Dans cet article, on s’intéresse au fandom international des Misérables ! Puisqu’il y aura bientôt une nouvelle adaptation française du roman de Victor Hugo, le moment semble venu de se pencher un peu sur les attentes des fans. Aujourd’hui, le 6 juin, est un jour particulièrement important pour le fandom, c’est le « barricade day » (ou « jour des barricades ») en référence à l’insurrection républicaine de juin 1832 dans laquelle la plupart des personnages du roman trouvent la mort. Bien qu’il s’agisse aussi d’un évènement historique réel, les fans des Misérables commémorent chaque année le 6 juin en diffusant des fan-arts du roman.
Qui sont donc les fans des Misérables de la jeune génération ? Qu’attendent-ils d’une adaptation ? Voici notre analyse du fandom (communauté de fans active sur les réseaux sociaux) en cinq points…
1/ Les fans des Misérables sont plus actifs à l’étranger qu’en France
Les fans des Misérables échangent principalement en anglais sur les réseaux sociaux. Lors d’une visite récente à la Paris City Pop, on a pu rencontrer des artistes portugaises et évoquer une artiste taïwanaise qui dessinent régulièrement des fan-arts sur le roman de Victor Hugo. Mais pas d’artistes français.
Deux raisons à cela. Pour commencer, Victor Hugo appartient à un groupement d’auteurs étudiés à l’école, il est donc rattaché à une obligation scolaire de lecture. Tandis qu’à l’étranger, ses livres sont davantage lus par plaisir, sur un temps dédié aux loisirs.
Ainsi, si on croise beaucoup de Français qui disent aimer les Misérables, peu d’entre eux se définissent comme « fans ». Et peu d’entre eux pratiquent des activités de fandoms, telles que le dessin de fanarts ou l’écriture de fanfictions. Beaucoup sont arrêtés par une sorte de respect pour l’œuvre, qui les empêche de fantasmer sur ce roman comme ils le feraient sur un manga ou sur une série. Tandis que les étrangers n’ont pas de telles restrictions.
La deuxième raison est que la comédie musicale des Misérables est très importante pour la vie du fandom !
Bien sûr, les fans dessinent beaucoup sur des personnages comme Montparnasse qui n’apparaissent vraiment que dans le roman. Ce qui prouve qu’ils restent très centrés sur le roman original. Mais ils semblent considérer la comédie musicale comme la seule « adaptation officielle » des Misérables.
Tout d’abord, le fait d’associer les personnages à des airs musicaux, voire à de véritables hymnes comme « À la volonté du peuple », a clairement aidé à construire un mythe autour des Misérables. Ce sont ces airs qui font vibrer les fans. Et c’est ce mythe que les fans veulent voir.
Ensuite, la comédie musicale est un spectacle vivant. C’est un lieu où les fans viennent en masse et se retrouvent. Ce n’est pas la même expérience que de rester chez soi à regarder un film ou à lire le roman.
Ainsi, peut-on remarquer que certains éléments propres à la comédie musicale sont devenus canoniques pour les fans. Certaines chansons, par exemple celle où Javert parle aux étoiles, sont très populaires et souvent illustrées dans les fanarts.
Or, si cette comédie musicale a été jouée presque sans interruption en Angleterre et aux États-Unis au cours des dernières années, elle n’avait pas été représentée en France depuis 1991. Ce n’est que l’année dernière qu’elle a fait son grand retour au théâtre du Châtelet.
2/ Les personnages préférés des fans sont… les Amis de l’ABC !

