Vous vous êtes déjà demandé comment une saga culte était devenue culte ? Et pour quelles raisons ? On vous dit tout dans cette deuxième partie de notre article qui compare Ken, JoJo et Les Chevaliers du Zodiaque ! Alors, lequel sera le meilleur ?
Dans notre précédent article, on a étudié les premiers chapitres de trois mangas incontournables du Shônen Jump dans les années 80. Afin de comprendre comment chaque auteur a posé les bases d’un scénario qui allait devenir une légende… Dans ce nouvel article, on poursuit donc l’analyse en s’intéressant cette fois à la création du personnage du héros, et au développement de l’univers autour, avec en particulier les techniques de combat.
Hokuto no Ken, JoJo, Saint Seiya, : Lequel est le meilleur manga? Le grand tournoi du Shônen Jump le déterminera !
A la fin de l’article précédent, Hokuto no Ken partait avec deux points d’avance, JoJo’s Bizarre Adventure arrivait deuxième avec un point, et Saint Seiya n’avait encore remporté aucune épreuve ! Mais, les amateurs de manga shônen le savent : dans un combat, rien n’est jamais joué d’avance…
Battle royale du Shônen Jump, Round 4 : L’introduction du héros !
Comment chaque manga introduit-il son personnage principal ?
…Commençons par préciser que JoJo’s Bizarre Adventure est sans doute le pire exemple pour cette rubrique, car c’est une série où l’on change régulièrement de héros ! Jonathan n’est donc pas un investissement durable, contrairement à Seiya ou Kenshirô. Et ça n’aurait donc servi à rien de centrer le chapitre sur lui, le but étant au contraire que les lecteurs ne s’y attachent pas trop et acceptent facilement par la suite le changement de héros.
Le personnage qui dure, en revanche, c’est Dio. C’est donc lui que l’auteur cherche absolument à introduire. Ce qui explique que ce premier chapitre soit plutôt centré sur lui. Dans ses interviews, Araki explique qu’il avait d’abord eu l’idée de ce personnage, et que c’était son éditeur qui lui avait ensuite conseillé rajouter face à lui un héros plus conventionnel comme Jonathan.
La première partie de JoJo’s Bizarre Adventure est donc une histoire avant tout centrée sur l’antagoniste. L’auteur tente d’appliquer la célèbre maxime d’Hitchcock : « The more successful the villain, the more successful the picture. » (« Meilleur le méchant, meilleur le film. »)
Ainsi, Seiya et Kenshirô apparaissent chacun sur une double-page, et dès le début du manga. Tandis que l’apparition de Jonathan est anecdotique : on le voit surgir sur un muret, en tout petit au bas d’une page !
Kenshirô paraît imposant sur sa double-page. Il est debout, vu en contre-plongée, et sa puissance est symbolisée à l’arrière-plan par des éclairs. Seiya, au contraire, gît à terre car il vient de recevoir de plein fouet l’attaque de Marine, qui l’entraîne pour son combat contre Cassios !
Seiya a donc aussi un point commun avec Jonathan : ce sont des héros qui se font tabasser dans leurs scènes d’introduction ! (Jonathan a, quant à lui, voulu se battre contre des gens plus fort que lui pour défendre une fille.)
Cela peut sembler étrange comme moyen de mettre en valeur un personnage ! L’idée derrière est bien sûr que le héros est faible au début, et qu’il va progresser. Ces deux histoires s’annoncent donc comme des quêtes initiatiques, où le héros va grandir à travers des épreuves. Kenshirô, au contraire, est déjà au sommet de sa technique. Son histoire ne met donc pas du tout l’accent sur la notion d’effort ou de progression.
Ces trois exemples sont très intéressants à comparer car on a véritablement différents types de héros :
Seiya :
Il est présenté comme déterminé, voire têtu. Il s’entraîne depuis six ans en Grèce pour obtenir son armure ! Dans son flash-back, on apprend qu’il a une raison secrète de vouloir être Chevalier, mais il refuse de la dire à Marine.
…Cependant, il peut aussi être espiègle. Lors de son combat, il nargue Cassios après lui avoir coupé l’oreille. En revanche, il a beaucoup de respect pour Marine, son maître. Ce qui indique qu’il a en fait un bon fond, malgré ses airs de bandit.
