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Il est difficile de représenter les personnes handicapées à l’écran sans tomber dans l’écueil du validisme, ou du capacitisme. Mais alors, qu’est-ce que le validisme et le capacitisme, et comment représenter le handicap dignement ? Définitions et illustrations avec des exemples directement issus de la pop culture.

Des héros et héroïnes handicapés dans la Pop Culture, il y en a pléthore. Que ce soit des supers en collants et en fauteuil roulant (Charles Xavier dans X-Men), des personnalités atypiques (Edward dans Edward aux mains d’argent de Tim Burton) ou des personnages de série (comme Rebecca Bunch dans Crazy Ex-Girlfriend)…La liste est encore longue… Or, la question de la représentation dans une fiction peut se poser, car une personne handicapée peut être bien représentée, mais pas du tout représentative de l’ensemble des personnes concernées.

Certains protagonistes sont vraiment intéressants, quand d’autres véhiculent des clichés. Mais où est le problème, me demanderez-vous ? C’est tout l’objet de cet article : la représentation et/ou la représentativité n’est pas un problème tant qu’elle n’est pas problématique. Le plus grand problème des fictions, c’est souvent le validisme ou le capacitisme. Et parfois, ce n’est même pas voulu, l’intention initiale étant bienveillante.

Le validisme ou le capacitisme, qu’est-ce que c’est ?

Faire preuve de validisme ou de capacitisme, c’est partir du principe que les personnes avec des incapacités doivent être « réparées », « rééduquées », « transformées » pour mieux correspondre à la norme. Ou a minima doivent-elles faire des efforts pour ne pas déranger avec leurs « différences ». Le validisme provient d’un mouvement anglais, « ableism ». Il s’agit d’un concept issu des disability studies, un courant académique à l’opposé des sciences de la réadaptation (rehabilitation sciences). L’agissement validiste peut être directement hostile, ou figurer, a contrario, les personnes handicapées comme étant elles-mêmes hostiles.

Ainsi, le genre de l’horreur s’est souvent emparé du sujet de la « folie » et de la figure du « fol » pour l’exploiter en tant qu’antagoniste dans ses scenarii. Hitchock a ouvert le bal et, bien malgré lui, la porte à la stigmatisation des personnes ayant un trouble de la personnalité dissociatif avec son film Psychose (1960). Dans ce film, un jeune homme (Anthony Perkins) prend l’apparence de sa mère décédée pour commettre des crimes. L’intention du réalisateur était de créer un suspens intenable, surprendre, et exorciser ses traumatismes, tout en révolutionnant le cinéma et son utilisation de la lumière.

Le personnage principal, qui a deux visages, a un trouble dissociatif (TDI), et non pas d’un trouble psychotique, comme le suggère le titre. Pourtant, la confusion peut tout à fait s’expliquer au vu du contexte. Le trouble dissociatif de l’identité a été introduit en 1952 dans le manuel de référence en matière psychiatrique, le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM). Il était alors caractérisé comme un trouble psychonévrotique. Relevant à la fois de la psychose (une perte de contact avec la réalité) et de la névrose (des troubles mineurs du comportement avec une atteinte du système nerveux sans lésion apparente de celui-ci).

Or, si la science a bien évolué depuis dans sa compréhension des troubles dissociatifs, leurs représentations n’ont quant à elles que peu changé dans les médias. A tel point que l’on utilise abusivement le terme « schizophrénie » (un trouble psychotique caractérisé par une perte de contact avec la réalité) pour évoquer une dissociation quelle qu’elle soit. C’est non seulement irrespectueux pour les personnes schizophrènes, mais ça l’est tout autant pour les personnes atteintes par un TDI. Récemment, une pétition a été lancée par le psychiatre Hugo Baup, pour en finir avec l’utilisation de termes psychiatriques et leur emploi dans les médias.

En outre, ces deux pathologies sont toujours exploitées dans le cinéma d’horreur pour justifier le comportement des tueurs en série, alors que les personnes schizophrènes ou ayant un TDI se font bien souvent plus de mal à elles-mêmes qu’elles n’en font aux autres. Comme l’ont constaté plusieurs études, relayées par l’OMS et la HAS (la Haute autorité de la Santé).

