Les monstres gothiques : vous croyez bien les connaître… Mais êtes-vous certains de savoir d’où ils viennent, et comment ils sont arrivés jusqu’à nous ??
On a déjà constitué un dossier sur l’origine des monstres & créatures fantastiques dans Harry Potter. (Loups-garous, gobelins, centaures, licornes, etc.) Puis sur l’origine des vampires… Continuons notre étude de la faune gothique !
On vous décrypte ici l’origine de quelques-uns des monstres gothiques les plus célèbres : le monstre de Frankenstein, les zombies, la sorcière, ou encore le prêtre diabolique. Ainsi que leur héritage dans la pop culture…
Le monstre de Frankenstein
Frankenstein ou le Prométhée moderne : le savant fou et sa créature… Il s’agit d’un texte fondateur en matière d’horreur scientifique. Mais connaissez-vous l’histoire de ce roman ?
Origines :
Tout d’abord, je tiens à repréciser que Frankenstein n’est pas le nom du monstre, mais du savant qui l’a créé ! Le monstre lui-même n’a pas de nom. C’est pourquoi on l’appelle « le monstre de Frankenstein », tandis que le Docteur Frankenstein est quant à lui comparé à « un Prométhée moderne » dans le sous-titre de l’œuvre originelle.
Il tire en réalité son nom de Prométhée, le titan de la mythologie grecque qui a conçu les hommes avec de la glaise, pour ensuite leur apporter du feu qu’il avait volé aux Dieux. Comme éternelle damnation, il se fait enchaîner à un rocher dans les Enfers. Chaque jour, un vautour vient dévorer son foie qui repousse ad vitam aeternam.
Les récits les plus célèbres le concernant proviennent de La Théogonie, et les Travaux et les Jours d’Hésiode, du Prométhée enchaîné d’Eschyle, ou du court texte Prométhée ou le Caucase de Lucien. Prométhée y est décrit comme un rival des Dieux, donnant la vie aux Hommes, et leur apportant le feu sacré divin.
C’est l’une des légendes qui permet le mieux d’exprimer le concept d’hybris (ὕϐρις), ou le sentiment violent d’arrogance et de passion qui conduisent à se croire l’égal des Dieux. Ce mythe a été plusieurs fois réécrit, mais il trouvera son apogée au XIXème siècle, grâce Mary Shelley et son roman Frankenstein ou le Prométhée moderne.
Frankenstein ou le Prométhée moderne, a été conçu le même jour que la nouvelle Le Vampyre, dans le cadre du concours organisé par Lord Byron. Étant donné qu’il était difficile pour une femme de se faire publier (et plus encore pour une femme qui écrit de l’horreur scientifique plutôt que de la romance !), Mary Shelley publie initialement le roman sous le nom de son mari, le poète Percy Shelley.
L’idée de donner vie à un corps constitué de morceaux de cadavres semble être inspiré des expériences de galvanismes, qui étaient très populaires à l’époque et donnaient même lieu à des spectacles. Mary Shelley avait aussi perdu un enfant peu de temps auparavant, ce qui lui aurait inspiré le thème de faire revenir des cadavres à la vie.
Évolution et symbolique :
Frankenstein ne créé pas un monstre, mais deux : la créature humanoïde incomplète et le savant fou qui se prend pour Dieu. Le monstre devient mauvais car il a été rejeté par son créateur et ne sait pas pourquoi il existe.
Le savant qui défie les limites de la science et doit en payer le prix est bien sûr inspiré du mythe de Faust. Mais ce thème est toujours d’actualité aujourd’hui car il fait écho à toutes les craintes concernant l’évolution de la science et de la technologie. Avec les avancées scientifiques concernant le clonage et les robots humanoïdes, le mythe de Frankenstein est plus vivant que jamais.
Le monstre de Frankenstein aujourd’hui :
Sans avoir toujours de lien direct avec le roman original, toutes les histoires qui traitent d’expériences scientifiques lesquelles donnent naissance à un monstre renvoient indirectement à ce mythe. Frankenstein a donc probablement connu une postérité plus importante dans la science-fiction que dans le gothique ! Dans la pop culture, l’exemple le plus connu de monstre créé par une expérience est certainement Godzilla, qui symbolise la bombe atomique. En film d’animation, je peux également vous conseiller Frankenweenie de Tim Burton : une parodie du roman destinée au jeune public, dans laquelle un petit garçon utilise le galvanisme pour redonner vie à son chien bien-aimé.
Les zombies
Le thème des morts-vivants apparaît déjà avec les vampires et le monstre de Frankenstein. Mais les zombies sont un troisième type de morts-vivants qui n’a pas d’origine dans la littérature et se développe plutôt dans le cinéma.
