On vous décrypte les références littéraires dans JoJo ! Analyse de Phantom Blood : Le mythe du vampire, de Dracula au personnage de Dio !
Salut à tous ! Il s’agit ici d’explorer les diverses origines littéraires du manga JoJo’s Bizarre Adventure ! (JoJo no kimyô na bôken) de Hirohiko Araki. Dans cet article sur Phantom Blood, on vous parlera bien sûr de littérature gothique, de vampires célèbres et du personnage de Dio !
JoJo’s Bizarre Adventure est une saga très riche en références. Aussi bien littéraires, que cinématographiques et musicales. Sur le plan littéraire seulement, on peut relever des références à Dracula de Bram Stocker, à East of Eden (À l’est d’Eden) de John Steinbeck, au Sherlock Holmes de Sir Arthur Conan Doyle, aux Misérables de Victor Hugo (auxquels le manga emprunte deux scènes entières, reproduites presque mot pour mot), et à presque tous les romans de Stephen King !
JoJo est un manga shônen publié depuis 1987 et divisé en 9 parties. C’est l’histoire d’une famille qui se déroule sur plusieurs générations. La partie 1 se déroule à la fin du XIXème siècle en Angleterre. Ça commence par un affrontement psychologique entre deux “frères” dans un manoir anglais. Puis ça part en live façon Dracula, Castlevania et Hokuto no Ken quand l’un des deux devient un vampire !
C’est parti ! Analyse de Dio : Théorème du vampire et du manoir
Alors, que vaut, selon vous, un vampire de manga ? Dio a-t-il encore quelque chose à voir avec les vampires célèbres de la littérature (Dracula, Carmilla, etc.) ? Ou n’est-il (comme beaucoup aujourd’hui) qu’un vampire d’opérette ? (S’il les rencontrait, finirait-il simplement par leur servir de repas ?)
Eh bien, cela va vous surprendre, mais Dio joue en réalité exactement le rôle d’un vampire traditionnel!
En effet, au début de l’histoire, Dio n’est pas encore un vampire. Mais, sans le savoir, il en a déjà le rôle. Nous allons vous démontrer (mathématiquement) pourquoi…
Un roman gothique s’articule généralement autour d’une perturbation de l’ordre social et moral par une créature surnaturelle. Et il s’achève par la défaite du monstre et le retour à l’ordre. Précisons que les monstres présentés dans la littérature gothique sont souvent charismatiques car, malgré le triomphe obligatoire de la morale à la fin, ce genre littéraire a pour origine un désir de révolte contre une société trop rigide. Les monstres qui y figurent, vampires, démons ou revenants, représentent tout ce qui a été rejeté dans l’ombre par la société. Ils sont constamment dans la transgression des interdits.
Ici, c’est parfait : l’histoire suit exactement cette trame ! Au début, nous sommes donc dans le cas d’un espace fermé (le manoir) qui représente une société miniature bien ordonnée. Et sa tranquillité va être perturbée par l’arrivée de Dio. (C’est l’élément déclencheur de l’histoire.)
A ce moment, Dio n’est peut-être pas encore un vampire, mais c’est déjà un personnage qui transgresse constamment les normes sociales et morales. Au début de l’histoire, il a déjà commis un parricide, craché sur la tombe de son père, puis il ne cherche qu’à voler et assassiner ses bienfaiteurs.
C’est donc cette source de chaos qui, dans un chapitre qui le surnomme à juste titre « l’envahisseur » (« shinryaku-sha »), s’immisce dans un respectable manoir anglais, symbole de l’aristocratie, de l’ordre et des traditions. A noter que ce manoir finira en flammes.
Voilà : Manoir + Vampire = Incendie. Analysons ces deux variables !
1) Le cadre gothique : le manoir Joestar
Bon, à première vue, c’est un manoir ordinaire…
Si on s’attarde sur son design, on peut noter que tout en effet y reflète l’ordre et la rigidité. Les meubles sont dessinés en lignes droites et formes rectangulaires. Les pièces semblent trop vastes, ce qui leur donne un aspect vide et froid.
…Pas uniquement les pièces d’ailleurs, car tout dans le manoir paraît en fait trois fois trop grand pour les enfants : la table (p.41), le lit à la (p.43), les escaliers (p.36), les portes (p.64), ou même le carrelage sur le sol (p.38). Ces proportions étranges donnent certes au manoir un aspect vénérable et imposant, mais elles renforcent surtout l’impression que les personnages ont du mal à s’intégrer dans cet environnement rigide.