Outre ces représentations excessivement problématiques, le validisme peut aussi associer la « différence » à l’idiotie, à la laideur, au déficit de courage, à la geignardise victimaire, et engendrer le rejet des personnes différentes. Cette forme de validisme est souvent dénoncée par les fictions, c’est la figure du Freak, du monstre, comme le sont la créature de Frankenstein ou Quasimodo.

Mais aussi les X-men, ces « homo sapiens superior », héros et héroïnes qui ne cessent d’être rejetés par la société. Que ce soit à cause de leur aspect physique (comme le Fauve ou Mystique), ou de leurs pouvoirs parfois dévastateurs (comme Cyclope et Malicia), les X-men incarnent à l’écran la discrimination que subissent de nombreuses personnes différentes ou handicapées. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le professeur Xavier est en fauteuil roulant (mention spéciale à son constructeur qui a réussi l’exploit de le faire tout terrain !). Il dirige l’école pour jeunes surdoués.

Finalement, cette école n’est-elle pas une structure qui montre les limites d’une société ségrégationniste, incapable d’inclure les mutants ? Ou plutôt, de s’en donner les moyens ? Car la morale du comics et des films, à travers le combat des X-Men contre Magneto, n’est-ce pas de nous faire réfléchir sur le rejet et l’inclusivité ? Cela pose paradoxalement une question brûlante au sein de la communauté des fans : et si Magneto avait finalement raison ? Et si, la ségrégation auto-gérée et les écoles spécialisées n’étaient pas la solution ?

X-Men est une franchise qui ne cesse de se réinventer, de nous questionner, et de retracer ses histoires mythiques autour du concept de l’inclusion. Elle pose aussi la question de la monstruosité : au fond, qui est le monstre ? Celui qui n’entre pas dans les normes, ou celui qui les impose ?

La figure du Freak : ou comment réinventer le concept d’alinéation dans Edward aux mains d’Argent

Tim Burton, maître du gothique moderne, aime traiter de personnages hors-normes, car souffrant lui-même de troubles unipolaires (dépression), il utilise régulièrement la thématique des monstres pour évoquer sa propre différence. Cet aspect est particulièrement développé dans Edward aux mains d’argent (Edward Scissorhands).

Edward (Johny Depp) est une créature humaine, modelée par son inventeur (Vincent Price) qui n’a jamais eu le temps de l’achever. Ce dernier est mort avant de lui avoir donné des mains. Edward se retrouve alors à vivre seul avec ses mains en forme de ciseaux dans un immense château en ruines. Recueilli par Peg Boggs (Dianne Wiest), une représentante en cosmétiques qui passait par là, il intègre sa maison et sa famille. Rapidement, il tombe sous le charme de sa fille Kim (Wynona Ryder). Ce Frankenstein moderne commence à vivre dans une banlieue américaine sans histoire, où ses talents artistiques sont exploités, tandis que les habitants tentent de le modeler à leur image.

Ce film est une ode magique à l’acceptation de la différence. Il peint avec réalisme l’étouffement de celle-ci dans le carcan sociétal, avec beaucoup de subtilité, puisque la plupart des personnes validistes ne le sont ni intentionnellement, ni de façon malveillante. C’est l’histoire d’une majorité qui rêve d’imposer ses codes pour que la minorité qui diffère de sa norme soit « assimilée », « intégrée », au lieu de s’adapter à elle. Il en résulte une asphyxie de ce qui fait toute sa force et sa beauté.

Car le validisme n’est pas toujours malveillant, et peut même être empreint de bonnes intentions, allant de la compassion à la survalorisation de « l’exception ». On parle alors d’Inspiration Porn.

L’inspiration Porn : quand la bienveillance pousse au dépassement impossible du handicap

L’Inspiration Porn inonde toutes nos fictions, et même, nos médias et nos publicités ! Elle consiste à présenter la personne handicapée comme une héroïne du quotidien : résiliente, souriante et débrouillarde…Elle est peinte comme une personne qui a surmonté les traumatismes de sa vie pour devenir une battante, qui s’est donné les moyen de devenir un·e self-made-(wo)man au succès éclatant ! Souvent, les critiques la louent comme : « une belle leçon de vie ». Ce qui en fait un modèle parfait. L’idée, derrière cette représentation idéalisée, étant que toute personne aspire au dépassement d’elle-même pour atteindre ses rêves.

