Daniela Viçoso et Catarina João sont deux illustratrices portugaises et fans des Misérables rencontrées au salon d’illustration Paris City Pop 2025. Elles nous parlent de leurs carrières, du fandom des Misérables à l’étranger et des adaptations du roman…

Bonjour Daniela et Catarina. Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes et présenter vos carrières ?

Daniela : Bonjour, je suis diplômée en peinture de l’université des beaux-arts de Lisbonne. Je suis une artiste visuelle intéressée par le folklore, l’art vernaculaire et l’histoire. Je travaille actuellement dans la bande dessinée, l’illustration et l’enseignement artistique.

Catarina : Bonjour, je suis également diplômée de l’université des beaux-arts de Lisbonne en arts multimédias. J’aime écrire des fanzines et des bandes dessinées pendant mon temps libre.

Comment êtes-vous devenues fans des Misérables ?

Daniela :

Vers l’époque où le film sur la comédie musicale est sorti, en 2012. J’en avais déjà entendu parler, car c’est un classique de la littérature, mais je n’avais jamais pris le temps de le lire. Catarina était très fan de la comédie musicale et essayait de me convaincre de l’aimer aussi, mais je me souviens que la première fois que j’ai vu le film, c’est surtout Javert qui m’a fascinée. Le film lui-même a ses défauts, il est trop soucieux du réalisme pour une adaptation musicale. Mais il m’a captivée et je l’aime bien malgré ses défauts hollywoodiens évidents.

La communauté anglophone de fans est énorme et venait d’accueillir encore une nouvelle vague de fans grâce à la sortie de la version de 2012. Donc je me souviens avoir parcouru certains contenus sur Tumblr et AO3 [ndlr : un site de fanfictions] à l’époque avant d’être complètement « convertie ». Il m’a fallu beaucoup de temps pour tomber amoureuse d’Enjolras, ce qui s’est surtout produit après avoir vu la comédie musicale sur scène deux ans plus tard et découvert sur le web des artistes japonais incroyablement talentueux qui exploraient son personnage à travers des dôjinshi [1] et des fanarts. Je pense que m’intéresser de près à Enjolras et Grantaire a été extrêmement important pour ma relation avec Les Misérables.

Fanfiction intitulée "fleur", en référence au fait que les soldats qui s'apprêtent à fusiller Enjolras hésitent car ils ont l'impression de tirer sur une fleur. La couverture montre Enjolras avec un drapeau révolutionnaire et Grantaire avec une bouteille de vin.
© Daniela Viçoso. Tous droits réservés. Couverture d’un dôjinshi mettant en scène Enjolras et Grantaire.

Catarina :

Quand j’étais enfant, mon père avait une cassette de la bande originale de la comédie musicale Les Misérables qu’il écoutait souvent dans sa voiture, donc je connaissais déjà un peu les chansons. Et, comme je ne comprenais pas bien l’anglais ni le contexte, « Maître Thénardier » était la chanson qui m’avait le plus marquée à l’époque. (rires)

Plusieurs années après, j’ai vu la comédie musicale à West End par hasard (je dis par hasard parce que le spectacle avait déjà commencé et qu’il y avait des billets très bon marché qui permettaient d’entrer après le premier numéro musical) et j’ai adoré ! Les acteurs d’Enjolras et Grantaire dans cette représentation étaient très tactiles et j’étais très curieuse de savoir s’il existait des fanfictions. Et il y en avait ! Mais je ne voulais pas les lire tout de suite, car je voulais d’abord lire le livre, il y avait trop de personnages que je ne connaissais pas (principalement les autres Amis de l’ABC qui, pensais-je, jouaient un rôle plus important dans l’histoire). Comme Dani l’a dit, j’essayais de l’intéresser aux Misérables, et j’étais donc très enthousiaste à l’idée de voir le film de 2012 qui, naturellement, n’a pas eu l’effet escompté. J’ai fini par lire le livre et je suis tombée amoureuse de Montparnasse.

