La saison finale d’Arcane est sortie il y a quelques semaines, révélant un nouveau chef d’œuvre du studio français Fortiche Production qui avait déjà remporté 9 Annie Awards et 4 Primetime Emmy Awards en 2022 avec la première saison ! La France peut-elle surpasser les États-Unis et le Japon en matière d’animation ? Analyse de ce succès…
Arcane : des visuels bluffants, une ambiance rock et un mélange 2D/3D réussi !
Adaptation du jeu vidéo League of Legends, le scénario d’Arcane est l’alliance parfaite entre intrigues politiques façon « prélogie Star Wars« , Révolution, univers steampunk et conflit entre sœurs. Mais surtout, Arcane se distingue par ses efforts et son originalité sur le plan artistique. Chaque image, chaque plan de la série est une œuvre d’art. Les combats sont particulièrement spectaculaires, sublimés par des musiques rock & metal (mention spéciale à la chanson d’opening, “Enemy” d’Imagine Dragons. Et –même si ce n’est pas du rock– à “Ma meilleure ennemie” de Stromae et Pomme, pour une scène romantique de la saison 2 !)
Dans leurs interviews, les réalisateurs de la saison 1 Pascal Charrue et Arnaud Delord disent miser énormément sur l’aspect artistique plutôt que rechercher à tout prix la prouesse technologique. Ils mélangent ainsi 2D et 3D, techniques d’animation traditionnelles et modernes, pour créer une œuvre intemporelle, qui soit aussi mémorable que les premiers films d’animation Disney.
CGI VS 2D…
Un des problèmes majeurs du cinéma d’animation et de la CGI (le 3D) est en effet celle de l’obsolescence précoce. Comme les technologies évoluent très vite, les films qui recherchent uniquement l’innovation technique deviennent rapidement obsolètes. Pensez par exemple à cet (horrible !) remake live-action du Roi Lion que Disney nous a vendu comme une prouesse de CGI et où les lions paraissaient empaillés… Ou à l’anime Berserk de 2016 : l’un des rares anime japonais à avoir fait l’expérience de passer entièrement au 3D, et aujourd’hui, considéré comme l’un des plus hideux. Autre exemple : Jar Jar Binks est le tout premier personnage entièrement CGI intégré dans un film, et cela ne le rend pas plus populaire !
On le sait aujourd’hui : le meilleur film ou la meilleure série d’animation n’est pas forcément celui ou celle qui a les dernières technologie ou le meilleur budget… L’important est surtout de savoir comment utiliser ces outils et les combiner avec d’autres techniques.
Paradoxalement, des techniques d’animation considérées comme vieilles et souvent décriées permettent parfois de plus beaux effets artistiques. Les vieux anime japonais comme La Rose de Versaille (Lady Oscar) ou Saint Seiya (Les Chevaliers du Zodiaque) de la Toei Animation utilisaient beaucoup de plans figés et de fonds peints, pour des raisons évidentes de manque de budget. Mais, si ces anime sont encore regardés et appréciés aujourd’hui, c’est qu’ils compensaient ces lacunes par un véritable travail artistique. Les plans figés leur donnaient un rythme lent et poétique, sublimé par des musique lyriques. Ils jouaient également sur la dimension dramatique, en changeant par exemple la couleur de l’image selon les émotions des personnages. Cette technique des « couleurs dramatiques » est reprise aujourd’hui dans des anime plus modernes, comme JoJo’s Bizarre Adventure de David Production où elle a connu un certain succès.
Dernièrement, les studios Disney ont décidé de produire leurs films d’animation uniquement en 3D. Si certains studios comme Pixar ont réussi à faire du 3D leur marque de fabrique, cette décision a été beaucoup critiquée chez Disney qui était célèbre pour son animation 2D.
Actuellement, les plus belles œuvres d’animation sont celles qui, comme Arcane de Fortiche Production en France ou Demon Slayer d’Ufotable au Japon, mélangent habilement 2D et 3D pour créer des effets artistiques intelligents. Si les personnages d’Arcane sont en 3D, beaucoup d’effets visuels et d’éléments du décor sont en 2D.
Miser sur la qualité artistique d’une œuvre est également une assurance contre les dangers de l’IA. Car cette dernière permet de faire gagner du temps sur le plan technique mais ne peut remplacer la créativité et le talent des artistes.
