César Pierre Castagné est psychiatre, et il vient de publier La face cachée d’Harry Potter chez Albin
Michel. Il a accepté de répondre à nos questions.

On peut se demander si l’œuvre construit et prépare au monde adulte, ou si elle les rend captifs de Poudlard. Dans Harry Potter, plus le monde adulte se rapproche, plus il est terrifiant et rentrer dedans se fait par la souffrance. Mais, la vie, ce n’est pas ça. Grandir, c’est un phénomène naturel, et bien sûr, on peut avoir des traumatismes qui se soignent, mais on ne doit pas permettre aux traumatismes de prendre une place en devenir.

Je vais pas rentrer dans les faits et commenter les polémiques. En revanche, je comprends pourquoi une
partie de la fanbase se sent trahie. Ce que je pense, c’est qu’il y a quelque chose de dissonant dans les
combats que J.K. Rowling mène. On ne peut pas promouvoir, comme elle le fait à travers les aventures de
ses personnages que tout est possible dans tout cet univers magique – c’est la promesse qui est faite lorsque l’on rentre à Poudlard- si de l’autre côté, on vient finalement nous dire que tout cela est interdit ! A ce moment-là, c’est la magie qui s’éteint et l’on se retrouve face à un Mangemort. J.K. Rowling devient ainsi une sorte de Dumbledore : son discours est discordant, il y a une dissonance, elle est cruellement ressentie par certains de ses fans, qui ont vu dans Poudlard un lieu refuge, une arche de Noé qui acceptait toutes les différences.

En lisant mon livre, La face cachée d’Harry Potter, cela ne revient pas à remettre en question le génie de l’autrice, mais à créer une profondeur, un nouveau champ d’interprétation. Si on peut permettre aux personnes de voir un autre Harry qui n’aurait jamais dû retourner à Poudlard, on pourra les amener à se montrer critique, car Harry Potter peut être descendu de son piédestal et peut être aussi critiquable.

Il y a eu un parti pris éditorial, il y a d’autres ressors psychologiques qui n’ont pas pu être développés, tout n’y apparaît pas, mais peut-être que d’autres choses sortiront.

Ce qu’on peut essayer d’imaginer, c’est que Dumbledore a lui-même été résilient, on ne sait pas quelle est l’histoire derrière ses années en enfer : il a perdu son père, sa mère, et sa sœur, en sept ans, mais il est aussi devenu un enfant roi. Il est là pour remplacer son père dans une structure familiale qu’il prend à sa charge. On peut considérer qu’il est résilient, il protège de sa famille de la honte sociale. Les Dumbledore changent de village, sa mère ne se fait pas soigner et ne fait pas soigner sa fille, alors qu’ Ariana fait des crises d’obscurial, car c’est honteux. Les millenials, qui sont la cible principale d’Harry Potter ont envie que la santé mentale soit prioritaire, or l’usage de la santé mentale des Dumbledore est honteuse, on n’accède pas aux soins, vécus comme intrusifs. Dumbledore n’est plus résilient après la mort de sa sœur, car il a trop souffert.

Quand on souffre trop, quand on est appelé à sans arrêt devoir rentrer en résilience trop souvent et aller au bout d’une démarche sacrificielle, au bout d’un moment, on ne peut plus. Grinderwald est sa part sombre qui témoigne du fait qu’il ne sera plus résilient et qu’il va faire souffrir les autres pour éviter de souffrir lui-même. La résilience est un mécanisme d’adaptation qui est un état coûteux de compensation et qui n’est pas durable. La rédemption est un état de guérison permanent, c’est un chemin complexe et qui prend du temps. Une rédemption, c’est aussi accepter de perdre quelque chose. Il faut faire la distinction entre résilience et rédemption, et il n’y aucune rédemption dans Harry Potter.

Je préfère montrer une dynamique psychologique en action, plutôt qu’une étiquette. Dumbledore est dans un rapport de manipulation permanent : il régit l’univers des sorciers, mais il ne prend jamais part aux batailles. Exactement comme Gilderoy Lockhart, qui en est une version prétentieuse. Comme Gilderoy Lockhart, il n’en reste pas moins pathétique. Il n’en reste pas moins faible, et lâche. Il y a un continuum entre ces deux personnages, car Dumbledore est d’abord un enfant en souffrance, jusqu’au moment où Grindelwald le supplée, ce qui fait apparaître en lui le pervers narcissique et puis, le tyran paranoïaque. Ila rapport paranoïaque au monde et à Voldemort. Et tout recommence sans cesse dans cet univers.

Un cycle d’histoire se termine par le sacrifice d’Harry qui y met un terme. Dumbledore quitte la scène,
personne n’a réussi à l’atteindre. En revanche, il a gardé la main mise sur tout, en se réincarnant dans la
filiation d’Harry via Albus Potter. Dans Harry Potter et l’enfant maudit, Albus Potter inaugure des désirs
inavouables, il est attiré par le mal, il porte en lui la gestation de Voldemort. Il y a à nouveau un rapport
avec la sexualité qui est traumatisant. Par la faute des désirs d’Albus, un jeune écolier sera sacrifié.
Comme si la sexualité était destructrice. Dans cet univers, vivre une vie adulte, c’est se méfier de la vie
sexuelle
, ce qui n’est pas très épanouissant.