Daniela, vous dessinez beaucoup sur les étudiants révolutionnaires les Amis de l’ABC, en particulier Enjolras et Grantaire. Catarina, vous avez dessiné un fanzine entier sur le personnage de Montparnasse, l’assassin à la rose. Malgré leur popularité auprès des fans, ces personnages sont souvent anecdotiques dans les adaptations des Misérables à l’écran. Comment expliquez-vous ce fossé entre la vision des fans et celle des réalisateurs ? Pensez-vous que les films ne s’intéressent pas assez à la jeune génération de lecteurs ?

Daniela :

Pour être honnête, la plupart des adaptations essaient de retranscrire l’essentiel du livre, en se concentrant principalement sur les intrigues de Valjean, Javert, Fantine et Marius. Mais elles sacrifient beaucoup de choses, en supprimant différents éléments de l’intrigue et certains personnages afin de donner un sens à l’histoire ou de l’adapter à leur durée limitée. Il y a une limite à ce qui peut être retranscrit à l’écran (ou dans une adaptation en bande dessinée, car beaucoup passent également ces personnages sous silence). Je comprends, le temps d’écran est limité et il faut choisir un axe de l’histoire plutôt qu’un autre. Il existe de nombreuses perspectives et interprétations différentes du livre.

Je trouve particulièrement intéressant de voir les interprétations françaises car, même si les fans anglophones sont nombreux et ont un lien très fort avec la comédie musicale, on étudie ce livre en classe en France. Ce n’est pas seulement une œuvre littéraire, c’est aussi un élément important de l’Histoire (d’autant plus que le roman décrit Paris avant Haussmann). Je me demande donc parfois s’il est drôle pour les Français de nous voir jouer avec ces personnages et les réinterpréter. Je pense que notre obsession pour des personnages comme Enjolras et Grantaire, les Amis ou Montparnasse est due à différents centres d’intérêt qui sont plus courants chez les fans ou les personnes évoluant dans les espaces de fiction transformative.

Pour moi, Enjolras est le type de personnage que j’aime et que je vois rarement dans ce style de littérature. Un révolutionnaire, beau et tragique. Son histoire est en phase avec le mouvement romantique, idéaliste et douce-amère. C’est aussi un personnage qui pourrait appartenir à un vieux shôjo ou BL [2] des années 70, presque un personnage de Takemiya. J’espère que Riyoko Ikeda, Keiko Takemiya et Moto Hagio ont lu ce roman ou ont été en contact avec la comédie musicale ou l’une de ses adaptations. Je pense qu’elles comprendraient également cette interprétation de son personnage. Je crois que beaucoup d’entre nous sont attirés par lui en raison de son tempérament et de sa nature, et par Grantaire en raison de son désir ardent et de sa personnalité contrastée. Enjolras et Grantaire sont respectivement apollinien et dionysiaque, ils sont donc destinés à se compléter, et Victor Hugo s’en assure dans son texte.

Catarina :

Même si j’aimerais beaucoup que les Amis et Montparnasse apparaissent davantage dans les adaptations cinématographiques, il s’agit d’un livre très volumineux qui couvre plusieurs années, et il y a une limite à ce que l’on peut intégrer dans un film. C’est pourquoi l’accent est davantage mis sur Valjean et Javert, Marius et Cosette, avec plus ou moins d’attention accordée à Fantine et aux Thénardier. Je pense qu’une adaptation cinématographique devrait être une trilogie de trois heures chacune, à l’instar du Seigneur des anneaux, pour pouvoir accorder à chaque personnage l’attention qu’il mérite.

Montparnasse, en particulier, est très facile à supprimer car, même s’il apparaît assez souvent dans le livre (plus que la plupart des Amis), rien de ce qu’il fait n’affecte vraiment l’intrigue des personnages principaux. Les Amis, en revanche, même si la plupart d’entre eux ne sont même pas mentionnés par leur nom dans les adaptations cinématographiques, doivent au moins être présents. Car les barricades sont un passage important du livre et un moment émotionnel crucial qui rassemble les personnages principaux. Je pense qu’il serait très intéressant que quelqu’un réalise une adaptation cinématographique consacrée uniquement aux Amis, avec comme point culminant les barricades.