Un élément du fandom qui est souvent mal compris… Les fans des Misérables semblent préférer des personnages secondaires du roman aux personnages principaux !
Les personnages les plus représentés dans les fan-fictions et fan-arts ne sont pas Jean Valjean, Fantine ou Cosette. Mais plutôt Enjolras, Grantaire, Courférac, Jean Prouvaire… Bref, tous les membres des Amis de l’ABC, le groupe d’étudiants révolutionnaires que fréquente Marius. À cette liste, on peut ajouter Montparnasse, l’assassin à la rose, membre du gang de Patron-Minette. S’il ne fait pas partie des révolutionnaires, il n’en est pas moins très populaire auprès des fans.
Pourquoi une telle popularité des Amis de l’ABC ? Parce qu’ils sont jeunes, ils sont beaux et ils meurent en héros sur la barricade ! Que demander de plus ? L’épisode de la barricade est le passage le plus épique du roman. Et le leader Enjolras est, aux yeux des étrangers, une personnification de l’esprit révolutionnaire français.
Malgré leur popularité, ces personnages restent peu mis en valeur par les films et séries sur Les Misérables…

L’amitié Enjolras/Grantaire n’est jamais développée dans les films. Les personnages à la beauté androgyne si caractéristique du romantisme, comme Enjolras et Montparnasse, sont toujours représentés par des acteurs moins élégants et plus virils. C’est exactement le même problème que rencontre Aramis (lui aussi décrit comme très efféminé) dans les adaptations des Trois Mousquetaires.
Autre exemple : Montparnasse est un jeune assassin très élégant qui ne sort jamais sans une rose à sa boutonnière. Or, dans les films, il est très rare que l’acteur se promène effectivement avec une rose. Ce qui est pourtant l’une des caractéristiques principales du personnage.
Si Netflix lançait demain une série centrée principalement sur les Amis de l’ABC ou sur Patron-Minette, en respectant les descriptions des personnages dans le livre, ce serait un succès assuré !



3/ Le couple préféré est… Enjolras et Grantaire !
Désolé pour Marius et Cosette ! Le couple préféré des fans est un ship (couple imaginé par les fans) entre Enjolras et Grantaire. Notons d’ailleurs que ce « ship » n’est peut-être pas tout à fait infondé car, dans le roman original, les deux personnages étaient notamment comparés à Achille et Patrocle (III, 4, 1 : chapitre « Un groupe qui a failli devenir historique »). Si certains ont donc avancé que Grantaire était effectivement amoureux d’Enjolras, d’autres opposent qu’il n’y a pas assez d’éléments dans le livre pour le prouver.
Par ailleurs, les films tendent à minimiser l’histoire d’amitié entre ces deux personnages. Par exemple, peu de films montrent qu’Enjolras et Grantaire meurent en se tenant la main (V, 1, 23 : chapitre « Oreste à jeun et Pylade ivre »). Alors que ce geste, interprété par les fans comme une déclaration d’amour, est l’un des sujets principaux des fanarts !
Ajoutons que certains films ne se gênent pas pour surinterpréter, lorsqu’il s’agit de couples hétérosexuels… Par exemple, le téléfilm avec Gérard Depardieu soutient que Jean Valjean est amoureux de Cosette, une interprétation du roman qui n’a jamais été réellement prouvée. Tandis qu’aucun film ne s’est vraiment intéressé à Enjolras et Grantaire.


4/ Les fans des Misérables préfèrent Javert aux Thénardier…
Une chose que l’on peut déplorer dans le fandom, c’est que le couple Thénardier est très impopulaire… Si leurs enfants Eponine, Azelma et Gavroche sont présents dans les fanarts, il semble que Monsieur et Madame Thénardier n’aient jamais véritablement réussi à se poser en icônes de pop culture.
Tel n’est pas le cas de Javert, autre antagoniste du roman, qui rencontre au contraire une certaine popularité. Javert est intégré dans les « ships », où il est généralement marié avec Jean Valjean ! (Le nom de leur ship est « Valvert », pour Valjean x Javert). Et il semble s’être imposé comme le principal antagoniste de l’histoire : stratégie à double-tranchant, car l’inconvénient est qu’il est souvent représenté plus cruel dans les films modernes qu’il ne l’était dans le livre. Malgré cela, Javert reste constamment populaire dans le fandom.

