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[INTERVIEW] Fabien Tillon, scénariste et journaliste BD, auteur de Culture Manga chez Nouveau Monde éditions

Fabien Tillon est journaliste spécialisé dans la bande dessinée et le cinéma (Phosphore, BoDoï, Europe 1). Il a été critique de bande dessinée pour l’émission CULT sur France 5 (2004-2005), ainsi que chroniqueur cinéma et BD dans le cadre du Club Tendance animé par Laurent Delahousse sur Europe 1. Il a aussi participé à l’émission Bulles Noires sur Radio libertaire.

En tant que maître de conférences, il intervient régulièrement sur le manga et son histoire, en lien avec la culture orientale et occidentale, la peinture, la littérature et le cinéma. Il est lui-même scénariste de plusieurs bandes dessinées, dont Les Mèches Courtes (Vertige Graphic – Prix Tournesol au Festival d’Angoulême 2011), Les Heures Noires et Roi du Vent (La Boîte à Bulles), Un Amour de Stradivarius et La Route de l’acide (Nouveau Monde graphic).

Il a accepté de répondre à nos questions sur son livre Culture Manga, publié chez Nouveau Monde éditions en 2020.

Interview de Fabien Tillon par La Revue de la Toile :

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ? Quel est votre parcours ?

Au départ, je voulais faire de la bande dessinée au sens scénaristique du terme. Et je voulais être écrivain, aussi. C’était mes deux ambitions fondamentales. Mais j’ai trouvé plus intéressant et plus court de commencer par être journaliste, tout simplement parce que ça me permettait de gagner de l’argent immédiatement, ce qui n’est pas négligeable.  J’ai donc choisi d’être journaliste de bande dessinée pour satisfaire ma passion. De journaliste, je suis plus tard devenu scénariste et écrivain essayiste sur les domaines de la culture et de l’Histoire.

D’où vient votre passion pour la bande dessinée, puis pour le manga ?

Je lis des bandes dessinées depuis très jeune. J’ai même eu différents moments de lecture : J’ai commencé par la franco-belge quand j’étais petit. Puis je suis passé aux super-héros quand j’étais adolescent. Au magazine Strange notamment, les Marvel version française. Et, beaucoup plus tard, je suis passé à la BD adulte. Le manga, pas du tout à cette époque ! Ce n’était pas quelque chose que je connaissais. D’abord, parce qu’il n’y en avait pas. Et, même ensuite, quand ils ont commencé à arriver, c’était essentiellement sous la forme de shônen, donc moi qui étais plus vieux à ce moment-là, ça ne m’a pas parlé.

Photo de Fabien Tillon, qui pose avec Spider-Man !
Fabien Tillon et L’Araignée alias Spidey alias Peter Parker : une amitié qui remonte à l’adolescence.

C’est dans le cadre de mon métier de journaliste que j’ai finalement dû me mettre aux mangas. Dans les années 2000 à peu près, lorsque j’ai travaillé pour le magazine BoDoï. J’ai commencé alors à lire du seinen, et j’ai compris toute la différence. Il y avait autant de différence entre lire du shônen et du seinen qu’entre lire Bécassine et du Druillet, par exemple !

Ensuite, j’ai même essayé de faire du manga en tant que scénariste. Mais ça n’a jamais marché ! Tous les projets que j’ai proposés étaient trop éloignés de l’image qu’on a des mangas en France. Car quand on parle de manga en France, on parle essentiellement de shônen. Et les éditeurs savent bien que le lectorat privilégié des Français est celui du shônen. Sans compter qu’il y a une forte offre de BD adulte en France qui fait concurrence au seinen… Mais moi, c’était ce qui m’intéressait, le seinen. Donc tous les éditeurs à qui j’ai proposé quelque chose trouvaient soit que le dessin était trop adulte, soit que le scénario ne correspondait pas aux adolescents. Voilà pourquoi j’ai mieux réussi en tant que scénariste de bande dessinée occidentale et de roman graphique.

Dans votre livre Culture Manga, vous étudiez l’histoire des mangas en remontant jusqu’aux estampes et en passant par leur utilisation comme arme de propagande pendant la Seconde Guerre mondiale. Vous poursuivez avec leur rayonnement mondial, leur utilisation au service du soft power et leur impact sur l’art moderne. Vous abordez donc les mangas sous un angle à la fois historique, artistique et sociologique ?

Absolument. En fait, je me suis aperçu que l’intérêt pour le manga en France était essentiellement concentré sur le shônen. Et notamment sur les shônen qu’on avait connus en dessins animés, comme Goldorak. C’était par là qu’avait commencé la culture des mangas en France. Et c’était par là qu’elle continuait à arriver.