Origines :
Le terme « zombie » vient du créole haïtien « zonbi ». Il désigne à l’origine un mort-vivant dépourvu de conscience et contrôlé par un sorcier vaudou. Des prêtres vaudou prétendaient en effet pouvoir faire revenir les morts. En réalité, ils administraient des drogues capables de plonger des individus dans un état de catalepsie semblable à la mort, avant de les « ressusciter » pour continuer ensuite à les contrôler à l’aide de drogues. Contrairement aux zombies qu’ont peut voir dans les films, les « zombies » haïtiens n’avaient donc pas une apparence monstrueuse et ne pouvaient être distingués des « vivants ».
Le terme se popularise ensuite aux États-Unis et le zombie moderne apparaît ainsi dans le cinéma d’horreur américain et italien des années 1970, notamment les films de George A. Romero. Ce sont ces films qui leur donnent l’apparence grotesque et effrayante qu’ils ont aujourd’hui. L’un des plus célèbres est Zombie, le crépuscule des morts-vivants où les zombies sont utilisés pour dénoncer la société de consommation.
Évolution et symbolique :
Les zombies sont des monstres modernes. Contrairement à Dracula ou au monstre de Frankenstein, les zombies n’ont pas d’individualité et sont toujours désignés au pluriel. C’est une masse semblable à un troupeau de moutons. Dans Zombie, le crépuscule des morts-vivants, ils symbolisent des consommateurs inexorablement attirés par un centre commercial sans savoir pourquoi.
De manière plus générale, les zombies représentent l’aliénation et l’uniformisation des individus dans la société moderne. Ils servent à dénoncer aussi bien la société de consommation que la manipulation par les médias, le conformisme, ou encore l’abrutissement des salariés par la routine. Ils sont donc l’exact opposé de monstres charismatiques comme le vampire qui est généralement excentrique, en-dehors de la société et qui se considère comme un élu. Les zombies, eux, sont fondus dans une masse anonyme.
Les zombies aujourd’hui :
De nos jours, la série de zombies la plus populaire est probablement The Walking Dead. Comme film, on peut vous conseiller l’excellent thriller coréen Dernier Train pour Busan.
En raison de leurs scénarios de type « jeu de survie », les histoires de zombies s’adaptent aussi très bien en jeux vidéo, jeux de rôles et jeux de plateau. Enfin, dans la littérature d’horreur moderne, on peut citer le roman Simetierre de Stephen King, qui met en scène un chat zombie !
La sorcière
Guérisseuse, séductrice, empoisonneuse ou servante du diable… Qui est vraiment la sorcière, femme aux multiples visages ?
Origines :
Les sorcières ont toujours existé : Circé, Médée, Morgane, la fée Maléfique, Baba Yaga… Elles sont présentes dans les grands mythes, les légendes et les contes du monde entier. Comme recueil sur les histoires de sorcières à travers le monde, je peux vous conseiller l’encyclopédie Les Sorcières de Cécile Roumiguière (2022), illustré par Benjamin Lacombe.
Évolution et symbolique :
À l’origine, il s’agit d’une invention misogyne : on accusait de sorcellerie les guérisseuses qui connaissaient les plantes et la médecine. Le plus souvent, ce sont aussi les femmes qui pratiquaient clandestinement les avortements, et qui vivaient en-dehors de la société et de ses codes, que l’on accusait de sorcellerie. Ou bien, c’était les femmes séduisantes « d’ensorceler » les honnêtes gens. De nos jours, la sorcière est plutôt un symbole féministe : c’est une femme libre et indépendante, savante et intelligente.
La sorcière aujourd’hui :
La première sorcière bienveillante mise en scène au cinéma serait Glinda, personnage du Magicien d’Oz réalisé par Victor Fleming en 1939. Les sorcières, comme les vampires, sont des personnages charismatiques très appréciés du public, et tendent à devenir de plus en plus bienveillantes dans les œuvres modernes.
Comme sorcière célèbre dans la pop culture, Cécile Roumiguière cite bien sûr Hermione Granger. Mais l’on pourrait en citer d’autres : Piper, Phoebe, Prue et Paige, les sœurs Halliwell, ou encore Sabrina. On peut aussi penser à Mercredi Addams, qui représente bien la peur que peuvent inspirer les sorcières, pour être différentes ou trop intelligentes.
Le prêtre démoniaque
Le serviteur du Bien qui sombre dans la démence… Le prêtre démoniaque incarne le mythe de l’ange déchu. Il est une antithèse vivante !