Dumbledore aurait fermé l’école. Mais il semble que JK Rowling ne veut pas qu’on quitte Poudlard. Dumbledore avait fait une thérapie, il aurait fait tout ce qui était en son pouvoir pour permettre l’assimilation des sorciers dans le monde réel qui ne serait pas modulé par la peur ou l’angoisse d’être rejeté. Les particularités qu’elles quelles soient doivent être exposées et considérées comme existantes pour être incluses. Cependant pour y parvenir et pour aller voir un psy, Dumbledore aurait d’abord dû se considérer comme une victime, reconnaître qu’il a été meurtri, que l’enfant qu’il était, était en souffrance et carencé. Cet enfant n’a pas été aidé, et c’est cela qui a créé sa relation paranoïaque au monde. Plutôt que de promettre aux sorciers d’aller à Poudlard pour se protéger et ne pas se faire maltraiter, il devrait militer pour les faire reconnaître et les faire prendre en considération par les moldus.

Harry Potter a été écrit dans la même lignée que Miss Perigrim et les enfants particuliers. Or, l’on pourrait faire des fictions sur les particularités qui peuvent être admises et reconnues, et mettre en scènes des clefs et des ressorts dramatiques pour cela. La tendance à l’écriture dans la pop culture est souvent affaire de rapports de force, d’emprises et de sacrifice, pour créer des conditions de sacrifices pour les héros. C’est la même chose dans le MCU et il n’y a aucune rédemption possible.

Je ne suis pas sûre de partager cette idée que les Malfoy sont en rédemption ; ils sont à l’image des collaborateurs pendant la seconde guerre mondiale. Ils ont participé à un ensemble de situations : l’invasion des mangemorts, les tortures, la maltraitance à tous les étages… Je ne pense pas que le poids de ces traumatismes puissent être lavés par le fait qu’ils ont sauvé Harry à un moment donné. L’ensemble des mangemorts sont manipulateurs, alors, est-ce qu’on a pas des Malfoy qui manipulent Harry, parce qu’ils sentent que la bataille est perdue ? Ont-il basculé du côté du bien, ou ont-ils sauvé leurs intérêts ? Concernant le fait que Narcissa protège Harry, c’est en fait plutôt Harry qui protège la maman de Drago après s’être sacrifié. Harry utilise la même magie que sa mère, qui rend bon les siens, par son sacrifice. Je sais pas s’il aime Narcissa Malfoy, elle a une fonction maternelle et le sacrifice fait par Harry la rend meilleur. Cette femme récupère son fils, et ses intérêts sont préservés.

Les enfants ne sont pas responsables des crimes de leurs parents. Mais, je ne pense pas non plus. Il y a quand même la mort de ses camarades, et surtout le sacrifice de son ami dans la salle sur demande ! Il va en porter la responsabilité. Harry Potter le sauve, mais le sauve-t-il vraiment ? Dans Harry Potter, il y a un rituel qui se perpétue : une mort pour une vie. Le mouvement de correction n’est pas suffisamment travaillé par l’autrice. Avec Drago, on a plutôt un enfant traumatisé et sidéré, qui est déjà en état de mort cérébrale à la fin du tome 7. L’état de Drago est le même que celui dans lequel se trouve Dumbledore à la fin de sa dernière année à Poudlard. Finalement, à ce moment, et dans toute la saga, le rapport de Drago et Harry doit se rapprocher de celui dans lequel sont Albus et Gellert, c’est un rapport antagoniste et un rapport de fascination, peut-être même un rapport amoureux.

Un des seuls personnage qui marque un peu ce chemin de rédemption est Ron. Ron est toujours disqualifié, on le démantibule, il n’est pas écouté, pas pris au sérieux. Il devient à la fin une sorte de personnage grotesque, avec ses fausses prouesses au Quidditch. C’est le plus sain de la saga, le plus humain, c’est le seul qui s’oppose à Harry dans ce statut de héros et dans son récit d’héroïsme, et dans sa destinée héroïque. Ron est le seul à être sexualisé, il va devenir odieux avec Hermione, car il est jaloux, et c’est normal. A travers lui, c’est toute sa sexualité qui est moralement contestable, alors, la sanction qui s’opère pour lui, c’est la désartibulation. Il ne coupe pas les liens non plus avec Harry, il aurait dû. Mais là encore, à la fin du récit, Harry Potter rejoint sa famille et prend la place de son frère disparu. Une mort pour une vie.

Je pense que ce serait Serdaigle.

Un guépard.

Têtenbulle : pour respirer sous l’eau.

Merci pour cette belle interview ! Nous vous invitons à vous procurer La face cachée d’Harry Potter en cliquant ici !

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Tsilla Aumigny

Rédigé par Tsilla

Rédactrice en Chef, ex-Enseignante en Lettres Classiques certifiée, Autrice de roman, Scoute toujours, Jedi à ses heures perdues, Gryffondor.


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