Le nom « Seiya » signifie « flèche d’étoile ». On peut ajouter que, si le manga est a priori inspiré de la mythologie grecque, le fait que Seiya semble tomber du ciel au tout début renvoie plutôt à des légendes japonaises, comme celle de la princesse Kaguya, qui vient de la lune.
Jonathan dans JoJo :
C’est un personnage très droit, voire trop sage. Il intervient pour défendre une petite fille, puis s’offusque quand elle veut le remercier…Ce qui dénote aussi une certaine maladresse car, dans sa volonté de bien faire, il en oublie d’être poli avec cette fille et se met à lui crier dessus !
Quand il parle, il utilise les pronoms personnels « boku » et « kimi », qui sont le « je » et le « tu » des garçons gentils et bien élevés. C’est normal quand on sait qu’il est riche et vit dans un manoir. Mais cela le fait aussi paraître un peu coincé… Les héros de mangas préfèrent habituellement « ore » et « omae », qui sont plus familiers. On peut noter que dans la suite du manga, Jonathan continue de parler ainsi même à l’âge adulte, lorsqu’il n’est plus dans son manoir.
On sait aussi – grâce à la carte d’identité réalisée par l’auteur – que Jonathan est de groupe sanguin A. Ce qui, au Japon, indique un tempérament patient et discipliné. La plupart des héros de manga sont généralement très impulsifs, c’est-à-dire de groupe sanguin B. Le groupe sanguin A, d’habitude, c’est celui des personnages secondaires ! Enfin, on sait qu’il aime les animaux. Il est choqué lorsque Dio frappe le chien Danny. Ce qui révèle une personnalité amicale et gentille, voire un peu naïve.
L’alternative, pour les lecteurs qui n’accrochent pas à ce personnage, est bien sûr Dio :
Dio est présenté comme un intellectuel. (Il est en train de lire un livre lors de sa première apparition.) C’est un détail important car, par la suite, le manga se centrera sur des combats de stratégie.
Il est froid et énigmatique. Ses expressions sont souvent impassibles. On ne peut donc pas lire ses pensées sur son visage. Il paraît aussi plus déterminé que Jonathan, et beaucoup plus cynique.
On peut ajouter que l’auteur nous présente également les pères des personnages : George Joestar et Dario Brando. Dessiner George Joestar revient à peu près à dessiner Jonathan avec une moustache. Jonathan est donc bien l’héritier de son père ! Dio, en revanche, est très différent de son père, qui est un personnage grotesque. Contrairement à Dio, Dario est un personnage très expressif, ce qui augmente encore le contraste entre eux.
Kenshirô :
Enfin, dans Hokuto no Ken, Kenshirô est un justicier sombre, peu loquace et plus âgé que les héros de mangas habituels. Si l’univers semble inspiré de Mad Max, le héros rappelle plutôt Rambo. Il a un air blasé, et même déprimé. Ce qui laisse deviner un drame dans son passé…
Ce personnage un peu inexpressif est contrebalancé par la présence d’enfants de l’âge des lecteurs : une petite fille sensible, et un jeune garçon bavard et comique. Les deux enfants introduisent donc dans l’histoire de l’émotion et l’humour. On découvre que, malgré sa technique effrayante, Kenshirô est en réalité bienveillant, car il se lie d’amitié avec les deux enfants. En outre, sa technique, inspirée de l’acupuncture chinoise, peut aussi être bienfaisante et utilisée pour guérir.
…Mais il part à la fin sans emmener Lynn : c’est donc un héros solitaire qui erre seul de ville en ville. Il ne trouvera jamais, comme Seiya, un groupe de camarades pour le soutenir. L’univers chaotique dans lequel il évolue semble indiquer que sa mission sera de ramener l’ordre et la justice. On est dans un schéma où le héros est seul face au monde, dans un univers hostile.
Enfin, on peut noter que le héros doit être un rôle model pour les lecteurs, et promouvoir les valeurs du Jump : « Amitié, effort, victoire ».
Seiya est donc introduit avec des qualités comme la persévérance et la détermination. Il illustre le mot-clé « Effort » ! Tandis que Jonathan défend une petite fille, aime les animaux et parle à tout le monde avec un « kimi » amical. On part donc plutôt sur « Amitié » ! …Quant à Kenshirô qui terrasse ses ennemis en quelques secondes, c’est définitivement « Victoire » !