Cette inégalité remonte aux années 1930-1940 aux États-Unis…
À cette époque, les Américains réalisent plusieurs films sur Les Misérables en axant l’intrigue sur un débat moral entre Javert et Jean Valjean. Le personnage de Thénardier, seulement évoqué par Fantine, n’apparaissait parfois même pas à l’écran !
La comédie musicale, qui est franco-britannique, accorde au contraire une place importante aux Thénardier. Mais elle insiste beaucoup sur la dimension comique des personnages. Ce qui fait qu’à l’étranger les Thénardier sont seulement perçus comme de petits antagonistes comiques et assez ridicules. Témoin leur apparence grotesque dans les mangas et anime japonais.

Une autre explication de la popularité de Javert est qu’il possède un passé tragique dans le roman :
On sait que son père était un bagnard et sa mère une diseuse de bonne-aventure, elle aussi en prison (I, 5, 5 : chapitre « Vagues éclairs à l’horizon »). Ce qui explique que Javert soit complexé par ses origines et se soit juré de devenir plus honnête que quiconque. Si les adaptations françaises ne conservent généralement pas cet élément – ou pire, le remplacent par une histoire qui n’a rien à voir, allant même jusqu’à lui inventer des origines bourgeoises ! – les films étrangers mettent toujours en avant les problèmes psychologiques de Javert. C’est ainsi qu’il parvient à susciter l’intérêt et la pitié des lecteurs.
On peut d’ailleurs remarquer que, dans les fan-arts, Javert est souvent dessiné avec la peau sombre. Que ce soit en raison des origines supposées de sa mère qui était une bohémienne, ou simplement parce que la blancheur de la peau était autrefois souvent associée à la noblesse, il semblerait que les fans tiennent à mettre en avant les origines obscures du personnage.

Les réalisateurs français pensent peut-être que Javert s’exagère ses problèmes, d’où la suppression systématique de son histoire ?
Pourtant, quand on lit d’autres romans de l’époque comme Les Mystère de Paris d’Eugène Sue, on voit bien que les enfants de criminels étaient effectivement très stigmatisés, souvent rejetés et tenus à l’écart de la société. Mais peut-être les Français estiment-ils simplement que raconter l’histoire de Javert nuit à la compréhension globale du roman ? Dans les films français, Javert représente « le fonctionnaire moyen ». On cherche donc plutôt à gommer tout ce qui fait son individualité. Et cela donne un personnage très fade par rapport à celui du roman.
Victor Hugo a défini le romantisme comme une esthétique des contrastes et il écrit souvent ses personnages en s’appuyant sur une contradiction fondamentale. Par exemple : « Quasimodo est laid à l’extérieur et beau à l’intérieur » ; ou « Jean Valjean est un ancien forçat et un modèle de bonté ». C’est précisément parce que ses personnages sont contradictoires qu’ils sont intéressants. Ici, la définition du personnage est : « Javert sert aveuglément la société établie, contre le peuple, alors qu’il est lui-même un paria ». C’est cette contradiction qui est tragique. Si on enlève cette contradiction fondamentale, alors ce n’est plus un personnage romantique et ce n’est plus un personnage hugolien.
Les Thénardier, cependant, n’ont pas de passé à mettre en avant. On ne sait rien de leur enfance. Et on ne les imagine d’ailleurs pas enfants.
Javert est un antagoniste tragique, tandis que les Thénardier jouent traditionnellement sur le registre comique. Or, comme on l’explique souvent dans les cours de marketing publicitaire, le comique est un registre difficile à exporter car le sens de l’humour diffère beaucoup selon les cultures. On parle d’« humour français » ou d’« humour anglais », tandis que le tragique n’a pas de nationalité.
Les films modernes ont essayé différentes stratégies pour revaloriser les Thénardier. Par exemple, le film américain de 2012 choisit l’actrice très populaire Helena Bonham Carter (Bellatrix dans Harry Potter) pour jouer Madame Thénardier. Le but était visiblement d’en faire une antagoniste excentrique et sexy ! Mais cette stratégie a échoué, car c’était changer complètement le personnage original. Le défi aujourd’hui est plutôt de trouver un moyen de mettre en valeur les Thénardier sans dénaturer leurs personnages.
En France, certains associent les goûts des fans à des tendances politiques ou à des réseaux de valeurs…
On s’imagine parfois que les sympathisants de gauche préfèrent les Thénardier, tandis que ceux de droite préfèrent Javert. C’est l’idée, par exemple, du film Les Misérables de 1995 avec Belmondo, où le personnage qui représente et défend Javert est carrément un fasciste… Mais l’analyse du fandom révèle que c’est complètement erroné ! Ce sont de purs préjugés. Car beaucoup de fans adorent Javert et, à la manière dont ils le représentent, ils ne paraissent pas spécifiquement de droite. En règle générale, ce n’est pas parce qu’une personne aime un personnage qu’elle est d’accord avec toutes ses paroles et ses actions.
Toujours est-il que les adaptations françaises tiennent à conserver un équilibre entre Javert et les Thénardier en raison des aspirations politiques de Victor Hugo, surnommé « La girouette » tant il a tourné de la rive droite à la rive gauche ! C’est un fait peu connu, mais Hugo a lui-même été fervent royaliste, avant de devenir républicain engagé. C’est pourquoi il sait écrire de manière si intéressante les personnages des deux bords.