Pourquoi les Amis de l’ABC sont-ils si populaires dans le fandom ? Comment sont-ils devenus plus populaires que la plupart des personnages principaux du roman ?

Daniela :

Je pense que c’est dû à leur manque de caractérisation. À part Marius, Courfeyrac, Enjolras, Grantaire et peut-être Combeferre, les Amis n’ont pas des personnalités très marquées. Mais cela permet justement d’écrire plus facilement sur eux, de jouer avec leur individualité et la dynamique du groupe. Je pense que l’ensemble des fanarts et fanfictions finit par ressembler à un grand projet collectif pour beaucoup de gens.

Les Amis sont un groupe de jeunes aux idées révolutionnaires et, le fandom étant un espace ouvertement progressiste, de nombreux fans peuvent s’identifier à ce que représentent ces personnages, au changement qu’ils veulent apporter dans le monde. Les Amis sont après tout des activistes.

Peinture représentant les Amis de l'ABC réunis dans un café pour préparer les barricades, un grand drapeau rouge étalé sur la table.
© Daniela Viçoso. Tous droits réservés. Peinture représentant les Amis de l’ABC, d’après le tableau O Grupo do Leão du peintre Columbano Bordalo Pinheiro qui met en scène un groupe d’artistes et d’intellectuels de la fin du XIXe siècle.

Catarina :

Je suis d’accord avec Daniela. On peut ajouter le sous-texte queer de Grantaire/Enjolras. Et le fait que le film de 2012 soit sorti alors que Tumblr était à son apogée, à la fois en tant qu’espace dédié aux fans et en tant qu’espace de discussion sur les questions de justice sociale.

Combeferre avec des lunettes, en train de lire une livre.
© Catarina João. Tous droits réservés. Combeferre, l’intellectuel du groupe.
Montparnasse très élégant, avec un haut de forme, un ruban autour du cou, une redingote et une canne. Courférac l'air enjoué et tenant une pipe.
© Catarina João. Tous droits réservés. Montparnasse parlant à Courférac, un autre membre des Amis, qui a introduit Marius dans le groupe.

Enjolras et Montparnasse ont un type de beauté androgyne typique de la période du romantisme. Mais les films modernes semblent incapables de représenter fidèlement ces personnages. Catarina, dans votre fanzine La vie parisienne, vous avez cité les descriptions de ces personnages dans le roman, avant de les illustrer. Diriez-vous que vous cherchez à transmettre une représentation plus fidèle de ces personnages ?

Daniela :

Je pense que nous aimons toutes les deux l’aspect bishônen [3] de ces deux personnages. Ils sortent tout droit d’un yaoi [4]. Ils ne se sont jamais rencontrés, mais je pense aussi qu’ils sont complémentaires… un ange et un démon, un blond et un brun. (rires)

Quatre portrait d'Enjolras, beau jeune homme au manteau rouge et aux cheveux dorés.
© Daniela Viçoso. Tous droits réservés. Différentes représentations d’Enjolras.
Montparnasse, habillé avec une robe de femme, séduisant Grantaire. Montparnasse est brun et en robe noire.
© Daniela Viçoso. Tous droits réservés. Montparnasse et Grantaire.

Catarina :

Oui, nous adorons les bishônen. Je pense qu’il s’agit moins d’essayer d’être « plus authentique » que de partager une vision qui, étrangement, n’est pas si courante. Pour Montparnasse en particulier, si vous n’avez vu qu’une adaptation, il y a de fortes chances que vous n’ayez jamais remarqué ce personnage, car il n’est pas nommé ni présenté comme un beau garçon. Et si vous le connaissez seulement à travers le fandom, il peut s’agir d’une interprétation populaire dont je ne suis pas fan. Mon idée était donc plutôt : « Laissez-moi vous présenter mon personnage préféré ! Il a de charmants cheveux noirs et des lèvres comme des cerises, une taille fine et des hanches de femme, et il commet des crimes parce qu’il veut être bien habillé. »

Citer Hugo dans le fanzine sur les descriptions d’Enjolras et de Montparnasse était aussi un moyen de les comparer : ils sont tous deux très beaux mais, si Enjolras est une lumière aveuglante, Montparnasse est l’obscurité et la mort. Quand on les regarde côte à côte -cela semble très cliché mais c’est aussi amusant-, ils sont comme un ange et un démon. Je pense qu’ils se détesteraient s’ils se rencontraient. (Ce qui est également amusant !)