…Ainsi, paraît-il difficile de trancher entre des personnages aussi différents. Et JoJo’s Bizarre Adventure a deux personnages au lieu d’un, ce qui déséquilibre la compétition. Pour cette épreuve, on réservera donc notre jugement !
Round 5 : Le style de dessin et les procédés de dramatisation
Sur le plan du dessin, il est de notoriété publique qu’Araki s’inspire du style de Tetsuo Hara. (Les listes de références dressées par les fans sur internet révèlent qu’il est allé jusqu’à recopier des cases, voire des pages entières de Hokuto no Ken.) Leurs deux mangas ont donc un style très détaillé, pour les personnages comme pour les arrière-plans. Tandis que Saint Seiya a un dessin moins réaliste et beaucoup plus simplifié.
Si l’on cherche au contraire les différences entre le style d’Araki et celui de Hara, on peut noter qu’Araki utilise plus d’ombres dessinées à la hachure, notamment sur les visages des personnages. Dans l’ouvrage Manga in theory and practice, il raconte en effet qu’il travaillait beaucoup sur les contrastes d’ombre et de lumière dans l’arc de Phantom Blood. Ainsi, si vous prenez au hasard une page de Phantom Blood et une de Hokuto no Ken ou de Saint Seiya, et que vous vous amusez à la regarder de loin, les pages d’Hokuto no Ken et de Saint Seiya vous sembleront grises, tandis que celle de JoJo vous apparaîtra blanche et noire.
La seconde différence concerne les positions des personnages. Chez Araki, elles sont souvent assez esthétiques, parfois inspirées de gravures de mode, de couvertures d’albums de musique, ou de statues de la Renaissance italienne. Enfin, Araki a un style de dessin plus angulaire, notamment pour les visages des personnages. Kenshirô, au contraire, se tient droit comme un piquet et possède une tête plus ronde.
Masami Kurumada accorde moins d’attention au dessin de ses personnages. Sa particularité la plus notable est qu’il semble plus à l’aise pour dessiner les visages de trois-quarts que de face, alors que c’est généralement considéré comme plus difficile. Ainsi, dans Saint Seiya, les personnages sont-ils presque toujours vus de trois-quarts, rarement de face.
Si les personnages ne sont le point fort de Kurumada, ce sur quoi il s’applique en revanche, ce sont les armures, qui ont chacune un design très réfléchi. Il insère même des schémas en fins de chapitres – très utiles pour les fabricants de figurines ! – qui expliquent comment elles se replient.
Dans ce premier chapitre par exemple, on découvre l’armure de l’aigle, que porte Marine. L’armure de Marine ne semble pas protéger grand-chose ! Elle semble donc plutôt décorative. Certaines pièces évoquent d’ailleurs des bijoux : un collier, un bracelet, un serre-tête. Marine porte également un masque entièrement blanc qui rend son expression impassible.
Enfin, le design futuriste des armures semble anachronique par rapport au cadre de la Grèce antique. Il évoque plutôt la science-fiction, ce qui renforce l’impression que les Chevaliers viennent d’un autre monde. Lorsqu’ils lancent leurs attaques, l’auteur écrit d’ailleurs les onomatopées en kanji, ce qui souligne leur puissance et leur mystère, car ce sont des caractères que tous les lecteurs ne peuvent pas lire !
Concernant les scènes de combat, on trouve dans les trois mangas des procédés de dramatisation similaires :
Comme le fait de dessiner les ennemis beaucoup plus grands que le héros pour les faire paraître terrifiants. Dans le premier chapitre de Saint Seiya, Cassios est un géant qui rappelle ceux de Hokuto no Ken. Un peu plus loin dans JoJo’s Bizarre Adventure, on trouvera un personnage similaire avec Tarkus. La scène où Cassios tente de broyer Seiya dans sa main rappelle d’ailleurs celle où le chef des motards menace Lynn dans Hokuto no Ken.
Les scènes gores de Hokuto no Ken, avec notamment les fameuses têtes qui explosent, ont également inspiré Araki pour ses scènes de combats. Il faut ajouter qu’Araki adore les films d’horreur, et en particulier les films de zombies, et qu’il s’en inspire également pour ses combats.