Origines :
Le premier prêtre démoniaque dans la Littérature est Ambrosio, « le Moine » de Lewis. Publié en 1796, Le Moine est l’un des premiers romans gothiques. Il met en scène un moine présenté comme un modèle de vertu, qui est séduit par une démone nommée Mathilda, puis tombe sous le charme d’une jeune fille innocente, Antonia, qu’il entreprend alors de séduire à tout prix. A la fin de l’histoire, après s’être rendu coupable de d’inceste, de meurtre et de viol, il est précipité du haut d’une montagne par Satan en personne. Au cours du roman, on croise également des religieuses qui séquestrent et torturent une femme dans un couvent.
Le roman Le Moine inspira bien sûr Victor Hugo pour le personnage de Frollo dans Notre-Dame de Paris, qui devient le deuxième prêtre démoniaque célèbre dans la littérature. L’archidiacre Claude Frollo de Tirechappe est un mélange d’Ambrosio et de Faust : c’est un prêtre rendu fou par la passion amoureuse, mais aussi un sorcier et un alchimiste fasciné par la quête de la pierre philosophale.
Victor Hugo est le chef de file du romantisme français, un mouvement littéraire dont le principe réside dans l’antithèse, le mélange des registres et les contrastes. L’idée du prêtre (serviteur de Dieu et donc du Bien) qui devient malgré lui un démon l’intéresse justement pour l’incompatibilité fondamentale entre ces deux éléments et pour la réunion des contraires au sein d’un même personnage. Le personnage symbolise ainsi la lutte permanente entre le Bien et le Mal.
Évolution et symbolique :
Lewis est anglais, et donc anglican. Son roman, qu’il situe en Espagne, présente une vision péjorative du catholicisme qui est à l’époque encore associé à l’Inquisition et à l’hypocrisie. Beaucoup de hauts dignitaires catholiques sont très riches et leur conduite contraste avec l’austérité prônée par la religion, comme le célèbre pape Borgia lequel donna une inspiration littéraire et cinématographique prolifique. Victor Hugo, qui était croyant mais anticlérical, critique l’institution et les dogmes de l’Église à travers ce personnage.
Le méchant prêtre est un personnage sans doute moins intéressant aujourd’hui, en raison de la sécularisation des sociétés. Il est aussi difficilement exportable à l’étranger, dans des pays qui n’ont pas connu l’emprise de l’Église. Mais c’est un personnage qui symbolise l’hypocrisie en général, pas seulement religieuse, ainsi que la lutte interne entre le Bien et le Mal. Il peut donc encore être populaire aujourd’hui.
Enfin, si les deux premiers prêtres démoniaques étaient surtout motivés par la passion amoureuse, les méchants prêtres modernes sont plus souvent des ambitieux, attirés par le pouvoir ou par l’argent. La série BTe Borgias, qui a préfiguré l’avènement de Game of Thrones, est d’ailleurs davantage centrée sur les déboires politiques et la luxure, que sur les passions amoureuses de ces célèbres protagonistes.
Le prêtre diabolique aujourd’hui :
Le plus célèbre reste Claude Frollo, qui est réinterprété par Disney dans Le Bossu de Notre-Dame. Le film d’animation supprime toute sa sorcellerie originelle, ce que je trouve dommage. Il présente aussi Frollo comme plus hypocrite et moins tourmenté, puisqu’il est méchant depuis le début. Enfin, le film supprime le personnage de Jehan, le petit frère adoré de Frollo, qui meurt finalement par sa faute.
Ce film mise donc tout sur le côté hypocrite du personnage et sur la passion amoureuse. Mais, bien qu’il soit moins complexe que dans le roman d’origine, Frollo reste l’un des méchants Disney les plus charismatiques. Sa chanson « Hellfire » est très célèbre et assez proche de l’esprit du livre :
Autre exemple de personnage tiraillé entre le Bien et le Mal : le Grand Pope dans le manga Saint Seiya (Les Chevaliers du Zodiaque) de Masami Kurumada, qui possède littéralement un côté angélique et un côté démoniaque.
Enfin, les religieuses démoniaques présentes dans Le Moine trouvent un écho dans des films d’horreur comme La Nonne.
Le clown tragique / Le Joker
Là encore, l’inspiration est à chercher du côté de Victor Hugo ! Cette fois avec le roman L’homme qui rit…
Très inspiré par le baroque de Shakespeare, Victor Hugo s’intéresse très tôt aux personnages de bouffons et de saltimbanques, parfois cyniques, qui tournent en dérision et critiquent les puissants. On trouve ainsi quatre bouffons dans sa pièce de théâtre Cromwell, puis le célèbre Triboulet dans la pièce Le roi s’amuse. (Qui inspirera Verdi pour l’opéra Rigoletto.) Dans son roman médiéval Notre-Dame de Paris, il décrit la fête des fous, au cours de laquelle le difforme Quasimodo est élu pour un jour Pape des fous.