Montparnasse, jeune homme très élégant, s'habillant avec soin devant son miroir. Il a un grain de beauté au coin de l’œil, symbole de coquetterie car cela rappelle la mode des mouches au XVIIIe siècle.
© Catarina João. Tous droits réservés. Dessins à l’encre représentant Montparnasse.
Montparnasse devant son miroir et entouré de roses. Comme Narcisse, il semble fasciné par son reflet.
© Catarina João. Tous droits réservés. Montparnasse devant un miroir.

Vous dessinez souvent des ships populaires [5] : Enjolras et Grantaire, ou encore Eponine et Cosette… Il me semble que le ship entre Enjolras et Grantaire est un peu différent des autres, car ces personnages sont comparés à Achille et Patrocle dans le roman. On pourrait donc penser que Grantaire aime réellement Enjolras dans l’histoire originale et que c’est sous-entendu dans le texte. Malgré cela, les films sur Les Misérables ne mettent pas beaucoup en avant l’amitié entre Enjolras et Grantaire. Ne trouvez-vous pas cela injuste ?

Daniela :

C’est très injuste ! Nous avons besoin d’un réalisateur fujoshi. [6] Ce n’est pas une opinion très répandue (principalement en raison des commentaires désobligeants des réalisateurs sur la comédie musicale, qui ont contrarié de nombreux fans), mais je pense que l’adaptation de la BBC en 2018 a plutôt bien traité ce sujet. Elle n’a pas omis les Amis et a mis en avant un casting d’acteurs très diversifié. Je pense qu’elle s’est beaucoup inspirée de la version de 2012, mais qu’elle a su se démarquer. Je me souviens encore à quel point les gens avaient peur du rôle d’Enjolras (joué par le désormais très célèbre Joseph Quinn) parce qu’il avait une moustache. Mais Quinn a finalement été crédible, et j’ai trouvé que Grantaire/Enjolras fonctionnait très bien dans cette version. Le Grantaire de la BBC était plus enjoué, moins désespéré que dans la version de 2012.

J’ai également apprécié le fait que Marius et Cosette aient été représentés comme de véritables adolescents. Je trouve que Cosette est souvent tellement douce et gentille qu’il n’y a pas grand-chose à faire avec elle. Dans les autres adaptations, elle est surtout un symbole. J’ai donc été ravie de voir cette interprétation légèrement différente de son personnage. De plus, le Javert de cette série était phénoménal, l’interprétation intense du personnage par Oyelowo est l’une de mes préférées.

Trois portraits d'Enjolras, dont un avec une légère moustache.
© Daniela Viçoso. Tous droits réservés. Différentes versions d’Enjolras, dont celle de la BBC avec la moustache.
Image sur fond rose, où Grantaire en train de boire regarde Enjolras en pensant : "Mon leader révolutionnaire peut pas être si mignon ?"
© Daniela Viçoso. Tous droits réservés. Grantaire trouve Enjolras mignon !

Catarina :

C’est très injuste ! Je trouve que c’était particulièrement injuste dans l’adaptation de 2012 car, même si George Blagden incarnait Grantaire d’une manière très mélancolique, beaucoup de ses répliques de la comédie musicale ont été coupées sans raison valable et leurs interactions sont encore moins nombreuses que dans la version théâtrale.