On peut noter en outre que le design de Lynn dans Hokuto no Ken, son regard un peu vide, sa personnalité sensible et silencieuse, ont peut-être inspiré Erina dans JoJo’s Bizarre Adventure.
Enfin, le premier chapitre de JoJo’s Bizarre Adventure est très intéressant à étudier car on y trouve une scène où l’auteur dramatise au maximum une simple dispute d’enfants, qui a pour enjeu le vol d’une poupée (Scène 3).
Cette bagarre nous donne une bonne idée des procédés qui sont utilisés massivement dans une scène de combat :
- Ombres sur les visages et coloriage en hachures
- Disposition des personnages, très rapprochés pour paraître oppressants
- Le visage de la poupée, qui semble exprimer de la détresse
- Différence de taille des personnages. (Les deux voyous sont des enfants plus âgés : ils sont très grands par rapport à Jonathan et Erina.)
- Gros plans sur les visages des personnages pour mettre en avant les différentes émotions
- Des traits pour indiquer la vitesse et l’action…
Le dessin de ces scènes est finalement plus canonique qu’innovant.
Sur le plan du dessin, la victoire revient une fois de plus à Hokuto no Ken, qui a le style le plus original !
Saint Seiya n’a donc encore remporté aucun point depuis le début ? Il faut dire que les adversaires sont de taille ! Et l’on ne peut évidemment pas juger une série entière uniquement sur son premier chapitre. Mais attendez, il reste une dernière épreuve…
Round 6 : La philosophie derrière l’œuvre et le sens des combats
Puisque l’on parle ici de battle royale et d’épreuves, interrogeons-nous ! Comment le héros surmonte-t-il une épreuve ? C’est-à-dire, comment triomphe-t-il d’un combat ?
Prenons pour cela l’exemple du combat de Seiya contre Cassios dans le premier chapitre de Saint Seiya…
Ce combat est mis en scène selon des procédés classiques : taille démesurée de Cassios par rapport à Seiya, contre-plongée pour le rendre encore plus imposant, cases consacrées aux réactions enthousiastes ou inquiètes du public. Kurumada cherche à faire peur aux lecteurs en faisant croire que Cassios a coupé l’oreille de Seiya mais – plot twist – c’est en réalité Seiya qui a coupé l’oreille du géant ! C’est un retournement de situation, classique dans Saint Seiya. Où le héros commence toujours par perdre et renverse finalement la situation à la moitié du combat. On enchaîne alors avec la scène 4, qui est un flash-back sur l’arrivée de Seiya en Grèce et sur son entraînement.
Interrompre un combat par un flash-back est un schéma typique de Saint Seiya. Le flash-back et la morale qui en est tirée constituent en réalité le point crucial du combat. C’est le moment qui est déterminant pour gagner.
Le héros doit se replonger dans son passé pour comprendre comment il est arrivé jusqu’ici et pourquoi il se bat. Si sa raison est juste, il triomphe. S’il découvre au contraire qu’il a agi pour de mauvaises raisons ou qu’il a été manipulé, il s’effondre complètement.
Saint Seiya est donc l’un des rares mangas de combat où la victoire ne dépend ni de la stratégie, ni de la technique utilisée, mais uniquement de la motivation.
La morale du manga a parfois été jugée naïve. Elle repose en effet sur le postulat que celui qui se bat pour de mauvaises raisons ne peut triompher. Tandis que celui qui croit en la Justice de sa cause ne peut échouer. Peu importe le niveau des deux adversaires. Ce qui, dans la vraie vie, n’est certes pas toujours le cas ! Dans Saint Seiya, les héros sont d’ailleurs immortels. Ils meurent parfois mais ressuscitent toujours car le Mal ne peut triompher.
C’est aussi un schéma qui met énormément l’accent sur l’introspection. Les personnages peuvent passer des heures à monologuer dans leurs têtes ! Et le développement personnel est particulièrement mis en valeur avec la quête du septième sens. Pour triompher, le héros doit éliminer le doute qui l’empêche d’avancer. Cela vient aussi de la philosophie du budô, où l’on considère que le doute est l’un des quatre états d’esprit négatifs qui peuvent faire échouer en combat.