Bien sûr, entre-temps, les seinen avaient aussi commencé à arriver en France. Il y avait toute une partie de la culture manga qui devenait plus connue. Mais cette culture manga là, elle est quand même réservée à une élite de lecteurs, ceux qui lisent vraiment beaucoup de choses différentes. Alors que les lecteurs de manga plus commercial, en particulier de shônen, lisent peu de choses en dehors de leur passion pour le shônen. Donc je trouvais qu’il y avait vraiment une méconnaissance de ce qu’était le manga. C’est un paradoxe, pour un pays dont on dit toujours qu’il est le deuxième marché du manga au monde ! Je me suis donc dit qu’il fallait à tout prix avoir un angle qui privilégie les liens entre le manga et la culture japonaise. Et même les liens entre le manga et la culture tout court.

À ce propos, est-ce que notre point de vue d’Occidentaux nous amène parfois à tomber dans des biais, voire des contre-sens, lors de l’analyse de mangas ? Comment éviter les erreurs ?

La culture japonaise, c’est évidemment le B.A.-BA. Parce qu’on ne comprend pas le manga si on n’a pas un rapport au shintoïsme, aux mythologies folkloriques japonaises, au bouddhisme, à l’histoire du Japon au XXe siècle, à la guerre, à la guerre impérialiste, au fascisme japonais. Même pour le manga shônen. Et surtout, d’ailleurs, pour le manga shônen.

Mais par ailleurs, il y a des rapports entre le manga et la culture caucasienne. C’est quelque chose que je développe beaucoup dans les cours que je donne sur le manga à l’université Jules Verne d’Amiens, à l’ASFORED, à Gif-sur-Yvette et à la BN. Généralement, j’essaie aussi d’ouvrir les lecteurs sur le dialogue très fort entre la France, la Grande-Bretagne et d’autres pays d’Europe de l’ouest avec le Japon à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Ce sont ces rapports-là qui ont créé précisément le manga, et qui nous ont aussi nourris graphiquement pour inspirer une partie de l’impressionnisme. Les Japonais ont été pour beaucoup dans la décision qu’ont prise certains peintres d’abandonner l’atelier et d’aller peindre en extérieur. Et aussi de peindre en fonction de leurs émotions propres. Ça, ils l’ont trouvé vraiment chez Hokusaï.

Donc j’explique cela aussi. Et puis, j’explique les liens entre le manga et l’art contemporain. Parce qu’il y a encore un dialogue très fort entre le manga en tant qu’expression de culture pop et la peinture contemporaine. Dans n’importe quelle galerie parisienne – j’en voyais hier encore, dans un atelier à Saint-Cloud où il y avait des tas de toiles d’un illustre débutant que personne ne connaît – il suffit de faire quelque chose d’un peu « pop », il suffit de mettre un dessin de manga, de cow-boy ou de Batman, des couleurs bleus ou rouges pour faire « pop », et puis tout de suite on vend des toiles, parce que c’est dans l’air du temps !

Vous êtes aussi journaliste spécialisé dans le cinéma. Ces deux passions sont-elles liées ? Quels sont les liens entre manga et cinéma ?

Un aspect important de mon livre est que je voulais souligner les liens entre le manga et les autres arts. Le manga s’est en effet beaucoup nourri de cinéma. Surtout le manga d’après-guerre, celui qu’on connaît aujourd’hui. Et le cinéma, au Japon comme ailleurs, s’est à son tour nourri de manga.

Donc, il y a des liens très forts entre le manga et les différents arts. La littérature aussi : on voit des liens entre le manga et la littérature japonaise contemporaine qui sont assez forts. Murakami, par exemple, qui a obtenu un très gros succès planétaire avec 1Q84, a une influence manga shônen évidente. Je dirais même quasi-obsessionnelle. On sent qu’il aurait bien aimé écrire des mangas, mais qu’à la place il n’a écrit que des romans qui sont devenus extrêmement célèbres !

Que pensez-vous des tendances actuelles des mangas ? Le clivage shônen/shôjo tend-t-il à s’accentuer ou à disparaître ?

La différence shônen/shôjo disparaît quand même de plus en plus, à la fois dans les histoires elles-mêmes et dans la pratique commerciale. Au Japon comme en France, les filles achètent du shônen et les garçons achètent du shôjo. Les filles, surtout, achètent très facilement du shônen car le shônen c’est le manga d’aventure, l’aventure de la jeunesse. C’est un thème très universel, comme les romans de Jules Verne.

