Ce n’était peut-être pas le but initial des scénaristes… Mais certains méchants Disney sont aujourd’hui adorés du public ! Maléfique, Scar, ou encore la Méchante Reine, sont de véritables icônes. Dans La Belle au Bois Dormant et Le Bossu de Notre-Dame, ce sont carrément les méchants (en l’occurrence, Maléfique et Claude Frollo) qui portent le film et volent la vedette aux héros ! Comment les studios américains réagissent-ils à cet engouement pour les villains ?
Ne serait-ce que sur le plan esthétique, les méchants Disney possèdent une identité visuelle forte. Ils ont des formes triangulaires, qui rappellent les panneaux de signalisation évoquant le danger. Et des silhouettes allongées. Leurs couleurs sont le rouge (Reine de Cœur, Capitaine Crochet, Prince Jean, Jafar, Gaston, Gothel), le vert (Maléfique) et le violet (Méchante Reine, Ursula, Frollo, Facilier). Le rouge pour le danger ; le vert pour les potions et les poisons. Le violet, couleur gothique et mystique, évoque la noblesse et les élites religieuses.
Cette identité visuelle des méchants n’est pas propre à Disney. Elle existe aussi dans les comics, les comédies musicales et dans tout le cinéma occidental. Le vert et le violet sont les couleurs du Joker dans Batman. Le vert est également la couleur de Serpentard dans Harry Potter. Et celle de la Méchante Sorcière de l’Ouest dans les films sur Le Magicien d’Oz / Wicked. Le casque de Dark Vador dans Star Wars a des formes triangulaires. Et Javert a troqué son haut de forme pour un tricorne dans les films anglo-saxons sur Les Misérables, comme dans la comédie musicale.
Ainsi, les méchants ont développé une esthétique qui fascine les adolescents et jeunes adultes amateurs de gothique. Les studios Disney se sont bien rendu compte de ce phénomène et ont décidé d’en profiter…
Quelle est la place des méchants dans la pop culture aujourd’hui ?
1/ Une revalorisation des méchants Disney populaires
La réhabilitation de Maléfique et Cruella dans des films live-action :

Dans les années 2010, on a vu éclore les premiers films live-action sur Maléfique, qui présentaient une version plus gentille du personnage. Ils ont été suivis ensuite par un live-action sur Cruella, de moindre qualité.
Dans les deux cas, l’idée est la même : « Et si la méchante n’était pas si méchante ? Si elle était en réalité l’héroïne ? ». Pour les studios Disney, il était aussi question de trouver des personnages féministes à mettre en valeur. Alors que les princesses Disney traditionnelles devenaient trop passives et trop niaises pour le public moderne, les méchantes se démarquaient au contraire par des rôles actifs et des personnalités plus marquées, ainsi qu’une popularité constante auprès des spectateurs.
On peut cependant s’interroger sur cette volonté de transformer systématiquement les « méchantes » en « gentilles »… N’est-ce pas changer fondamentalement ces personnages et leur ôter leur côté subversif ?
Si le premier live-action sur Maléfique avait été plutôt bien accueilli par le public, celui sur Cruella a été très critiqué…
Il semble en effet que les studios Disney aient mal interprété la volonté du public. Les fans aiment les méchants parce qu’ils sont méchants ! Transformer un méchant en héros, c’est édulcorer son personnage. Lui rajouter une origin story tragique qui n’était pas initialement prévue par le scénario, c’est changer un « méchant diabolique » en « méchant victime de la société ». Or, ce sont deux sortes d’antagonistes très différents et cela modifie considérablement le sens de l’histoire, la rendant parfois illogique.
Certes, ces live-action sont une réponse aux critiques concernant le manichéisme de Disney. Mais, si les spectateurs n’aimaient pas le ton bêtement moralisateur des anciens Disney, cela ne signifiait pas qu’ils voulaient qu’on transforme les méchants en personnages mièvres et sans saveur…
Le jeu vidéo Twisted Wonderland, inspiré par l’univers des méchants Disney :
Autre signe de la popularité des méchants Disney : le jeu vidéo Twisted Wonderland, dont le character design est réalisé par Yana Toboso, l’autrice de Black Butler. Yana Toboso est la spécialiste actuelle du manga gothique. Elle se distingue notamment par son sens de la mode et les superbes vêtements qu’elle dessine pour ses personnages. Le jeu, qui se déroule dans une école, met donc en scène des personnages kawaii gothic au style vestimentaire inspiré par les méchants Disney.