A travers les flash-backs, le manga accorde aussi une place prédominante à l’enfance. Les flash-backs permettent de comprendre comment les personnages ont construit leur personnalité et quelle est la ligne directrice de leur existence. La plupart poursuivent le même but depuis qu’ils sont tous petits. Lorsqu’ils sont perdus, se replonger dans leurs souvenirs leur apportent les réponses aux questions existentielles qu’ils se posent. Enfin, les flash-backs permettent de mettre l’accent sur la progression : on voit les héros s’entraîner encore et encore pendant des années, et parfois même se décourager. Cela rappelle que leur victoire d’aujourd’hui est le fruit de durs efforts, et qu’elle est méritée.
Sans passé, donc, pas de futur.
On peut aussi voir dans cette importance attachée au passé une forme de philosophie toute japonaise : l’importance des traditions, le culte des ancêtres et le respect des professeurs, l’apport de l’expérience, la nostalgie face au passage du temps.
Ici, le flash-back de Seiya est séparé du présent car il commence sur une nouvelle page. On nous montre la rencontre entre Marine et Seiya et l’on apprend à cette occasion que Seiya a un but secret pour vouloir autant obtenir une armure, mais qu’il ne veut pas le dire. On suit ensuite l’entraînement de Seiya pendant plusieurs pages.
Mais le point le plus important du flash-back est la leçon de Marine sur le cosmos, l’énergie intérieure de laquelle les chevaliers tirent leur puissance. On voit les silhouettes Marine et Seiya, debout en haut d’une falaise, se perdre dans l’immensité de l’univers, représenté par un ciel étoilé. Le rythme s’accélère ensuite avec l’onomatopée « Go, go, go », et un zoom progressif sur le poing de Seiya, tandis que la voix de Marine continue de résonner dans sa tête… Et brusquement, on revient dans le présent : l’attaque de Seiya vient de creuser dans le sol un immense cratère, que Cassios n’a évité que de justesse !
Après ce point crucial, situé aux trois-quarts du chapitre, comme le veut la règle, le combat se résout rapidement. Le discours de Marine qu’il s’est remémoré permet à Seiya de réaliser pour la première fois sa technique, les météores de Pégase, et de terrasser son ennemi. L’auteur vient ici de mettre en place un modèle qu’il utilisera dans tous les combats au cours de la série.
L’héritage de Saint Seiya
Le modèle de combat développé par Saint Seiya, fondé sur un souvenir clé montré dans un flash-back, est souvent imité, encore aujourd’hui avec des mangas comme Demon slayer (Kimetsu no Yaiba).
D’ailleurs, même dans JoJo’s Bizarre Adventure, on trouve – quelques chapitres seulement après l’extrait étudié – une scène où Jonathan gagne un combat en se remémorant le moment où il jouait avec son chien Danny.
Son père lui avait expliqué que pour amener Danny à lâcher un objet, il fallait le lâcher aussi, plutôt que de continuer à tirer dessus car cela ne fait qu’encourager Danny à tirer de son côté. En appliquant cette morale à sa situation actuelle, Jonathan, qui était tombé dans l’eau au cours du combat, comprend qu’au lieu d’essayer de remonter à la surface, il devrait plutôt se laisser couler pour trouver de l’air caché sous une pierre. Ce qui lui permettrait d’utiliser à nouveau sa technique, qui fonctionne grâce au souffle. L’exemple est certes caricatural, mais Araki imite ici le schéma de Saint Seiya !
Cependant, le souvenir permet à Jonathan de trouver une stratégie et non une raison de se battre. Il a trouvé la solution à un problème. Mais non pas à ses problèmes. Et il n’est pas ressorti du combat en ayant grandi intérieurement.
Araki pense donc vraiment la résolution des combats en termes de stratégie. Tandis que Kurumada pense uniquement en termes de motivation.
Chez Kurumada, la résolution d’une telle scène aurait certainement été beaucoup moins pragmatique. La présence du héros sous l’eau (cadre à la fois symbolique, poétique et propice à l’introspection) aurait été l’occasion parfaite de se ressourcer. En se posant des questions existentielles et en se remémorant toute sa vie.