De plus, il y a beaucoup de séries qui mutent, qui prennent des éléments d’une catégorie pour l’importer dans une autre. Par exemple, les idées fondamentales du shônen (le combat, la concurrence pour atteindre un objectif vaille que vaille), ont été récupérées par le shôjo. C’est vrai que le shôjo, au début, c’était censé être quelque chose de tout rose pour petites filles. Mais ça n’a rien à voir avec la réalité !

La différenciation, en fait, demeure surtout parce que ça arrange les éditeurs et les libraires de pouvoir classer les mangas selon trois catégories : shônen, shôjo et seinen. Mais en réalité, il y a de moins en moins de différences. Il y a aussi des frontières qui s’estompent entre le shônen et le seinen. Au point qu’est apparue une catégorie intermédiaire qu’on appelle le « young adult », et qui est en fait du seinen proche de l’aventure. Car « shônen » veut vraiment dire de plus en plus « aventure » plutôt que « garçons ». Même si le shôjo, lui, continue en partie à privilégier certains thèmes dits « féminins ».

Une autre problématique actuelle est la tendance à l’uniformisation des scénarios, en particulier dans le manga shônen…

L’uniformisation des scénarios, c’est un vrai souci. Mais ça ne concerne pas seulement le manga. On voit bien que partout, à l’heure actuelle, il y a une sorte de pression commerciale, de pression des producteurs, de pression de l’argent, qui fait que l’on privilégie les choses qui sont censées marcher très bien plutôt que les choses plus aventureuses. C’est aussi dû, sans doute, à une sorte de conservatisme de l’époque, une espèce de peur du futur. Quoi qu’il en soit, on voit très bien par exemple que le cinéma américain est devenu extrêmement conservateur. Le cinéma français aussi, avec ses comédies familiales qui se passent toutes dans un appartement parisien ! Alors qu’il y a des gens qui ont des choses plus originales en tête mais qui n’ont pas l’argent de le faire.

Et donc, c’est la même chose pour le manga : il y a des éditeurs qui sont fixés sur des règles immuables et qui ne comptent pas en déroger du tout. Les auteurs qui veulent absolument faire du manga, parce que c’est le rêve de leur vie – et il n’y a pas beaucoup de rêves quand même dans la vie d’un Japonais, car en général la vie d’un Japonais c’est plutôt triste, avec peu de perspectives : peu de vacances, un tout petit archipel, la peur de l’étranger… Ils ont les mangas qui leur permettent de rêver, donc évidemment, les auteurs veulent absolument être mangaka quand ils ont un peu de talent, plutôt que d’aller travailler dans une banque ! –, ces auteurs sont prêts à accepter des conditions de travail et des conditions salariales qui sont absolument grotesques. Quand on compare, à l’heure actuelle, les profits que génèrent les mangas et les salaires des auteurs, c’est vraiment scandaleux.

Et du coup, les auteurs acceptent cette idée qu’il faut absolument suivre des schémas narratifs, « sinon je vais me planter », « sinon je ne serai pas bien classé dans le référendum auprès des lecteurs la semaine prochaine », « plus personne ne va m’éditer et ma vie est foutue »… Et, évidemment, ça réduit beaucoup l’aventurisme créatif.

Un autre problème, c’est que de tout temps ou presque (car dans les années 1960 et 1970, le shônen était beaucoup plus créatif), le shônen a été fixé à un certain nombre de lignes narratives qui sont celles du feuilleton pour adolescents : l’idée de l’aventure, l’idée du rebondissement permanent, l’idée de héros assez peu complexes, etc. Le schéma du shônen, et notamment du shônen nekketsu (le manga de combat, qui est le plus lu en France), qui s’est un peu répandu dans tout le manga d’ailleurs, est véritablement problématique car il bloque définitivement la possibilité pour le shônen d’évoluer. À partir du moment où il y a du nekketsu – qu’il y en ait un peu, beaucoup ou moyennement – il y aura toujours un combat, il y aura toujours un méchant.

One Piece, par exemple, peut être considéré comme un nekketsu. Trouver ce fichu trésor ! Depuis le début, on cherche ce trésor et ça fait longtemps que la série est partie dans beaucoup d’autres directions. Mais, le squelette initial, c’est toujours chercher ce fichu trésor ! Naruto, je n’en parle pas, c’est du nekketsu pur et dur !