5/ Les fans préfèrent la seconde partie du roman à la première…
Il y a deux époques et deux générations dans Les Misérables. Ce qui rend parfois le roman difficile à adapter. Et les Amis de l’ABC, qui sont les stars du fandom, n’interviennent que dans la deuxième époque.
Le problème est que les films passent souvent trop de temps sur la première partie, et n’ont pas le temps ensuite de présenter tous ces nouveaux personnages… Ce qui nous conduit à penser que le format téléfilm ou série serait bien plus approprié.
La préférence du fandom pour la deuxième partie de l’histoire risque certes de l’amener à négliger le personnage de Fantine qui meurt dans la première partie. Mais Fantine est tout de même souvent représentée dans les fanarts car elle chante l’une des chansons les plus célèbres de la comédie musicale, « J’avais rêvé ». Son cas est donc bien moins dramatique que celui des Thénardier.
Dans une adaptation, l’idéal serait bien sûr de trouver un bon équilibre entre les deux parties. Actuellement, c’est souvent la deuxième époque qui est très abrégée.



En conclusion, qu’attendent les fans d’une adaptation ?
Le prochain film de Fred Cavayé aurait tout intérêt à draguer un peu le fandom, s’il souhaite s’exporter à l’étranger ! Bien sûr, toutes les idées des fans ne sont pas forcément bonnes à prendre. Mais sur certains points, ils ont raison.
Sans faire du pur fan service, il serait pertinent de s’intéresser à des éléments du roman trop souvent négligés et auxquels les lecteurs sont très attachés. Certains détails simples à insérer, comme respecter les descriptions physiques d’Enjolras et de Montparnasse, conserver la scène où Enjolras et Grantaire se tiennent la main, mentionner les origines de Javert, suffiraient à satisfaire les attentes du fandom, tout en étant plus fidèle à l’œuvre originale.
Pour la plupart des spectateurs, ce sont des détails. Mais pour les fans, ces petits éléments font toute la différence.
Citoyens, Citoyennes, on vous souhaite une excellente journée des barricades !
L’insurrection républicaine de juin 1832, en protestation aux funérailles royalistes données au général républicain Lamarque, visait à renverser la Monarchie de Juillet (règne de Louis-Philippe). Mais elle ne dura que deux jours (du 5 au 7 juin) et fut immédiatement écrasée. Ce fut néanmoins un évènement sanglant, avec 166 morts, 635 blessés et 1500 prisonniers.
C’est cet évènement historique réel qui sert de cadre au roman et dont aujourd’hui est la date anniversaire. Malgré l’échec de la révolte de 1832, de nouvelles barricades en 1848 permettront finalement l’instauration de la IIe République.
Les fan-arts d’Umeboshi sur Les Misérables :


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Rédigé par Umeboshi
Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.
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