Au lieu de chercher de l’air sous une pierre, le héros aurait trouvé en lui la motivation de faire exploser encore une fois son cosmos. Même s’il ne peut plus respirer, le héros s’en fiche ! Car sa motivation est tellement forte, qu’elle rend l’impossible possible. C’est d’ailleurs le sens des paroles de l’opening de l’anime, « Pegasus Fantasy », qui ont été rédigées par Kurumada lui-même : « Dakishimeta kokoro no Cosmo, atsuku moyase, kiseki wo okose ! ». Et que l’on peut traduire par « Le cosmos que renferme ton âme, fais-le brûler très fort, et accomplis un miracle ! ».
Et cette attaque aurait été tellement puissante, qu’elle aurait vidé toute la rivière de son eau et envoyé valser l’ennemi à des kilomètres de là. Voilà comment se serait déroulé la scène dans Saint Seiya !
Pour finir avec l’exemple de JoJo, par rapport à Saint Seiya, on peut trouver qu’il est parfois difficile de comprendre les motivations de Jonathan lors de ses combats…
La plupart du temps, en fait, il se bat juste parce qu’il est attaqué. Ce qui est une raison plutôt logique et pragmatique, que philosophique.
Donc il se bat surtout en réaction à Dio, l’antagoniste. Mais il n’a pas su trouver en lui-même de raison profonde de se battre. Ses combats ont d’ailleurs assez peu d’intérêt lorsqu’il se bat contre quelqu’un d’autre que Dio. Et à la fin, il ne semble pas avoir particulièrement mûri ou progressé. La preuve est qu’il meurt et ne ressuscite pas : ce n’est pas vraiment le parcours d’un héros qui progresse ! Toutes ses épreuves ne lui ont donc finalement rien apporté. La seule grande vérité qu’il semble avoir découverte est que, tout compte fait, Dio et lui ne s’entendaient pas si mal ! …Et dans ce cas, une fois de plus : pourquoi se battent-ils ? Voilà ce qui me dérange beaucoup chez le personnage de Jonathan : c’est qu’il manque parfois cruellement de profondeur psychologique et de cohérence dans ses actions.
Dans la seconde partie du manga, Battle Tendency, on trouve en revanche un héros qui progresse vraiment et mûrit à travers son entraînement et ses combats. Joseph, le second JoJo, a donc un parcours initiatique beaucoup plus proche de celui des personnages de Saint Seiya. …Bien qu’il triche en combats, ce qui serait bien sûr impardonnable dans l’univers de Saint Seiya ! Et son maître, Lisa-Lisa, rappelle clairement le personnage de Marine. Lisa-Lisa se révèle d’ailleurs être la mère de Joseph ; et Seiya soupçonne Marine d’être sa sœur Seika, qu’il recherche depuis des années. Même si l’on trouve ensuite de nombreuses références à Saint Seiya dans l’arc de Stardust Crusaders, Battle Tendency est sûrement le passage où Araki s’inspire le plus de Kurumada. Dans Stardust Crusaders, il ne reprend vraiment que les aspects les plus superficiels du manga.
Le nekketsu shônen aujourd’hui
Kurumada est considéré à juste titre comme l’un des fondateurs du nekketsu shônen, ou « manga à sang chaud ». De nos jours, le nekketsu shônen a quelque peu perdu de son sens. C’est devenu « le manga où il suffit de faire un beau discours chargé d’émotion pour gagner ». Mais ce n’était pas cela au départ.
Le problème de nombreux mangas actuels est que l’on a parfois l’impression que les personnages se battent pour se battre, et ne savent pas (ou oublient en cours de route) pourquoi ils se battent. Le principe de Saint Seiya était de trouver du sens dans les épreuves, et plus généralement dans l’existence. Les personnages qui perdent de vue leurs objectifs échouent.
Conclusion
Ainsi, Kurumada développe dans son manga une sorte de philosophie positive de l’existence, inspirée de celle du budô. Le cosmos est une énergie vitale et spirituelle, dont le seul équivalent est peut-être la Force dans Star Wars.
Araki a un point de vue plus cynique, et pense simplement que, dans un combat, le plus intelligent triomphe. (Même si le jeu peut parfois être faussé par des variables comme le destin ou la fatalité.)
Kurumada pense les combats comme l’affrontement de deux âmes ; et Araki, de deux esprits.
