? Ou peut-être était-ce trop terre-à-terre pour une comédie musicale ?

« Sous les étoiles » (1991) :

La Confrontation, meilleure scène de baston !

« La Confrontation » vient rajouter un peu d’action en milieu de spectacle ! Dans le roman, les personnages sont en désaccord car Javert veut arrêter Jean Valjean juste après la mort de Fantine, sans lui laisser le temps d’aller chercher Cosette. Mais ils n’en étaient quand même pas à se battre ! …Cependant, pourquoi régler les choses à l’amiable, quand on peut simplement se bagarrer sur scène comme des chiffonniers ? Au-dessus du cadavre de Fantine, qui plus est !

Néanmoins, l’ajout de cette chanson est une idée géniale car elle permet un débat moral entre Jean Valjean et Javert, la révélation du passé de Javert (qui, dans le roman, était simplement raconté par le narrateur), une montée fulgurante de l’intensité dramatique -et une excellente scène de bagarre qui régale le public ! Le contrepoint dramatique (le fait de chanter simultanément deux airs différents) souligne l’incompréhension entre les personnages, qui se disputent sans s’écouter. C’est un procédé de dramatisation très fréquent, également en opéra.

Si elle n’est pas très connue en France, car elle ne figurait pas dans le spectacle original, cette scène d’affrontement est devenue très populaire dans les fandoms étrangers. En intensifiant le conflit entre les personnages, elle a un véritable impact sur tous les films anglais et américains modernes où le rôle de Javert est désormais celui d’ennemi personnel de Jean Valjean.

La mise en scène actuelle à West End :

Les paroles en français (1991) :

…Et un peu de morale dans tout ça !

Point négatif de la version internationale : elle exclue Javert et les Thénardier de la chanson finale. Ce qui signifie qu’ils sont punis ! Le cas de Javert est particulièrement contradictoire : d’un côté son suicide reprend un air associé à la rédemption car chanté par Jean Valjean au début du spectacle ; de l’autre son fantôme ne reparaît pas sur scène, ce qui évoque plutôt une condamnation. En France, même si l’on chante la version internationale, on continue de faire revenir tous les personnages à la fin. -Parce que nous, on n’est pas regardants : on accepte tout le monde !

Ainsi, lors des représentations de 2024 à Paris, on a vu sur internet des fans américains s’étonner de cette particularité de la mise en scène française. Ils trouvaient formidable que ces trois personnages soient symboliquement sauvés à la fin. Et c’est vrai que cela met une meilleure ambiance. D’autant plus que, comme on vous l’apprend à l’école, le titre Les Misérables signifie à la fois « dignes de pitié » et « dignes de mépris » : il englobe tous les personnages.

La comédie musicale Les Misérables sera à nouveau en tournée en France en 2026. Réservez vos places !

Gavroche au milieu des mendiants.
Les Misérables au Châtelet – 2024 © Thomas Amouroux. Tous droits réservés. Description : Gavroche et les mendiants dans la chanson « Donnez, donnez ».

5 raisons d’aller voir Les Misérables en 2024 & 2026 :

  • La version internationale avec l’intégralité des chansons. Mais une mise en scène inédite et exclusive à la France ! Les autres pays jouent invariablement la mise en scène internationale officielle.
  • Une intrigue très fidèle au roman, malgré le parti-pris d’avoir un antagoniste plus mémorable. Au final, Javert n’est pas si différent du personnage du livre, il est juste plus dramatique. Et sa présence n’éclipse pas celle des Thénardier, ce qui est souvent l’écueil des films qui cherchent à le mettre en avant.
  • Un spectacle qui varie les registres, mêlant personnages comiques et tragiques. Et alternant airs lyriques et scènes d’action. Il plaît donc aussi bien aux adultes qu’aux enfants !
  • Le spectacle qui a créé un immense fandom autour des Misérables à travers le monde et inspiré toutes les adaptations modernes du roman…
  • Une équipe géniale ! Avec notamment le chanteur d’opéra Benoît Rameau qui interprète Jean Valjean. Le rôle de Fantine revient à Claire Pérot, qui chante donc le célèbre « J’avais rêvé ».

Merci d’avoir lu cet article ! Nous vous invitons à rejoindre la communauté des étoilé.e.s en participant à notre groupe Facebook « La Galaxie de la Pop-culture ». N’hésitez pas à nous suivre sur tous nos réseaux !

Insta Revue de la Toile LinkedIN Revue de la Toilefacebook revue de la toile


Umeboshi : prune japonaise séchée et amer

Rédigé par Umeboshi

Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.

Comments

2 réponses à “[ANALYSE] L’histoire de la comédie musicale Les Misérables, de la France au monde !”

  1. Avatar de
    Anonyme

    Est-ce que ce sera le même casting en 2026 ? Et est-ce que ce sera encore à Paris ou ils iront dans d’autres villes ?

  2. Avatar de
    Anonyme

    Les chansons sont magnifiques. On ne se lasse pas de les entendre. Et j’aime les acteurs qui interprètent les personnages.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.