Une demande croissante pour des films et séries d’animation plus matures
Le succès d’Arcane révèle une véritable demande pour des scénarios plus complexes et des films/séries d’animation visant les adultes et les adolescents. Ce mouvement a été initié dans les années 1990, avec notamment les films de Satoshi Kon au Japon : Perfect Blue -qui a inspiré le film américain Black Swan-, Millenium Actress, Paprika… Des films d’animation à l’atmosphère sombre et aux designs matures, porteurs d’une réflexion complexe sur le cinéma, l’art et l’illusion.
Pascal Charrue et Arnaud Delord disent également vouloir, avec Arcane, faire tomber les barrières entre cinéma live-action et cinéma d’animation. Ils s’inspirent par exemple des mises en scènes de films live-action pour proposer des combats plus réalistes et plus violents.
Propulsés par le succès Arcane, les studios Fortiche Production travaillent à présent sur trois spin-offs de la série. Ils préparent également un long-métrage d’animation inspiré de l’Odyssée, Penelope of Sparta, qui sortira au cinéma en 2026.
Vers une légitimation du cinéma d’animation
Longtemps, l’animation a été considérée comme uniquement « pour les enfants ». Mais ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Les jeunes adultes regardent massivement des anime japonais. Certains Disney des années 1990, comme Le Bossu de Notre-Dame, ont un ton plus sombre et plaisent aussi aux adultes. Idem pour Le Prince d’Égypte de DreamWorks.
Avec ses décors et ses couleurs moins réalistes, ses paysages plus fantasmagoriques, sa démesure, l’animation est parfois bien mieux placée que le cinéma live-action pour retranscrire la dimension épique ou l’émotion d’une scène. Pensez par exemple aux hallucinations de Frollo dans Le Bossu de Notre-Dame : elles seraient impossible à retranscrire dans un film réaliste. La littérature romantique s’adapte donc étonnement mieux en animation qu’en live-action.
Aujourd’hui, on préfère le terme « film d’animation » à « dessin animé », jugé enfantin. L’emploi du mot « film » rappelle aussi que l’animation fait pleinement partie du cinéma.
Une synergie avec d’autres champs ?
L’animation n’est pas un champ isolé. Elle entretient des liens avec le cinéma live-action, mais aussi avec le jeu vidéo (Arcane est une adaptation de League of Legends ; l’entreprise française Ubisoft emploie beaucoup d’animateurs et envisage aussi d’adapter en séries d’animation certains de ses jeux), la littérature et la bande dessinée (ce sont des sources inépuisables de scénarios), ou encore l’illustration. Par ailleurs, certains illustrateurs comme Benjamin Lacombe ont un style très proche de l’animation. Benjamin Lacombe a d’ailleurs travaillé dans ce secteur au cours de ses études.
En développant plus de liens avec d’autres arts, par exemple plus d’adaptations littéraires, la France a donc largement la capacité de rayonner en matière d’animation. Parmi ses atouts, on peut aussi noter qu’elle possède la meilleure école d’animation du monde, les Gobelins. Et elle accueille le festival international d’Annecy consacré au cinéma d’animation.
L’émergence de Netflix et autres plateformes : une opportunité pour l’animation française ?
La série Arcane, produite en partenariat avec Riot Games et diffusée par Netflix, a pu connaître un succès mondial et immédiat grâce à cette plateforme. Netflix est une opportunité pour l’animation française car elle peut financer des projets, puis leur accorder une immense visibilité. Fortiche Production, petit studio français quasi-inconnu avant Arcane, a ainsi vécu une ascension fulgurante.
Cependant, la plateforme a aussi ses contraintes, dont certaines sont inquiétantes. Elle ne mise que sur des projets de type “blockbuster” et ne favorise donc pas du tout le cinéma d’auteur. (Les films d’animation de Michel Ocelot, par exemple, y trouvent moins leur place. Ils sont diffusés sur la plateforme française Canal+.) Netflix peut aussi imposer des limites quant au nombre d’épisodes des séries, voire exercer un contrôle sur le scénario. Les plateformes peuvent donc effectivement menacer l’indépendance des artistes, voire la qualité des œuvres.
League of Legends, le jeu vidéo (réputé injouable !) à l’origine d’Arcane :
League of Legends est un MOBA, jeu d’arène multijoueurs. Les joueurs forment des équipes et peuvent choisir d’incarner l’un des 169 champions ! Leur but est toujours le même : détruire le Nexus, le cœur de la base ennemie.