Le message véhiculé aux personnes handicapées à travers ces figures héroïques est de dépasser leur handicap, ce qui est proprement impossible, quand pour certaines, dépasser son handicap consiste simplement à se lever de son lit. C’est la raison pour laquelle beaucoup de personnes handicapées rejettent ces termes. Les conséquences sont en réalité très anxiogènes, non seulement pour les personnes handicapées, mais aussi pour l’ensemble des personnes sensibles à l’anxiété de performance. Après tout, ne devrions-nous pas aspirer à être simplement des êtres humains : avec nos qualités, nos défauts, nos forces et nos faiblesses ?

L’Inspiration Porn, nous la retrouvons par exemple dans un épisode de Desprate Housewife (saison 6, épisode 11). Alors que Lynette est en train de perdre l’un de ses jumeaux, elle rêve de cet enfant, Patrick. Dans son rêve, celui-ci est handicapé, nous le voyons enfant, puis, adolescent. Elle le pousse dans ses retranchements afin qu’il obtienne son diplôme, comme tous les autres. Elle fait alors preuve de validisme, qui sera loué à la fin de l’épisode. Lynette avait-elle l’intention de d’être validiste ? Sûrement pas, elle le faisait pour le bien de son enfant, qui finit par l’en remercier. L’épisode se conclut par le réveil de Lynette et la perte in utero de Patrick, qui la dévaste.

Peut-être aurait-il été intéressant qu’il ne meurt pas, et que Lynette prenne conscience de la réalité du handicap. Peu importe l’effort et la persévérance, c’est un environnement adapté qui contribue avant tout à la réussite d’une personne handicapée, pas l’Inspiration Porn (qu’elle vienne de médias ou des proches). En effet, ce n’est pas seulement le handicap qui est limitant, c’est aussi l’absence de compensation dans un environnement qui n’est pas suffisamment adapté. Cela provoque une tendance générique des personnes handicapées à se surpasser en permanence pour surcompenser l’absence d’accessibilité, chose qui est rarement représentée dans les fictions. Cela a pour conséquence que l’entourage d’une personne handicapée, bercé par l’Inspiration Porn, l’encourage à dépasser ses limites, lesquelles sont déjà atteintes. Provoquant sur son passage une myriade d’émotions paradoxales, allant de l’idéalisme au découragement.

A contrario, il existe des personnes handicapées qui vont être excessivement protégées par leur entourage. Cette surprotection, est là encore, massivement surexploitée dans les œuvres de Pop Culture.

De la surprotection au concept d’Helicopter Parenting

Comme dans Nemo, où Marin ne cesse de dire à son fils qu’il n’est pas capable de faire les choses, parce qu’il projette ses angoisses sur lui. Cette attitude parentale est qualifiée de « helicopter parenting » par Jonathan Decker, dans l’excellent podcast YouTube Cinema Therapy. Toute l’épopée de Marin lui permet de prendre conscience que les limites de son fils sont avant tout les siennes.

D’autres formes de validisme bienveillants sont facilement identifiables, notamment en ce qui concerne la représentation de l’autisme dans les fictions. Rain Man, Forrest Gump, et toutes les personnalités atypiques assimilées à l’autisme (coucou Sheldon Cooper), décrites avec de grands talents, nuisent à la représentativité des personnes autistes. De nombreux aspects de l’autisme ne sont pas présentés avec justesse, quand certains ne sont pas présentés tout court.

Le handicap fantasmé : l’exemple de l’autisme

Par exemple, Rain Man est un génie. Or, toutes les personnes autistes ne possèdent pas des capacités hors normes. Toutes les personnes autistes ne sont pas non plus déficientes intellectuelles, comme Forrest. L’autisme est une forme de neuroatypie (un cerveau branché différemment) qui se caractérise par des intérêts restreints et répétitifs, un déficit dans la communication et dans les interactions sociales. Globalement, rien de tout cela n’est porté à l’écran, puisque la plupart des fictions avec des autistes (Rain Man, Forrest Gump, The Good Doctor…) sont écrites par des personnes allistes (non-autistes).