Cette sorte de volonté d’être toujours dans le combat d’un groupe contre d’autres, non seulement ça bloque beaucoup intellectuellement le shônen, mais cela indique aussi quelque chose de pas très sain dans la société japonaise depuis l’après-guerre. Cela indique que la société japonaise se pense toujours comme une société de combat et comme une société de guerre, bien que policée par son entrée dans la démocratie moderne. Quoique la démocratie japonaise, si on la regarde à la loupe, soit en fait assez relative : Le pouvoir n’a pas changé d’option politique depuis des années. Et c’est toujours la droite – tantôt libérale, tantôt autoritaire – qui est au pouvoir. Ces dernières années, elle est devenue beaucoup plus autoritaire. La gauche a été au pouvoir deux ou trois ans dans les années 1990 et 2000. Donc c’est quand même une démocratie extrêmement bloquée dans le conservatisme.

Et ce conservatisme social ressurgit de manière assez inquiétante dans ce qu’on a appelé le révisionnisme japonais actuel, qui a eu des hauts et des bas : l’extrême-droite japonaise, ces dernières années, a notamment eu cette sorte de fascination pour un retour au fait d’assumer l’existence d’un Japonais en tant que « fighter », en tant que « combattant ». Pour eux, le Japonais, c’est le guerrier, c’est le soldat, celui qui va jusqu’au bout des choses, c’est le samurai. Et du coup, cette espèce de fascination japonaise pour le fait d’aller jusqu’au bout des choses et pour sans arrêt se battre, donc ne pas être vraiment dans une société pacifiée, c’est quand même quelque chose qui interroge sur la réalité psychologique des Japonais. Et le manga shônen pose beaucoup d’interrogations de ce point de vue-là. Même si, bien sûr, le shônen n’est pas entièrement négatif et qu’il est aussi organisé autour de valeurs collectives comme l’amitié.

Vous avez également écrit un ouvrage sur Goscinny. Quelles sont les principales différences entre bande dessinée franco-belge et manga ?

Photo de Fabien Tillon, qui pose avec une statue géante d'ogre de bande dessinée, qui semble prête à l’assommer !
Fabien Tillon, pourchassé par l’ombre de la Franco-belge.

Je trouve qu’il y a une profonde différence entre le héros de shônen et le héros de BD franco-belge comme Tintin (pour prendre un classique) ou Valérian (pour prendre un exemple relativement plus moderne). Le héros de bande dessinée franco-belge est profondément influencé par les valeurs judéo-chrétiennes et cela a une incidence sur sa manière de réagir. Il se bat pour une situation générale. Parce qu’il y a un méchant dictateur qui empêche les gens d’accéder à la démocratie. Ou parce qu’il y a un méchant qui a volé des bombes et qui veut absolument faire péter la terre. Parce qu’il y a un savant fou qui veut transformer les hommes en singes et les femmes en guenons. Parce qu’un parti politique est en train de corrompre l’ensemble de la société. Ou parce que les Vénusiens veulent absolument envahir le système galactique la semaine prochaine ! Bref, le héros franco-belge, c’est un héros christique. Il est là pour prendre en charge un péché général.

Il est même capable d’absorber le Mal et d’en faire du Bien. Voyez l’exemple de Tintin et du capitaine Haddock : Tintin est tellement dans le Bien qu’il parvient à faire du capitaine Haddock un héros positif. Alors qu’au début ce n’est qu’un ivrogne enfermé dans sa cabine et qui laisse le Mal se répandre dans son bateau.

Le héros japonais, le héros en tout cas de manga shônen, n’a rien à voir avec ce héros-là. Le shônen appuie sur l’idée que les héros se battent pour eux-mêmes, pour leurs valeurs, pour le groupe. Il se trouve, bien sûr, que les valeurs du groupe sont généralement des valeurs positives. Mais ce sur quoi on met l’accent dans le shônen, c’est surtout sur le groupe et sur la capacité de ce groupe à être fort, à être puissant, à aller jusqu’au bout, à être radical.

L’évolution du shônen ces dernières années montre bien aussi que la société japonaise a de plus en plus de mal avec ses valeurs, avec les valeurs démocratiques de l’après-guerre. Et on assiste de plus en plus à des shônen qui expriment une sorte de désillusion, voire de cynisme, vis-à-vis de la société. Un certain désinvestissement aussi. On a de plus en plus de shônen et de « young adult » qui sont axés autour d’une personnalité mauvaise. Par exemple Death Note, qui est basé sur un personnage extrêmement négatif, et même totalement fêlé, qui au début est soi-disant là pour remettre en ordre le monde en luttant contre les criminels, mais qui est en fait un criminel lui-même. Pareil pour L’Attaque des Titans. Et même dans One Piece, dans le monde des pirates, les objectifs des héros sont assez nébuleux : il s’agit surtout d’être les meilleurs pirates du monde et de trouver le trésor. Mais bon, ils sont quand même gentils car ils se soutiennent entre eux.