Différences entre le jeu vidéo et la série
Si ce jeu n’avait pas vraiment de scénario, les champions avaient des personnalités, des liens entre eux et possédaient chacun une histoire détaillée : c’est sur ces histoires que se base la série Arcane.
Les scénaristes ont bien sûr sélectionné un petit nombre de personnages principaux. Présenter en 2 saisons 169 personnages aurait été impossible ! Ainsi, certains personnages comme Blitzcrank (un robot construit par Viktor et qui a développé une conscience) n’apparaissent pas dans Arcane. Inversement, certains personnages comme Mél ont été inventés par Arcane et, la série étant désormais considérée comme canonique, devraient prochainement être intégrés au jeu. Singed et le docteur Reveck étaient à l’origine deux personnages distincts.
Les designs des personnages ont beaucoup évolué au fil des différentes versions du jeu. La série s’inspire des designs de la version originale mais invente aussi de nouveaux designs : par exemple, Viktor portait toujours un masque dans le jeu et on ne voyait jamais son visage.
Certains détails d’Arcane ne sont pas expliqués et sont compréhensibles seulement pour les joueurs qui connaissent déjà le lore. Mais, dans ses grande lignes, la série est parfaitement accessible à un public de non-gamers !
Les histoires et les relations des personnages sont globalement fidèles au lore original, tout en étant plus développées. Vi et Caitlyn étaient déjà presque officiellement en couple dans le jeu. Et on suggérait que Vi et Jinx se connaissaient depuis longtemps (elles étaient rivales comme Batman et le Joker), mais sans préciser qu’elles étaient sœurs.
En revanche, le choix des scénaristes de centrer l’histoire sur Vi et Jinx est arbitraire, et dû à la popularité de ces personnages. Ils ont également décidé de situer le jeu dans la double-ville Piltover/Zaun, ce qui était le meilleur choix possible pour une série sur League of Legends. Artistiquement, c’est l’endroit le plus intéressant de Runeterra. En effet, l’univers du jeu vidéo était beaucoup plus vaste et comportait d’autres villes. Et c’est l’occasion de faire de la fantasy steampunk complètement assumée, ce qui est assez rare.
Arcane est l’une des rares adaptations de jeux vidéo à avoir largement conquit le public, au-delà de la fanbase du jeu…
Habituellement, c’est plutôt le contraire : on adapte des films et séries en jeux vidéos. Rares sont les adaptations de jeux capable de proposer un contenu de qualité et de s’émanciper du matériau d’origine. On peut citer le film Super Mario Bross en 2023 mais son succès au box-office est surtout dû au fait qu’il s’agissait d’un film familial, à destination des enfants. Ou encore l’anime Wakfu, à l’animation excellente. Mais son succès grand public a été bien moindre que celui d’Arcane à l’international.
Les jeux vidéos sont difficiles à adapter car ils sont centrés sur l’action et leurs personnages sont souvent des archétypes auxquels il est difficile de donner de la profondeur. Leurs univers déconnectés de la réalité ne sont pas familiers à un public de non-geeks et, parallèlement, l’intrigue peut paraître prévisible à ceux qui ont déjà joué au jeu.
Adapter League of Legends était donc un défi. Avec son scénario sombre et son style visuel plus réaliste que celui du jeu, Arcane l’a brillamment relevé. Les studios Fortiche sont attentifs aux détails et particulièrement doués pour représenter les émotions. Ils donnent ainsi de la profondeur à un scénario qui, développé sur deux saisons seulement et entrecoupé de scènes d’actions, pourrait sans cela paraître superficiel ou trop rapide.
La série a attiré un tout nouveau public et est devenue presque plus célèbre que le jeu d’origine. Elle constitue aussi une brillante publicité pour League of Legends et continue d’attirer de nouveaux joueurs. Elle est considérée comme une œuvre à part entière et non comme un simple produit dérivé du jeu. Sur tous ces plans, c’est une véritable réussite.
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Rédigé par Umeboshi
Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.
Sources :
Interview de Pascal Charrue par Matthieu Pinon « Arcane : Le tour de magie made in France », Animascop N°6 Trimestriel : 62-69.
Interview – Les créateurs du Studio Fortiche dévoilent les secrets derrière la création d’Arcane
Fortiche (Arcane) en interview: projet de long métrage Penelope of Sparta, avenir, avis sur l’IA
INTERVIEW – FORTICHE (ARCANE) : l’avenir du studio, méthode de travail, etc.
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