La série JoJo’s Bizarre Adventure est célèbre pour les combats de stands, une technique qui est apparue dans le manga en cours de route. Il serait donc impossible de parler de JoJo, sans y consacrer au moins un article !.
Au début, en effet, les héros utilisaient une technique d’arts martiaux appelée l’Onde. Mais celle-ci disparaît progressivement à partir de la troisième partie du manga, pour laisser place aux « stands », qui sont présentés comme une matérialisation de l’esprit des personnages.
…Plus concrètement, cela signifie que chaque personnage a un pouvoir personnalisé, qui le représente. (Contrairement à l’Onde qui est une technique commune et qui se transmet de maître à disciple. Même si, dans les faits, l’Onde pouvait également être utilisée de plusieurs manières différentes.)
Les stands sont donc une technique beaucoup plus individualiste. Ils permettent de mettre en avant l’originalité de chaque personnage
Concrètement, comment lister 5 fonctions principales liées aux combats de stands :
- Introduire de la diversité dans les combats : Une infinité de personnages, une infinité de stands, une infinité de techniques. Chaque stand a ses propres règles, il n’y a donc aucune règle fixe !
- A chaque combat un nouveau casse-tête, une nouvelle énigme à résoudre : Les combats de stands sont des combats de stratégie. Dans chaque combat, il faut d’abord comprendre les règles auxquelles obéit le stand adverse, puis trouver la faille dans ses règles. Le plus intelligent gagne ! Il s’agit aussi d’un jeu pour les lecteurs, qui essaient de résoudre l’énigme en même temps que les personnages.
- D’où le troisième point : la dimension ludique des combats. Un autre jeu est celui des références culturelles. En règle générale, chaque stand porte un nom de groupe de musique ou de chanson ; et les pouvoirs des stands sont très souvent inspirés de films d’horreur. Ainsi, un stand = une musique = un film. Aux lecteurs de retrouver la référence !
- Mais notons que les stratégies employées pour vaincre les stands s’apparentent très souvent à de la triche ! Il s’agit de déjouer les règles du stand ou de trouver une exception à ces règles. L’un des thèmes principaux du manga est une critique du conformisme et des normes qui régissent la société… Donc, les combats de stands – où le but est justement de tricher avec les règles – participent bien sûr à cette critique !
- Enfin, cinquième point, la dimension artistique. Les stands possèdent parfois des pouvoirs très spéciaux, comme arrêter le temps. …Mais comment représente-t-on l’arrêt du temps dans un manga, où les images sont déjà, par définition, figées ? Les stands sont donc également un défi artistique pour l’auteur, qui doit inventer de nouvelles manières de mettre en scène leurs pouvoirs… C’est ce quatrième point que nous allons étudier dans cet article !
Les combats de stands : une technique au service de l’Art ?
JoJo’s Bizarre Adventure est un manga particulièrement intéressant à analyser d’un point de vue artistique :
Son esthétique s’inspire du maniérisme de la Renaissance italienne : En réaction à l’art classique, qui avait pour objet l’imitation fidèle de la nature, le maniérisme consiste au contraire à mettre en avant l’artificialité d’une œuvre, afin de célébrer l’art.
Chez les statues de la Renaissance italienne, cela se traduit par une torsion des corps et des positions parfois impossibles (ce qui a inspiré les fameuses « JoJo-poses » !). Le terme « maniérisme » est aussi associé plus tard à certains courants de cinéma qui multiplient les effets artistiques et dramatisent à l’extrême la mise en scène.
De manière générale, le maniérisme consiste à mettre en avant le travail de l’auteur, plutôt qu’à le cacher. Dans JoJo, cela se voit aussi à travers la manière dont l’auteur utilise les références à des films ou des romans célèbres. Alors que la plupart des auteurs tentent de cacher leurs sources d’inspiration et de s’en détacher à tout prix, Araki les met au contraire en avant, allant jusqu’à recopier fidèlement des scènes célèbres de films ou de romans.
Le maniérisme : de la peinture au cinéma
Enfin, si le terme « maniérisme » vient de la Renaissance italienne, il est également associé à certains types de films comme le giallo italien, dont Frederico Anzalone (JoJo’s Bizarre Adventure : Le diamant inclassable du manga, 2019) a montré l’influence sur le prologue de JoJo’s Bizarre Adventure. Le giallo se caractérise en effet par des effets de style très artificiels et une tendance à l’Art pour l’Art : zooms brutaux, cadrages obliques, musiques grandiloquentes, couleurs artificielles, motifs et architectures géométriques, scènes vues à travers des vitres ou des miroirs, parfois déformants ; tendances à l’exagération, à l’érotisme et au grotesque.
Dans JoJo, on retrouve ce goût pour les motifs géométriques dans les images (rayures, damier, architecture du manoir dans Phantom Blood…), les cadrages atypiques, les couleurs absurdes et flashy (le ciel rose ou vert sur les illustrations en couleurs de la ville de Morioh), les onomatopées bruyantes et dramatiques, le mélange de grotesque et d’érotisme.