Partenariat étonnant entre l’entreprise Disney plutôt puritaine et la reine japonaise du gothique, le jeu Twisted Wonderland n’en est pas moins une réussite. Certes, il brille davantage par son esthétique que par son scénario. Mais il est la preuve que les méchants Disney sont devenus aujourd’hui des icônes de la pop culture gothique. Y-compris dans le domaine de la mode.

Les produits dérivés :
À cela, on peut ajouter toute une gamme de produits dérivés à l’effigie des méchants Disney (vêtements, sacs, etc.) vendus dans les Disney stores et promus en particulier au mois d’Halloween ! Il s’agit plus souvent de vêtements et d’accessoires que de jouets, preuve que les méchants Disney plaisent surtout à un public adolescent et adulte. Les enfants préfèrent toujours les princesses et les héros.
L’évolution du public a donc joué un rôle dans la revalorisation des méchants Disney. Autrefois, on considérait que les dessins animés n’étaient que pour les enfants. Mais, depuis que les adultes regardent des films d’animation, ils s’intéressent davantage aux méchants, qui sont des personnages plus matures.

2/ Une raréfaction des méchants dans le cinéma américain
La disparition des méchants dans les nouveaux films Disney :
Paradoxalement à cette montée de la popularité des méchants Disney traditionnels, les studios Disney peinent aujourd’hui à produire de nouveaux méchants iconiques. Depuis Facilier dans La Princesse et la grenouille en 2009, il n’y a pas eu de nouveau méchant véritablement marquant.
Peut-être parce que les studios Disney se sont vu reprocher leur manichéisme, ils ont adopté d’une part la stratégie d’adoucir les méchants traditionnels ; et, de l’autre, celle de produire de nouveaux films sans véritable méchant (comme Vaïana), ou avec des méchants très anecdotiques.
L’idée des films « sans méchant » est inspirée des Ghibli, les films d’animations de Miyazaki, qui possèdent des histoires complexes où chaque camp a ses raisons. Et qui ont souvent une morale sur l’écologie : la nature semble parfois hostile, mais elle est également merveilleuse et fragile. Ce sont ces films que Vaïana imite.
Le problème est que les studios Disney sont incapables d’imiter correctement ce modèle de scénario. Tout d’abord parce que ce n’est pas leur style habituel ni leur marque de fabrique. Ils sont au contraire célèbres pour leurs méchants diaboliques. Ensuite parce que les histoires de Disney sont trop simplistes et pas assez poétiques pour ce style de scénario. Enfin, parce que ce n’est pas sincère. Miyazaki a un réel engagement écologique et une réflexion sur la nature. Les studios Disney recherchent simplement le profit économique.
D’autres films, comme La Reine des Neiges avec le prince Hans, emploient plutôt la technique « il ne faut pas que le public devine dès le début qui est le méchant ». C’est original, mais cela donne forcément des méchants plus discrets et moins diaboliques qu’auparavant. Dans La Reine des Neiges, Elsa devait initialement devenir la méchante, ce qui aurait été plus proche du conte original. Mais ce scénario a été abandonné au profit d’une histoire plus gentille.
Le résultat de tout cela est une sensation de vide et une nostalgie du public pour les anciens méchants Disney.
Chez DC, le fiasco des films Joker :

Du côté de DC, on peut prendre l’exemple des deux films Joker en 2019 et 2024. Le premier film proposait un Joker intéressant, un personnage qui incarnait une véritable critique sociale. Mais ce film a fait polémique aux États-Unis, où il a été accusé de justifier des crimes et d’encourager la violence.
Tant et si bien que le second film a fait complètement marche-arrière et ressemble plus à un film d’excuse, qui vous répète pendant 2h20 : « Le Joker n’est pas un leader révolutionnaire. C’est juste un taré, un pauvre type. Ne le voyez pas comme un modèle, surtout. Ce n’est pas bien. »
Cette réaction est non seulement ridicule, mais aussi assez inquiétante. Une société où l’on censure les méchants n’est pas une société saine. En particulier quand ces méchants représentent une critique sociale.
3/ Le relativisme dans les mangas & anime japonais