Ainsi, certaines caractéristiques propres à l’autisme sont absentes, comme le flapping, ou le fait de faire des mouvements vifs à cause d’un sentiment d’excitation. Le meltdown et shutdown (le burn out autistique, « les crises » et ce à quoi elles peuvent réellement ressembler, c’es-à-dire à une personne prostrée seule sur son lit) sont oubliés sur le fil du récit. Ces personnages sont des coquilles vides : ce sont des personnages de fiction auxquels la plupart des autistes ne peuvent pas s’identifier. Ces fictions ont été écrites par des neurotypiques pour représenter un autisme fantasmé.

Même la série Atypical sur Netflix, présentant les péripéties d’un ado autiste et de sa famille, n’échappe pas à quelques clichés. Pour autant, il y a une volonté de représenter positivement l’autisme, même si cette représentation n’est ni réaliste, ni représentative. D’autant plus que l’écriture de ces personnages a tendance à se centrer sur le point de vue de l’entourage, et non, sur le ressenti des personnes concernées. Ce qui est assez ironique puisqu’Atypical est narré par Sam, protagoniste autiste ! Et pour cause, la série a été écrite par des personnes non-autistes et le personnage principal est incarné par un acteur qui ne l’est pas.

La fiction française ne fait pas exception à la règle. En mai 2024, le lendemain de la journée consacrée à l’autisme et aux TND (troubles du neurodéveloppement), France 2 a diffusé le téléfilm Tu ne tueras point, avec Samuel Le Bihian dans le rôle d’un avocat défendant une mère infanticide, laquelle a tué sa fille autiste et polyhandicapée. Cette fille, dans les médias, a été réduite à son handicap, son nom n’est jamais mentionné. Au cours du film, elle n’apparaît qu’une seule fois, sur une photographie, la parole ne lui est jamais donnée. Tout le récit se focalise sur celui de sa meurtrière, pour laquelle la compassion est de mise. Le point de vue demeure unilatéral, et tous les gestes de la victime sont interprétés comme désespérés, alors qu’elle n’est pas en capacité de parler.

Tu ne tueras point finit par défendre l’indéfendable en réduisant une vie humaine au polyhandicap, le meurtre à « un geste d’amour », ce qui lui a valu une pétition en ligne, ainsi qu’une manifestation organisée par les associations Neurodiversité france et CLEE autisme, à laquelle le député Sébastien Peytavie a contribué, en rappelant que « Mieux vaut être mort qu’handicapé ». Une soirée débat s’est en suivie, avec 7 invités, dont une seule personne autiste.

Et ce, alors que l’ARCOM souligne fièrement que « la représentation du handicap atteint pour la première année la barre symbolique de 1 %, contre 0,8 % en 2021 ». Est-il vraiment nécessaire de commenter cette statistique ? Est-il aussi nécessaire de rappeler que nombreuses fictions qui traitent du handicap n’emploient pas des personnes vraiment handicapées, contribuant ainsi à affaiblir ce chiffre qui n’est déjà pas très élevé ?

Au final, les soucis de représentativités sont avant tout un problème dans la génèse des projets, car ils sont rarement écrits par des personnes directement concernées. En résulte une représentation complètement biaisée, qui passe à côté de l’essentiel de son sujet, et qui peut aller, comme le fait Tu ne tueras point, jusqu’à heurter la sensibilité des personnes qui sont sensées pouvoir s’identifier aux personnages proposés.

Du validisme au validisme intériorisé

Ainsi, le validisme, c’est d’abord le regard que l’on porte sur l’incapacité, quelle qu’elle soit. Qu’on la nie, qu’on la minimise, ou au contraire, qu’on sacralise la personne qui l’a compensée, être validiste, c’est ne pas accepter de regarder l’incapacité telle qu’elle est. Mais pourquoi ?

Le validisme est profondément humain. En niant l’incapacité des autres, je nie mes propres incapacités, mes propres faiblesses, et je préserve ainsi mon estime de moi-même. Cela permet également de constituer une hiérarchie sociale entre « les forts » et « les faibles », par conséquent, de me positionner sur cette échelle qui est une pure invention sociétale. Pour me rassurer. Il est donc tout à fait normal que le validisme touche les personnes les plus concernées : les personnes handicapées. On parle alors de « validisme intériorisé ».