Ainsi, le shônen mais aussi le seinen, ces dernières années, analyse les ambiguïtés d’une société japonaise qui, de plus en plus, ne sait pas très bien ni qui elle est, ni où elle va.

Diriez-vous qu’il est nécessaire de développer les études universitaires et la recherche dans le domaine des mangas ? Je pense personnellement que certains auteurs comme Osamu Tezuka, Riyôko Ikeda, Moto Hagio, Ikki Kawajira & Tetsuya Chiba, Katsuhiro Ôtomo, Masamune Shirow, Hirohiko Araki, ou encore Kentarô Miura mériteraient d’être beaucoup plus étudiés…

Bien sûr ! C’est très important de réfléchir sur l’art, y-compris sur le manga. Le manga a été présenté en France comme du divertissement pur, et il est trop souvent vu uniquement ainsi. Au Japon aussi, il y a encore un blocage intellectuel à l’étude des mangas.

À cette liste, je rajouterais bien Kazuo Umezu. C’est un spécialiste du manga d’horreur, mais son œuvre va bien au-delà de ça. C’est un univers très étrange où, pour le coup, les catégories morales ont très peu de mal à exister. C’est un monde nihiliste, avec un nihilisme très désespéré. Cela rend les histoires d’Umezu très fortes et très angoissantes.

Il a commencé dans les années 1950 et a fait l’essentiel de sa carrière dans les années 1970, mais il a repris il y a quelques années après une période de pause, avec deux ou trois nouvelles séries. Par exemple, La main gauche de Dieu. La main droite du diable, qui paraît en ce moment aux éditions Lézard noir. Là encore, il y a un sentiment de malaise à la lecture que l’on ne trouverait pas chez quelqu’un d’autre. Et une véritable interrogation angoissée sur la réalité morale des choses.

Dessin d'une jeune fille en robe rouge, ç la peau blanche et à l'expression figée, qui semble prise au piège dans une toile d'araignée.
© Kazuo Umezu, 1968. Tous droits réservés. Description : Image de couverture de La maison aux insectes, publié en France aux éditions Lézard Noir.

Quels sont vos mangas préférés ? Quelles lectures nous recommanderiez-vous ?

Tout dépend du public à qui on s’adresse… Si c’est pour un public adolescent, je ne peux évidemment pas recommander du seinen. Je suis souvent étonné que certaines médiathèques ou certains journaux recommandent L’Attaque des Titans aux enfants de 9-10 ans ! Je trouve ça beaucoup trop tôt. Bien sûr, je trouve cette œuvre très forte et je l’ai beaucoup aimée. Je l’ai trouvée un peu répétitive, aussi, comme tout manga commercial. Mais les grands axes de cette histoire sont très forts. Et l’angoisse aussi est très bien rendue. Mais L’Attaque des Titans, au Japon, est un « young adult », pas un shônen !

Du coup, pour les plus jeunes, je recommanderais plutôt les grands shônen commerciaux comme Naruto et One Piece. Ils sont généralement très bien faits, quoique bien trop longs et répétitifs, style feuilletonesque oblige. Dans One Piece, il y a une volonté de sans cesse élargir l’univers. C’est typiquement un « truc » de feuilletoniste ! Mais cela est logique puisque les mangas sont pensés à l’origine pour paraître en feuilleton dans des magazines, plus que pour être vendus en livres.

En seinen, je recommanderais bien sûr Tezuka qui reste un auteur toujours étonnant. Sauf dans sa période shônen qui est sa période initiale. Mais à partir des années 1960-1970, tout est bon à prendre dans Tezuka.

Comme je le disais, j’ai aussi une grande passion pour Umezu qui est vraiment un auteur stupéfiant. Bien que, parfois, il se laisse aller à une horreur un peu trop gore juste pour choquer le public, ce que je trouve moins intéressant. Mais lorsqu’il reste dans son ambiance de malaise sociologique et émotionnel avec un peu d’horreur mais pas trop, c’est là qu’il est le meilleur.

Un mot pour nos lecteurs·ices ?

Lisez du manga. Ne lisez pas que du manga. Lisez tout ce que vous trouverez !

Merci à Fabien Tillon pour cette interview !

Retrouvez Culture Manga et les autres ouvrages de Fabien Tillon sur le site de Nouveau Monde éditions.

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Umeboshi : prune japonaise séchée et amer

Rédigé par Umeboshi

Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.

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