Les mangas japonais ont toujours été moins manichéens que les films américains. Mais dans les années 2000 s’est développée une mode du relativisme total. Voire d’une morale carrément cynique.
On trouve des héros comme Light Yagami (Death Note) ou Eren Jaeger (L’Attaque des Titans) qui se révèlent être en réalité les grands méchants de l’histoire. Des personnages motivés par de grands idéaux (la Paix, la Justice, la Liberté…) et qui se retrouvent à faire le mal sans s’en rendre compte. Ou encore l’idée que, finalement, ce qui est considéré comme un bien par une partie de l’humanité fait du mal à l’autre moitié. Donc qu’il n’y a pas de solution et que les personnages sont tous des coupables.
Cette morale pessimiste a été analysée par le journaliste BD Fabien Tillon (voir son interview) comme un symptôme révélateur d’une société japonaise déboussolée, toujours traumatisée par son passé impérialiste et en plein questionnement sur ses valeurs.
Cette mode, cependant, ne concerne qu’une partie des mangas shônen et young adults. Beaucoup de mangas, comme Demon Slayer, gardent au contraire des histoires très gentilles et des héros vertueux.
Morale de l’histoire :
Le bilan n’est pas très positif… Du côté occidental, les méchants sont de plus en plus édulcorés, simplifiés, voire censurés. Mais cela va de paire avec une simplification globale des scénarios, un manque d’innovation et une phase de puritanisme dans le cinéma américain.
Quelques exemples suffisent à mesurer cette déchéance entre les années 1990 et 2010/2020…
Scar dans Le Roi Lion en 1994, c’était l’un des meilleurs méchants Disney de tous les temps, avec peut-être Maléfique et Frollo. Scar dans le live-action de 2019, c’est un vieux lion croulant et on a abrégé sa chanson « Be prepared », qui est pourtant iconique ! Catwoman (Michelle Pfeiffer) crevait l’écran dans Batman Returns, réalisé par Tim Burton en 1992. Catwoman (Zoë Kravitz) dans le Batman de 2021 était très gentille et très oubliable. Lorsque les Américains ont adapté Les Misérables en 1998, le scénario était catastrophique mais au moins Javert (Geoffrey Rush) avait de la prestance ! Lorsqu’ils ont adapté la comédie musicale en 2012, leur Javert (Russel Crowe) ressemblait à un militaire, était mal rasé et chantait faux…



Ce sont trois exemples parmi tant d’autres… Certes, les films modernes cherchent à se distinguer des précédents par ce qu’ils appellent « une esthétique plus sobre ». Mais c’est une erreur ! On dirait que les antagonistes n’ont même plus le droit d’avoir du charisme et de la prestance. Où est passé le temps où ils étaient des stars ?
Dans un film américain, le méchant est le deuxième personnage le plus important, juste après le héros. Il symbolise l’obstacle à surmonter et il pose au héros un débat moral en mettant à l’épreuve ses valeurs. Donc si le méchant est nul, où est l’intérêt ? Rabaisser les antagonistes, n’est-ce pas imposer la morale du film en étouffant toute contestation ? Nos sociétés ne sont-elles plus capables de traiter leurs ennemis avec respect ? En réalité, les meilleures histoires sont celles où le méchant parvient un instant à faire douter, séduire ou émouvoir. Il faut faire un peu confiance au jugement du public, plutôt que de lui assener brutalement une morale.
Merci d’avoir lu cet article ! Nous vous invitons à rejoindre la communauté des étoilé.e.s en participant à notre groupe Facebook « La Galaxie de la Pop-culture ». N’hésitez pas à nous suivre sur tous nos réseaux !

Rédigé par Umeboshi
Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.
Laisser un commentaire