Dans Hokuto no Ken, il est plus difficile d’analyser les combats car ils sont la plupart du temps résolus très vite. Le héros cherche surtout à retrouver du sens dans son existence, plutôt qu’à en trouver. Mais cela ne se fait pas uniquement au travers des combats.
Pour juger cette épreuve, donc, tout dépend des sensibilités et des philosophies. Je sais qu’il doit y avoir parmi vous de véritables adeptes des combats de stratégie… Mais, personnellement, je donne le point à Saint Seiya !
Battle Royale du Shônen Jump : Résultats des combats!
- Hokuto no Ken : 3 points (Round 1, 2 et 5)
- JoJo : 1 point (Round 3)
- Saint Seiya : 1 point (Round 6)
C’est donc sans surprise Hokuto no Ken qui remporte le tournoi ! En même temps, c’était celui qui avait le plus de mérite, étant le plus ancien.
Mais, JoJo n’est pas en reste, car – de tous les mangas que j’ai lus – c’est celui dont le premier chapitre m’a le plus donné envie de savoir la suite ! En général, les shônen mangas commencent par introduire un seul personnage, le héros, et le premier chapitre ou le premier épisode n’est jamais très intéressant… Mais dans JoJo, on introduit dès le début l’antagoniste et on entre directement dans l’histoire, ce qui rend le manga immédiatement captivant !
Quant à Kurumada, c’est le meilleur pour introduire dès le début de la profondeur dans son histoire. Il nous explique le cosmos, puis montre un premier flash-back qui rend Seiya attachant et laisse entendre qu’il y aura plus à savoir sur son passé au cours de la série. Et il introduit même de manière anecdotique le grand Pope, le « grand méchant » de l’histoire, qui est pour l’instant présenté comme un personnage bienveillant… C’est particulièrement intéressant !
…Et vous, quel est votre classement ?
Merci d’avoir lu cet article ! Nous vous invitons à rejoindre la communauté des étoilé.e.s en participant à notre groupe Facebook « La Galaxie de la Pop-culture ». N’hésitez pas à nous suivre sur tous nos réseaux !
Rédigé par Umeboshi
Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.
Sources
Ouvrages théoriques :
ANZALONE Frederico, JoJo’s Bizarre Adventure. Le diamant inclassable du manga, Toulouse, Third Editions, 2019.
ARAKI Hirohiko, Manga in Theory and Practice. The craft of creating manga, San Francisco, VIZ Media, 2017. [Traduction anglaise de Nathan A. Collins]
BOUVARD Julien, Manga politique, politique du manga. Histoire des relations entre un medium populaire et le pouvoir dans le Japon contemporain des années 1960 à nos jours. Sous la direction de Jean-Pierre Giraud, Université Lyon III Jean Moulin, décembre 2010.
BUISSOU Jean-Marie, Manga: Histoire et univers de la bande dessinée japonaise, 2010, Editions Picquier.
GOTÔ Hiroki, Jump. L’âge d’or du manga, Paris, Kurokawa, 2018 [Traduction française de Julie Seta].
OKAMOTO Katsuto, « Les Onomatopées de la Langue Japonaise (1) – Le système et le sens fondamentaux des giongos », Université de Kôchi, pp.189-197. Disponible sur : https://kochi.repo.nii.ac.jp/record/6948/files/H041-15.pdf
PINON Matthieu, LEFEBVRE Laurent, Histoire(s) du manga moderne 1952-2012, Paris, Ynnis Editions, 2019-2022.
PRECIGOUT Valérie, Le mythe Saint Seiya. Au Panthéon du manga, Toulouse, Third Edition, 2019.
TILLON Fabien, Culture Manga, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2020.
TRUBY John, L’anatomie du scénario, Paris, Nouveau Monde Editions, 2010. Traduction française de Muriel Levet.
Ouvrage collectif
Créer un manga : L’école du Shônen Jump [rédigé par un collectif d’éditeurs du Shônen Jump], Bruxelles, Kana, 2023. [Traduction française de Sophie Lucas]
Magazines
Rockyrama – Otomo n°7 : Aux sources de Saint Seiya, octobre 2021.
Rockyrama – Otomo n°8 : Saint Seiya, aux confins de la mythologie, décembre 2021.
Laisser un commentaire