Dans cet article, on s’intéresse à l’un des shônen les plus populaires des années 2000, devenu un véritable phénomène. Un manga qui a su passionner toute une génération et qui a largement contribué à diffuser la culture japonaise à travers le monde. Je parle bien sûr de Naruto : le manga de Masashi Kishimoto sur l’univers des ninjas, publié dans le Shônen Jump de 1999 à 2014 !
Vous vous croyez déjà incollable sur Naruto ? Mais avez-vous bien relevé toutes les références à la mythologie japonaise ? Et au théâtre kabuki et bunraku ? C’est l’occasion de tester vos connaissances !
Alors, prêts pour une introduction à la littérature japonaise à travers Naruto ? Petite liste non exhaustive des références culturelles et littéraires présentes dans l’œuvre de Kishimoto…
La mythologie japonaise dans Naruto : les attaques des Uchiha et les kami

Amaterasu, Susanoo, Tsukuyomi… La plupart des noms des attaques des Uchiha sont en réalité des noms de divinités mythologiques :
- Amaterasu est la déesse du soleil, l’une des divinités les plus importantes du shintoïsme car c’est d’elle que descendrait tous les empereurs du Japon. Son nom signifie « la lumière du ciel ».
- Izanagi et Izanami sont les parents d’Amaterasu, Susanoo et Tsukuyomi. Amaterasu serait née de l’œil gauche d’Izanagi, et Tsukuyomi de son œil droit. C’est peut-être pour cela que, dans Naruto, les pouvoirs des Uchiha résident dans leurs yeux…
- Tsukuyomi est le dieu de la lune et le frère d’Amaterasu.
- Susanoo est le dieu des tempêtes, frère d’Amaterasu et de Tsukuyomi. Il possède une épée appelée Kusanagi no tsurugi.
- Enfin, Kirin, autre technique de Sasuke, peut signifier « girafe » mais désigne aussi un animal mythologique porteur de paix. Cette même créature donne aussi son nom à la célèbre marque de bière Kirin.
Le théâtre dans Naruto : Jiraiya et le kabuki

Les noms Jiraiya, Tsunade et Orochimaru sont issus du conte Jiraiya Goketsu Monogatari (La Légende du Galant Jiraiya), souvent adapté au théâtre kabuki. Le kabuki est un théâtre populaire, avec des histoires parfois comiques et des acteurs maquillés. Il est différent du nô, le théâtre sérieux aux sujets graves et aux acteurs masqués.
Dans cette légende, Jiraiya et Tsunade sont mariés et affrontent ensemble Orochimaru, un ancien serviteur de Jiraiya qui cherche à le renverser. Comme dans Naruto, Jiraiya maîtrise les grenouilles, Orochimaru les serpents et Tsunade les escargots.
Les mangas shônen, et en particulier Naruto, empruntent beaucoup au théâtre kabuki ! Notamment des grands thèmes : histoires de vengeances, antagoniste qui se révèle au moment de sa mort être du côté des héros, etc.
Le théâtre dans Naruto : Sasori et le bunraku

Au cours de son combat contre Sakura, Sasori cite Chikamatsu Monzaemon comme étant le premier marionnettiste ninja. Dans la réalité, Chikamatsu est un dramaturge de l’époque d’Edo (XVIIème -XVIIIème siècle), célèbre pour ses drames de ningyô-joruri, ou bunraku : le théâtre de marionnettes japonais.
Qu’est-ce que le bunraku ??
Si le théâtre de marionnettes européen qui est principalement destiné aux enfants, le bunraku est au contraire un genre sérieux. Surnommé « le Shakespeare japonais », Chikamatsu Monzamon est surtout célèbre pour ses drames, qui s’achèvent souvent par un shinjû (double-suicide amoureux). Sa pièce la plus célèbre est Sonezaki shinjû (Double-suicide à Sonezaki).