Un bel exemple de validisme intériorisé se trouve dans le film Avant toi (Me Before You). Le personnage principal, Will (Sam Claffin) se retrouve tétraplégique après un accident. Perdant toute joie de vivre, il décide de mettre fin à ses jours, malgré la présence de sa nouvelle auxiliaire de vie dont il tombe amoureux, Lou (Emilia Clark). Outre les nombreux problèmes de représentation de l’accessibilité dans ce film (mention spéciale à l’inaccessibilité du château qui a soi disant été refait), le fait de présenter le handicap comme une difficulté insurmontable, qui ôte toute joie de vivre, est un problème en soi.

Will ne cesse de comparer sa vie d’avant à celle qu’il a après son accident. Sa fiancée l’a quitté pour son meilleur ami. Il ne peut plus travailler, ni manger seul. Or, cette rupture n’est pas la conséquence de sa tétraplégie. Sa fiancée a rompu avec lui car leur relation était superficielle et ne devait pas reposer sur des bases émotionnelles saines. Ce serait donc plutôt positif qu’elle soit partie. Malheureusement, ce n’est pas le message de cette fiction. Malgré tout, Will semble incapable d’être heureux, alors que résidant en Angleterre, il ne comprendra jamais la détresse que peut engendrer la constitution d’un dossier MDPH (la maison départementale des personnes handicapées, qui a sûrement été crée par Lucifer dans un de ces cercles infernaux).

D’autres scènes sont dérangeantes, comme celle où Lou insiste pour qu’ils mangent dans un restaurant après que Will ait été recalé à l’entrée. Au lieu de traiter ce moment comme étant une blessure d’humiliation pour Will, la scène se poursuit et montre Lou qui insiste pour entrer malgré le désaccord de celui-ci. Toutes les autres scènes sont du même acabit, jusqu’au dénouement où Will préfère mourir que de continuer à vivre tétraplégique dans un château, entouré par sa famille et une femme qui l’aime. Pour reprendre les mots de l’actrice Liz Carr :

Nous avons peu de possibilités d’explorer le handicap dans les médias. Mais il y a un nombre disproportionné d’histoires dans lesquelles le handicap est vu comme un problème, et la mort est présentée comme seule solution. La télévision et le cinéma semblent aimer ces individus qui veulent mourir. Mais ils semblent moins intéressés par les autres, ceux qui se battent pour vivre une existence heureuse

Ryan Gilbey, ‘I’m not a thing to be pitied’: the disability backlash against Me Before You », The Guardian, 2 juin 2016

Pourtant, des fictions qui traitent du handicap sans angle validiste, il y en a. Beaucoup. Peut-être serait-il temps de les valoriser et de leur donner plus de place dans nos librairies et sur nos écrans ?

Représentation clichée versus représentations réalistes

Ces représentations, nous pouvons les retrouver à travers des biographies, des témoignages, des autobiographies, des fictions écrites pour lutter contre les préjugés.

Ce sont par exemple, La différence invisible de Julie Dachez et Mademoiselle Caroline, Hapiness Therapy de David O.Russell, Nos étoiles contraires de John Green, The Session de Ben Lewin et même Game of Thrones…Des fictions qui cherchent à déconstruire des préjugés bien ancrés dans notre société. Chacune d’elles permet une véritable remise en question : que ce soit sur le regard compatissant que nous pouvons porter sur des personnes et leur situation, ou leurs besoins. Elles abordent les relations humaines et amoureuses des personnes handicapées, de leur point de vue. The Session (tiré du roman autobiographique écrit par Marc O’Brien) ranime même positivement le débat des assistantes sexuelles dont certaines personnes ne peuvent se passer. Quant à Game of Thrones, c’est l’une des rares fiction de fantasy écrite dans l’optique de développer des personnages au-delà de leur handicap, et leur donner une place dans des jeux de pouvoirs politiques qu’on ne leur octroie que trop rarement.