Leur fin est également très tragique et elle est d’autant plus poignante qu’elle contraste avec leur comportement habituel. L’adaptation en manga de Takahiro Arai a très bien rendu cela : il n’y a pas beaucoup de moments avec Grantaire et Enjolras, mais ceux qui sont représentés sont essentiels et s’étendent sur une certaine période -Grantaire disant qu’il ferait n’importe quoi pour Enjolras, même nettoyer ses bottes ; Enjolras lui donnant une chance puis étant déçu qu’il ne soit qu’un ivrogne qui ne tient pas parole ; Grantaire se sentant amer, Enjolras disant qu’il ne croit en rien-, donc quand la fin arrive, c’est très beau et triste. Les soldats hésitant à tirer sur Enjolras « parce que c’est comme tuer une fleur », Grantaire se réveillant parce que le chaos s’est soudainement calmé, marchant vers Enjolras -lui le sceptique qui ne croit qu’en une seule chose (une seule personne)-, Enjolras le voyant enfin et tous deux mourant main dans la main…

Catarina, j’ai remarqué que vous dessinez Javert avec la peau assez foncée dans le fanzine La vie parisienne, ce qui est aussi le cas d’autres artistes de fanarts sur internet. Est-ce parce que certains détails du roman laissent penser que la mère de Javert, qui est diseuse de bonne-aventure, serait peut-être une bohémienne ?

Daniela :

Tout comme Heathcliff dans Les Hauts de Hurlevent. C’est un aspect sous-estimé de son personnage.

Catarina :

Il y a cet aspect canonique de son personnage et, de plus, mes deux interprétations préférées de Javert sont celles d’acteurs à la peau noire : David Oyelowo dans l’adaptation de la BBC de 2018 et Norm Lewis dans le concert du 25e anniversaire de la comédie musicale. Alors pourquoi pas ?

Montparnasse en robe et Javert de dos, en uniforme. C'est un extrait d'une courte bande dessinée en anglais où Montparnasse dit : "Vous m'avez reconnu de si loin, Inspecteur ! Vous devez pensez des choses affreuses sur moi, j'en suis flatté !"
© Catarina João. Tous droits réservés. Montparnasse travesti narguant Javert.

J’ai de la peine pour les Thénardier ! Je me trompe peut-être, mais ils me semblent assez impopulaires dans le fandom international. Ils paraissent être seulement vus comme des petits antagonistes comiques et ridicules. Dans les films américains, ce sont des personnages anecdotiques ; alors que dans les films français, ils sont au moins aussi importants que Javert. Thénardier est un escroc rusé, les Français apprécient ce genre de personnage. Comment expliquez-vous ce manque de popularité à l’étranger ?

Daniela :

Je pense qu’ils ne m’intéressent pas autant en dehors du texte, même avec la dimension comique que la comédie musicale tente de mettre en avant. C’est peut-être parce que leur archétype est fréquent dans la littérature classique de mon pays, le Portugal. Mais les Thénardier et leurs enfants soutiennent l’argumentation du roman. Leur absence de romantisme dans le livre et dans les adaptations est une force, et non un défaut.

Catarina :

Je ne sais pas si les voir dans leur version littéraire, qui est moins comique, les rendrait plus populaires auprès des fans internationaux… Personnellement, j’apprécie leurs moments drôles dans la comédie musicale mais, même si j’adore les méchants, le Thénardier canonique est un escroc opportuniste qui, pris de manière réaliste, me rappelle simplement pourquoi beaucoup de choses dans la vie réelle ne fonctionnent pas et ne s’améliorent pas. C’est particulièrement décourageant de le voir survivre à la fin d’un roman où tant de personnages meurent, puis devenir encore plus mauvais sur un autre continent grâce à l’argent que Marius lui a donné. Ce sont néanmoins de bons personnages pour mettre en lumière certaines choses.

Ainsi, qui sont vos personnages préférés dans Les Misérables ?

Daniela :

Enjolras, pour toutes les raisons évoquées plus haut. Et Grantaire par association, car leur dynamique m’intéresse beaucoup. Et Javert, pour être tout à fait honnête. Je trouve que c’est un personnage intéressant, tourmenté et intense, mais aussi assez attachant.