La culture japonaise, les contes et les légendes

Lorsqu’on parle des mangas comme outil de soft power, c’est évidemment à Naruto que l’on pense ! Même si ce n’est souvent qu’à travers des clins d’œil, l’œuvre de Kishimoto est un formidable moyen de faire connaître la culture japonaise, y-compris à l’étranger.
Outre la littérature, le manga évoque aussi les arts martiaux (avec le ninjutsu) et fait de la publicité pour la cuisine japonaise (le fameux râmen, plat préféré de Naruto !). Ou encore présente des jeux de société traditionnels (le shôgi, passe-temps préféré de Shikamaru) et l’art de l’origami (technique de combat de Konan). Même les musiques de l’anime sont en partie réalisées avec des instruments traditionnels, comme le shamisen ou le koto ! Et le mot « naruto » est lui-même lié à la cuisine, puisqu’il désigne un ingrédient du râmen. Naruto met aussi en avant des valeurs traditionnelles comme l’esprit d’équipe, la famille, et l’importance du groupe (village, clan, etc.) par rapport à l’individu.
Shikamaru et le shôgi
Le shôgi est une sorte de jeu d’échecs japonais. Lorsque Shikamaru affronte Hidan et Kakuzu, les premiers idéogrammes de leurs noms, le « hi » (飛) et le « kaku » (角), correspondent à ceux de pièces de shôgi : hisha (飛車), la tour ; et kakugyô (角行), le fou. Ce qui permet à Shikamaru de visualiser le combat comme une grande partie de shôgi !
Ino-shika-chô et le jeu de cartes des fleurs
Le hanafuda (ou « jeu de cartes des fleurs ») est un jeu traditionnel japonais qui consiste à former des combinaison de cartes. L’entreprise Nintendo était célèbre pour fabriquer ce jeu de cartes, avant de s’orienter vers la production de jeux vidéos.
L’attaque combinée Ino-Shika-Chô d’Ino, Shikamaru et Chôji tient son nom d’une combinaison gagnante du hanafuda qui consiste à réunir les cartes du sanglier (« ino »), du daim (« shika ») et du papillon (« chô »). On peut noter au passage que Shikamaru (dont le prénom signifie « daim ») a pour nom de famille « Nara« , nom d’une ville du Japon célèbre pour ses daims qui sont considérés comme sacrés et s’y promènent en liberté.
La réutilisation des contes et légendes
Kishimoto appuie son histoire sur de nombreux contes et légendes. Le nom « Kaguya », par exemple, est une allusion au célèbre conte de la princesse Kaguya, la jeune fille originaire de la lune.
L’idée du démon-renard scellé en Naruto et capable de le posséder rappelle les légendes japonaises mises par écrit par l’écrivain-voyageur Lafcadio Hearn au XIXe siècle, et dont l’illustrateur Benjamin Lacombe a récemment donné une version illustrée. Le renard était considéré comme un animal surnaturel, capable de prendre une apparence humaine pour s’infiltrer chez les humains ou pour les séduire. Il pouvait aussi s’attacher à une famille et la protéger en portant malheur à ses ennemis. Et, effectivement, un démon-renard pouvait s’emparer de l’esprit d’un humain : cette légende servait notamment à expliquer les cas de folie. Dans le kabuki également, on retrouve des personnages de démons-renards, comme Tamamo no mae : un démon renard maléfique à neuf queues, qui prend l’apparence d’une belle dame pour s’infiltrer parmi les humains. Cependant le renard a aussi des significations positives au Japon car il est associé à Inari, la divinité du riz. (Inari est d’ailleurs le nom d’un personnage secondaire dans Naruto.)
Enfin, l’apparence de Kisame rappelle une autre créature folklorique décrite par Lafcadio Hearn : le samebito, ou homme-requin.
Conclusion : Qui étaient les véritables ninjas ??

L’univers de Naruto, s’il n’est pas réaliste, exploite habilement la légende des ninjas. (Qui – on le rappelle – ont réellement existé, même si tout ce qu’on raconte sur eux n’est pas vrai !) Ces assassins mercenaires, experts dans les techniques de dissimulation, les pièges et les poisons, vivaient jusqu’au XVIIe siècle dans les régions d’Iga et de Koga. On y trouve encore aujourd’hui le musée des ninjas !
La terreur qu’ils inspiraient a fait dire – entre autres – qu’ils étaient capables de marcher sur l’eau, ou encore que les signes mystérieux qu’ils formaient avec leurs mains étaient des formules pour invoquer des pouvoirs magiques. (On n’en connaît toujours pas la signification aujourd’hui, mais on suppose qu’il s’agissait en réalité soit d’un code secret, soit d’une prière, soit tout simplement d’une technique pour distraire ou impressionner l’ennemi…)
Les ninjas sont massacrés lors de l’unification du Japon au XVIe siècle, car perçus comme une menace pour cette nouvelle unité, mais leur légende perdure jusqu’à aujourd’hui. À l’ère Meiji (XIXème siècle), apparaît notamment le ninja fictif Sarutobi Sasuke, alors héros d’un conte populaire, et dont le nom est repris à plusieurs reprises dans Naruto.
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Rédigé par Umeboshi
Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.
Bibliographie
BOUVARD Julien, Manga politique, politique du manga. Histoire des relations entre un medium populaire et le pouvoir dans le Japon contemporain des années 1960 à nos jours. Sous la direction de Jean-Pierre Giraud, Université Lyon III Jean Moulin, décembre 2010.
CALLICO Vanessa, SHIITAKE, Contes Japonais, Samoreau, Le Héron d’argent, 2020.
CHIKAMATSU Monzaemon, Les Tragédies bourgeoises (t.1), Paris, Publications Orientalistes de France, 1991. Traduction de René Sieffert.
HEARN Lafcadio, LACOMBE Benjamin, Esprits et créatures du Japon, Toulon, Soleil, 2020.
HEARN Lafcadio, LACOMBE Benjamin, Histoires de fantômes du Japon, Toulon, Soleil, 2019.
NAKAMURA Ryôji, CECCATTY René, Mille ans de littérature japonaise -Anthologie du VIIIe au XVIIIe siècle, 1982, Editions Philippe Picquier (revue en 2005).
PINON Matthieu, LEFEBVRE Laurent, Histoire(s) du manga moderne 1952-2012, Paris, Ynnis Editions, 2019-2022.
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