Concernant les autobiographies et les témoignages, on retrouve par exemple, Temple Grandin (scientifique autiste qui a notamment rédigé Ma vie d’autiste) ou encore La vie réserve des surprises de Caroline Baudet, dont la fille est porteuse de trisomie 21. Ce sont des livres écrits par des personnes directement ou indirectement concernées, et leur approche permet de mieux comprendre ce que peut vivre une personne handie ou un proche qui se bat pour elle.

Toutes ces fictions ou ces témoignages ont en commun qu’ils se sont inspirés ou documentés d’une réalité que toutes les autres ignorent. Là où certaines ne font qu’interpréter des fantasmes ou des clichés, celles-ci retranscrivent des vécus. C’est peut-être là la clef d’une représentation réussie : être au plus proche de son sujet, pour poser des mots sur des ressentis. Elles abordent aussi un sujet qui mériterait toute notre attention : le bonheur.

L’épanouissement des personnes handicapées est-elle possible dans les fictions ?

La série Crazy Ex-Girlfriend est l’une des rares fictions dans laquelle le bonheur est un sujet central. Rebecca Bunch, protagoniste atteinte par un trouble de la personnalité limite (borderline), mais aussi de stress post-traumatique, de trouble anxieux généralisé et de TOC (troubles obsessionnels compulsifs), tente d’être heureuse. Malgré ses propres difficultés et sa tendance à l’autodestruction, Rebecca essaie par tous les moyens de comprendre qui elle est, de devenir une meilleure personne, et apprendre à s’aimer telle qu’elle est. Tout comme Isaac dans Sex Education.

Sex education, a introduit, lors de sa deuxième saison, le personnage d’Isaac, incarné par Georges Robinson. Georges Robinson est paralysé, et il incarne un personnage paralysé -ce n’était peut-être pas si compliqué d’embaucher un acteur à mobilité réduite-. Son écriture est intéressante, car elle aborde avec réalisme la sexualité, mais aussi, les problèmes d’accessibilité. En effet, au cours de la saison 4, il se retrouve à ne pas pouvoir assister à un cours à cause d’un ascenseur défectueux. C’est une situation bien connue par les personnes à mobilité réduite, qui est rarement abordée dans les fictions, réduisant souvent l’impact de ces problèmes pourtant quotidiens, qui peuvent nuire à l’épanouissement des personnes handicapées. Ne pas pouvoir accéder à un cours, à un emploi, est une véritable souffrance, bien plus que ne l’est le handicap.

Reconnaître cette souffrance et la porter dans une fiction est essentielle, à l’heure où des chercheurs sont en train de développer des exosquelettes, alors que des personnes en fauteuil roulant peuvent rester cloîtrées des mois chez elles à cause d’un ascenseur en panne.

En conclusion,

Le handicap est un sujet qui demande d’être traité avec un minimum de vraisemblance, à défaut d’être vraisemblable. Après tout, on ne demandera jamais au professeur Xavier d’avoir un fauteuil roulant remboursé par la sécurité sociale, mais simplement, de nous parler avec humilité de la façon dont nous pouvons accepter nos différences. Et comment nous pouvons nous construire grâce à elles. Pour toutes ces raisons, il est important de conserver un œil critique sur les représentations du handicap à travers les fictions et de ne pas cesser de nous questionner. Certaines sont écrites avec un angle ouvertement validiste. D’autres cherchent à lutter contre le rejet de la différence et déconstruire des préjugés. Certaines sont de belles fictions, qui se veulent bienveillantes, mais qui sont surtout bien loin de la réalité. Quand d’autres ont enfin porté dans leur écriture les questions qui préoccupent vraiment les cheminements de vie, portent un regard critique sur la société, et sur notre conception de l’Humanité.


[NOTA BENE : Il existe de nombreux débats quant aux termes pour désigner les personnes handies, voici une liste non-exhaustive :

  • « handicapé » est souvent mal perçu, car faisant référence uniquement au handicap, et pas à la personne
  • « personne porteuse de handicap » faisant référence au fait que la personne a une incapacité qu’elle subit
  • « en situation de handicap » pour parler de la situation invalidante plus que du handicap comme étant lui-même invalidant
  • « personne handie » ou « personne handicapée » utilisé principalement par les militantes

Ces termes étant sujet à débat, j’ai choisi d’utiliser ceux avec lesquels je suis particulièrement à l’aise. Toutefois, si vous ne savez pas lequel utiliser en présence d’une personne handie, n’hésitez pas à lui demander ;)]

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Tsilla Aumigny

Rédigé par Tsilla Aumigny

Rédactrice en Chef, ex-Enseignante en Lettres Classiques certifiée, Autrice de roman, Scoute toujours, Jedi à ses heures perdues, Gryffondor.