Toujours fasciné par les contrastes, Victor Hugo travaille aussi à travers ces œuvres sur le concept du clown tragique : l’homme destiné à faire rire et que personne ne prend au sérieux, qui est en réalité sombre et malheureux.
C’est là le drame de Triboulet dans la pièce Le roi s’amuse et de Quasimodo (qui fait rire par sa difformité) dans Notre-Dame de Paris en 1831. Puis de Gwynplaine dans L’homme qui rit en 1869 : un enfant qui a été défiguré par un sourire artificiel taillé au couteau, pour servir de monstre de foire en ayant l’air de rire constamment. Devenu jeune homme, Gwynplaine découvre qu’il a des origines nobles et tente de reprendre son rang dans la société. Mais il échoue à cause de son visage qui empêche ses pairs de le prendre au sérieux. L’Homme qui rit est, avec Notre-Dame de Paris, le deuxième roman néo-gothique de Victor Hugo.
L’héritage de L’homme qui rit dans la pop culture :
Ce personnage est lié à l’univers du cirque, de la foire, ou encore de la fête foraine, qui est devenu un décor typique des romans, films et mangas gothiques. Ce décor comme ce personnage permettent de créer instantanément un sentiment de malaise, avec l’idée perturbante qu’un lieu ou un personnage par nature joyeux ne l’est pas vraiment. Ils renvoient à l’idée de la fausseté et des apparences trompeuses. Le sourire faux peut aussi paraître cruel, et a un effet particulièrement effrayant.
Ainsi, si Gwynplaine ou Quasimodo étaient initialement très gentils, le personnage inquiétant du clown tragique devient de plus en plus méchant et monstrueux dans les œuvres modernes.
Le clown tragique dans la pop culture :
L’exemple le plus connu de personnage inspiré de Gwynplaine, est bien sûr le Joker dans Batman, qui a différentes backstories selon les versions. Le film le plus récent, Joker (2019) avec Joaquin Phoenix, reprend directement l’idée de l’opposition tragique entre la vocation de faire rire et la vie en réalité très sombre du personnage. La version « horreur » du clown tragique est bien sûr le clown terrifiant, avec Ça de Stephen King !
Conclusion
Les monstres gothiques dans la pop culture aujourd’hui…
Les monstres gothiques continuent d’inspirer la pop culture, que ce soit dans des films, séries, jeux vidéos, mangas ou comics. Ils sont plus populaires que jamais. Popularisés par Hollywood, on les retrouve aujourd’hui jusque dans des dessins animés et jouets pour enfants, comme Scooby-Doo (qui parodie souvent des films d’horreur célèbres) ou Monster High (les monstres glamours).
Si les monstres gothiques continuent aujourd’hui de fasciner, c’est qu’ils incarnent des interrogations, des désirs et des peurs qui sont toujours d’actualité. S’ils prennent différentes formes selon les époques, c’est qu’ils évoluent en reflétant nos sociétés.
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Bibliographie :
Romans
ESCHYLE (trad. Pascal Arbeille), Prométhée enchaîné, Syllepse, coll. « Côté Cour », Janvier 1998, 96p.
HUGO Victor, Notre-Dame de Paris (1831), Paris, Le livre de poche, 2019.
HESIODE (trad. Paul Mazon), Théogonie, Les Travaux et les Jours, Le Bouclier, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des universités de France », 1960, 158 p. (ISBN 978-2-251-00152-4)
LEWIS Matthew Gregory, The Monk (1796), Oxford, Oxford University Press, 2016.
LUCIEN, Oeuvres tome III : Opuscules 21-25, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection universités de France Série grecque », Édité par Jacques Bompaire, 2003.
SHELLEY Marie, Frankenstein or The Modern Prometheus (1818), Londres, Penguin Classics, 1992.
Ouvrages théoriques / Anthologies
BEHRA Lionel, CALLICO Vanessa, SENYPHINE, Encyclopédie des Revenants et des Non-Morts. Fantômes, Vampires et Zombies, Samoreau, Le Héron d’Argent, 2022.
COLLIN DE PLANCY Jacques-Albin-Simon, Dictionnaire infernal : répertoire universel des êtres, des personnages, des livres qui tiennent aux esprits, aux démons, Paris, H. Plon, 1863. Disponible sur : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5754923d/f2.item>
ROUMIGUIERE Cécile, LACOMBE Benjamin, Les Sorcières, Paris, Albin Michel, 2022.
Rédigé par Umeboshi
Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.
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