Catarina :

Montparnasse, sans surprise ! Il est séduisant à la manière d’un vampire : maléfique, beau, dramatique, élégant, quelque peu tragique dans sa misère. Il se promène avec une rose dans la bouche, c’est le genre d’exagération ridicule que j’adore chez les personnages de fiction. J’aime aussi Gavroche qui, comme Montparnasse, a été rejeté par la société, mais qui réagit de manière très différente, plein de vie, de joie, de critique et de révolution. Et Grantaire, le sceptique qui ne croit en rien sauf en une chose : Enjolras.

Page de bande dessinée où Gavroche parle à Montparnasse et lui annonce qu'il va aux barricades.
© Catarina João. Tous droits réservés. Extrait d’un dôjinshi mettant en scène Gavroche et Montparnasse.

Quelles sont vos adaptations préférées ? Et qu’attendez-vous du prochain film réalisé par Fred Cavayé qui est actuellement en tournage ?

Daniela :

Je prévois d’aller voir toutes les nouveautés sur « Les Mis » ! Je n’ai pas vu beaucoup d’adaptations plus anciennes, mais j’ai beaucoup aimé la série de la BBC. Je regrette que l’adaptation animée de World Masterpiece Theatre, Shôjo Cosette (2007), n’ait pas utilisé son style vintage habituel. Mais elle est assez fidèle au texte, à quelques détails près. L’adaptation en manga d’Arai-sensei est également très complète et présente un Enjolras très mignon et un Grantaire très intéressant. Je suppose que je dois remercier le film de 2012 pour la scène où ils se tiennent la main et pour ne pas avoir supprimé les Amis. Je ne savais pas qu’il y avait un nouveau projet de film, mais je me tiendrai au courant désormais.

Catarina :

Mes préférées sont probablement la comédie musicale sur scène et la mini-série de la BBC en 2018. Dans la mini-série, j’ai particulièrement aimé l’obsession intense et homoérotique de Javert pour Valjean. Et le fait que Valjean doive constamment faire des efforts pour être bon, même plusieurs années après avoir rencontré l’évêque, au lieu que cela lui vienne naturellement. C’est une approche un peu différente mais qui le rend plus intéressant à mes yeux en tant que personnage.

J’ai également beaucoup apprécié l’adaptation en manga d’Arai, qui dépeint de nombreux événements et personnages rarement (voire jamais ?) adaptés. Je ne sais pas ce que j’attends des futures adaptations, mais je suis toujours intéressée pour aller les voir. Un passage que j’aimerais beaucoup voir à l’écran est celui où Montparnasse tente de voler Valjean, se fait maîtriser et où Valjean lui fait la morale et lui donne son portefeuille. Montparnasse est tellement choqué par toute cette histoire qu’il ne remarque même pas que Gavroche lui vole son portefeuille !

En-dehors des Misérables, vous dessinez sur de nombreux autres thèmes, comme la commedia dell’arte, ou encore le folklore portugais. Quels sont vos sujets de prédilection ? Sur quels autres projets travaillez-vous en ce moment ?

Daniela :

Ces derniers temps, je reviens toujours aux écrivains du XIXe siècle, et je me suis rendu compte qu’il me restait beaucoup à découvrir, rien qu’au Portugal et dans la péninsule ibérique. J’ai réalisé un petit zine humoristique (A casa dos lilases/Willow House) précisément sur la fiction historique et les médias récupérés par les fujoshi, qui donnent à ces textes un nouveau sens et une nouvelle vie.

J’essaie actuellement de lire davantage nos écrivains du XXe siècle. Nous avons connu la plus longue dictature d’Europe, et beaucoup de ceux qui s’opposaient au régime ont été jetés en prison, envoyés dans des camps de travail, torturés ou sont morts. Beaucoup ont fui ou ont réussi à vivre dans la clandestinité, et j’essaie de lire davantage d’auteurs qui ont écrit pendant ces décennies.