Dans cette optique, les combats de stands dans Stardust Crusaders sont donc aussi une démonstration de la progression artistique de l’auteur…
Prenons en guise d’exemples les tomes 15 et 16 de Stardust Crusaders, qui mettent en scène le combat DIO contre Kakyôin, puis celui de DIO contre Jôtarô…
Dans ce passage, on retrouve DIO, personnage iconique du manga, qu’on n’a pas vu depuis la partie 1. Et l’auteur va nous présenter sa nouvelle technique, en même temps qu’il présente l’évolution de ses propres techniques artistiques…
Avant tout, un mot sur le cadre et les personnages :
Le premier combat se distingue par son cadre vertigineux et aérien, dans une ville nocturne parsemée de grandes tours. A la fin de la partie 3, l’auteur révèle aussi le nouveau design de DIO, dont il faisait un mystère. DIO a toujours été très beau, mais il est maintenant dessiné de manière beaucoup plus sensuelle. Aspect qui n’est d’ailleurs pas suffisamment gardé dans l’anime. Je vous conseillerais donc de lire plutôt le manga !
Mais ces deux combats sont surtout célèbres pour l’originalité de leur mise en scène :
Premier combat : DIO VS Kakyôin
Le pouvoir de DIO, qui consiste à arrêter le temps, donne lieu à de tous nouveaux effets artistiques. Par exemple la double page 140-141 dans le tome 15 ressemble à première vue à un jeu des 7 différences, où DIO est le seul détail qui change dans l’image. Car il est le seul personnage à pouvoir encore bouger quand le temps est figé. Cet effet de style perturbe jusqu’à l’expérience de lecture : le lecteur tombant brusquement sur deux pages à première vue identiques, commence par se demander ce qui se passe, et s’il n’y a pas eu une erreur d’impression !
La vitesse de l’écoulement du temps dans une bande dessinée est généralement donnée par le nombre de cases par page. Et par le découpage de la page entre ces différentes cases. Mais, lorsque DIO arrête le temps, les cases prennent brusquement une page entière chacune. Ainsi, dans le tome 15, on a quatre pages de suite (138 à 141) qui sont composées chacune d’une seule image.
En effet, la différence entre une bande dessinée et une image fixe comme un dessin ou une peinture, est l’existence d’une chronologie, représentée par l’enchaînement de plusieurs cases. Si le temps ne s’écoule plus, alors l’auteur n’a plus de raison de diviser ses pages en cases. Le rejet soudain du découpage en cases, qui est le principe même de la bande dessinée, illustre donc parfaitement l’arrêt du temps.
Second combat : DIO VS Jôtarô
On retrouve un procédé similaire plus loin, lorsque DIO affronte Jôtarô… Mais cette fois-ci, c’est Jôtarô qui arrête le temps !
À la page 150 du tome 16, l’auteur dessine à nouveau trois fois la même case (cette fois-ci, toutes sur la même page), où seul Jôtarô bouge. On ne connaît d’ailleurs pas la technique employée par l’auteur : A-t-il utilisé un calque ? Ou bien s’est-il vraiment amusé à reproduire trois ou quatre fois la même image exactement à l’identique, juste par goût du défi ?
Là aussi, il s’agit de créer un rythme très lent, avant l’explosion que sera le final du combat. Les accélérations et ralentissement du temps provoqués par les stands permettent donc aussi d’introduire du rythme dans les combats. (Ce qui est indispensable car, dans JoJo, sont souvent assez longs. Un rythme varié permet de maintenir les lecteurs en haleine plus longtemps.)
Conclusion
Ainsi, la technique du personnage est tellement puissante qu’elle bouleverse jusqu’à la mise en scène du manga. Notons que cette idée est reprise dans l’anime, où DIO est capable d’interrompre la chanson d’opening ! Les combats de stands sont donc pour l’auteur, des moyens de diversifier ses propres techniques en faisant varier à l’infini la mise en scène du manga.
Bibliographie :
ANZALONE Frederico, JoJo’s Bizarre Adventure. Le diamant inclassable du manga, Toulouse, Third Editions, 2019.
ARAKI Hirohiko, Manga in Theory and Practice. The craft of creating manga, San Francisco, VIZ Media, 2017. [Traduction anglaise de Nathan A. Collins]
BOUVARD Julien, Manga politique, politique du manga. Histoire des relations entre un medium populaire et le pouvoir dans le Japon contemporain des années 1960 à nos jours. Sous la direction de Jean-Pierre Giraud, Université Lyon III Jean Moulin, décembre 2010.
BUISSOU Jean-Marie, Manga: Histoire et univers de la bande dessinée japonaise, 2010, Editions Picquier.
GOTÔ Hiroki, Jump. L’âge d’or du manga, Paris, Kurokawa, 2018 [Traduction française de Julie Seta].
LAGUARDA Alice, L’ultima maniera. Le giallo : un cinéma des passions, Aix-en-Provence, Rouge Profond, 2021.
PINON Matthieu, LEFEBVRE Laurent, Histoire(s) du manga moderne 1952-2012, Paris, Ynnis Editions, 2019-2022.
TILLON Fabien, Culture Manga, Paris, Nouveau Monde Editions, 2006.
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Rédigé par Umeboshi
Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.
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