Bibliographie :

Les fictions analysées :

Alfred Hitchock, Psychose (Psycho), Shamley Productions, 1960, 109 min.

« Encyclopédie – Mutants (les) »marvel-world.com 

Time Burton, Edward aux mains d’argent (Edward Scissorhands), 20th Centry Fox, 1990, 105 min.

Marc Cherry, Desperate Housewives, Cherry Alley Productions, Cherry Productions, Touchstone Television (2004-2007), ABC Studios (2007-2012), 180 épisodes.

Andrew Stanton, Lee Unkrich, Le monde de Nemo (finding Nemo), Pixar Animation Studios, Walt Disney Pictures, 2003, 101 min.

Robia Rashid, Atypical, Jennifer Jason Leigh (prod. exé), Robia Rashid, Seth Gordon, Mary Rohlich, Netflix, 11 août 2017 – 9 juillet 2021, 38 épisodes.

Leslie Gwinner, Tu ne tueras point, France TV Studio, 2024, 90 min

Thea Sharrock, Avant toi (Me Before You), Metro-Goldwyn-Mayer, New Line Cinema, One Film at a Time, Sunswept Entertainment, 2016, 110 min.

Ben Lewin, The Session, Fox Searchlight Pictures, 2012, 95 min

David Benioff, D. B. Weiss, George R. R. Martin, Game of Thrones, Mark Huffam, Frank Doelger, 17 avril 2011 – 19 mai 2019, 73 épisodes.

Rachel Bloom, Aline Brosh McKenna, Crazy Ex-Girlfriend, Sarah Caplan, Rachel Specter, Audrey Wauchope, Rene Gube, 2015-2019, 62 épisodes.

Laurie Nunn, Sex Education, Eleven, Netflix, 2019-2023, 32 épisodes.

Sur le validisme :

Adrien Primerano, « L’émergence des concepts de “capacitisme” et de “validisme” dans l’espace francophone », Alter. European Journal of Disability Research, nos 16-2,‎ 29 juin 2022, p. 43–58 (ISSN 1875-0672, lire en ligne, consulté le 26 janvier 2024)

Cinema Therapy (écrit par Megan Seawright, Jonathan Decker, and Alan Seawright), Therapist Reacts to FINDING NEMO — Parenting and Trauma, Jonathan Decker, Megan Seawright, Alan Seawright, and Corinne Demyanovich, YOUTUBE, 29 min 43 s.

ARCOM, Rapport sur la représentation de la société française dans les médias – Exercice 2022 et actions 2023, 215p.

Ryan Gilbey, « I’m not a thing to be pitied’: the disability backlash against Me Before You », The Guardian, 2 juin 2016

Elsa BOUYERON (aut.), Geoffrey KHOZIAN (real.), On se laisse la nuit, HANDICAP & CINÉMA, YouTUBE, 8 avril 2021, 31 min, 14 s.

Sur le trouble dissociatif de l’identité :

(Dir.) Dr Patrice Dosquet, Mlle Estelle Lavie, M. Cédric Paindavoine, Audition publique : Dangerosité psychiatrique : étude et évaluation des facteurs de risque de violence hétéro-agressive chez les personnes ayant des troubles schizophréniques ou des troubles de l’humeur, HAS, Saint-Denis, Janvier 2005-Octobre 2010

Tracy, N. (2022, January 4). The Amazing History of Dissociative Identity Disorder (DID), HealthyPlace. Retrieved on 2024, August 29 from https://www.healthyplace.com/abuse/dissociative-identity-disorder/the-amazing-history-of-dissociative-identity-disorder-did

The Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (5th ed.; DSM–5; American Psychiatric Association, 2013) 

Sur l’autisme :

https://www.thetransmitter.org/spectrum

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