En dehors de cela, je travaille sur un projet de bande dessinée, et j’espère en terminer un autre à la fin de l’année. J’ai également une histoire qui se déroule à la fin de la monarchie portugaise et au début de la première république (au début des années 1900) qui m’intéresse beaucoup, mais qui devra être mise en veilleuse pendant un certain temps. J’aime toujours me plonger dans certaines périodes historiques, mais c’est aussi la raison pour laquelle mes recherches me prennent autant de temps (et aussi parce que je ne peux malheureusement pas consacrer tout mon temps à la bande dessinée, car les tarifs portugais sont très bas).

Catarina :

J’ai créé Harlequin in Love, une nouvelle illustrée et bilingue pour adultes, en jouant avec des personnages de la commedia dell’arte (Arlequin, Pierrot et Colombina) et en rendant le triangle amoureux queer (Pierrot/Arlequin), avec un bal masqué se déroulant dans un décor vaguement inspiré du XVIIIe siècle. J’ai toujours aimé la commedia dell’arte et l’esthétique du cirque, c’était donc une façon de les intégrer dans une histoire de manière satisfaisante afin de pouvoir enfin réfléchir à d’autres projets avec des thèmes différents. J’adore les décors historiques (en particulier ceux des XVIIIe et XIXe siècles) et dessiner ce type de vêtements, mais j’aime aussi la science-fiction avec des personnages de type robot (même si, dans la vie réelle, l’engouement actuel pour l’IA est vraiment menaçant).

Un mot pour nos lecteurs.ices ?

Daniela :

Merci beaucoup de nous avoir interviewées ! J’adore parler des Misérables et des fictions historiques fujoshi. Ce fut un plaisir 🙂

Catarina :

J’ai récemment découvert qu’il existe un livre publié en 1872 intitulé Gavroche : the gamin of Paris, qui commence comme une traduction/adaptation anglaise des Misérables centrée sur Gavroche, puis devient une fanfiction corrective dans laquelle le personnage ne meurt pas et est adopté par Valjean, avec ses deux petits frères et Montparnasse, que Valjean parvient à racheter et à transformer en marin. Je partage cette information non seulement parce que c’est bizarre et amusant, mais aussi parce que cela révèle que le fandom transformatif des Misérables existe depuis longtemps. Merci de nous avoir interviewées ! ^^

Merci à toutes deux pour cette passionnante interview !

Retrouvez Daniela Viçoso et Catarina João sur internet et les réseaux sociaux…

Sur le web : danielavicoso.format.com et cjoao.neocities.org

Sur Instagram : _xarem et zannii_

Et très prochainement au salon Y/con France, à Montreuil les 15 et 16 novembre 2025.

Interview traduite de l’anglais.

Petit dessin d'Enjolras et Grantaire. Grantaire est comme d'habitude en train de boire.
© Daniela Viçoso. Tous droits réservés. Enjolras et Grantaire.

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Lexique :

[1] Dôjinshi : Fanfiction sous forme de manga.

[2] Shôjo et BL : Shôjo, manga dit « pour jeunes filles », c’est-à-dire romantique. Et « boys’ love » (BL), manga mettant en scène une romance entre deux beaux garçons, à destination d’un lectorat féminin.

[3] Bishônen : Littéralement « beau garçon » en japonais. Garçon à la beauté efféminée, caractéristique des mangas boys’ love.

[4] Yaoi : Version plus moderne et plus érotique du boys’ love.

[5] Ship : Romance imaginée par les fans entre deux personnages de fiction.

[6] Fujoshi : Littéralement « fille pourrie » en japonais. Terme initialement péjoratif pour désigner les lectrices de boys’ love et de yaoi, puis revendiqué par ces lectrices.


Umeboshi : prune japonaise séchée et amer

Rédigé par Umeboshi

Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.

Comments

2 réponses à “[INTERVIEW] Daniela Viçoso et Catarina João, artistes de fanart sur Les Misérables”

  1. Avatar de jonitogel

    Thank you for putting this in a way that anyone can understand.

  2. Avatar de
    Anonyme

    L œuvre Les Misérables nous réserve d incessantes surprises. Des vues nouvelles des trouvailles des idée et passions…que cette interview met en valeur. Ces 2 artistes ont un grand talent servi par une curiosité enrichissante

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