A la page 41, également, le placement des personnages à table montre bien l’emphase mise sur la hiérarchie et les distances sociales : le père occupe la place d’honneur et les enfants se trouvent presque à l’autre bout de la table (qui est d’ailleurs ridiculement longue quand les personnages ne sont que trois).
Voilà :
Bref, sans surprise, le manoir représente une société miniature bien ordonnée. Poursuivons !
2) La figure du vampire –Dio !
Dans son ouvrage Jump. L’âge d’or du manga, l’ancien éditeur Hiroki Gotô ne cache pas son admiration pour les antagonistes développés par Araki, en particulier Dio !
En effet, la plupart des mangaka de l’époque se contentent de créer des adversaires surpuissants à la personnalité et aux motivations peu développées. (Ceux-ci représentent simplement des obstacles à surpasser pour que le héros progresse.) Mais Araki met en scène des ennemis fourbes, dont l’arme principale est – au début du récit, du moins – d’exploiter les faiblesses d’autrui.
Déjà, dans le dernier chapitre de Ma-shônen BT (un précédent manga d’Araki), l’adversaire est un garçon en apparence faible, que la famille du jeune Kôichi se sent obligée d’accueillir après avoir manqué de l’écraser avec leur voiture. Puis, le garçon exploite leur culpabilité pour obtenir tous les droits. Tel un parasite, il vient s’installer avec sa famille dans la maison de Kôichi, où il pille et détruit tout sans que personne n’ose lui faire le moindre reproche. Hiroki Gôto commente dans son analyse :
Le dernier chapitre de BT raconte comment BT parvient à chasser un étrange garçon avec des taches de rousseur et sa famille de squatteurs qui ont élu domicile dans la famille de son meilleur ami. Cet épisode met en lumière le Mal sous une forme qui consiste à s’emparer de ce que d’autres personnes chérissent.
Hiroki Gotô, Jump. L’âge d’or du manga, Paris, Kurokawa [Traduction de Julie Seta], 2018, p.252.
Gotô fait bien sûr le rapprochement avec le comportement de Dio au début de Phantom Blood. Au sujet de Dio, il déclare :
Dio brûle vif le chien adoré de Jojo et détruit sa relation naissante avec Erina grâce à divers stratagèmes d’une grande fourberie. […] En volant et anéantissant ce qui tient à cœur à Jojo, il ne fait pas directement usage de violence physique envers lui, mais il le détruit de l’intérieur en réduisant son âme en miettes. […] Il s’agit de la forme la plus poussée de harcèlement. Hirohiko Araki est très habile pour faire ressortir ce genre de Mal.
Ibid. pp.255-256.
Une fois introduit dans le manoir, Dio se met donc à harceler Jonathan (le premier JoJo et l’héritier de la famille Joestar), dont le prénom est à la fois une référence à Jonathan Harker, le protagoniste de Dracula et également – référence certes moins littéraire – à un restaurant nommé Jonathan’s, où Araki se rendait souvent à cette époque pour discuter avec son éditeur.
Voilà :
Comme l’a fait remarquer Gotô, la méthode de harcèlement de Dio envers Jonathan consiste à lui voler toute sa vie en lui prenant progressivement ce qui lui est cher. Même si l’expression qu’on vient d’employer est utilisée ici au sens figuré, elle rappelle la manière dont un vampire s’attache généralement à une victime pour aspirer littéralement sa vie en la vidant peu à peu de son sang. Et ce, à l’insu de son entourage.
Ainsi, Dio n’a pas seulement le rôle traditionnel d’un vampire : il en a aussi les méthodes ! Le schéma de ce passage peut d’ailleurs rappeler un autre roman gothique célèbre : Carmilla de Sheridan Le Fanu, publié en 1872.
…Et c’est l’occasion de raconter une histoire-qui-fait-peur !
Dans ce roman, la narratrice, Laura, vit seule avec son père et deux dames de compagnie dans un manoir à l’écart du monde. La monotonie de son quotidien est enfin brisée lorsque sa famille doit accueillir temporairement une jeune fille de son âge, dont la calèche s’est renversée (comme par hasard) juste devant le manoir. Les deux filles s’entendent immédiatement à merveille, Carmilla brille en société et semble aux yeux de tous une jeune fille parfaite. Cependant, il s’agit en réalité d’une vampire lesbienne qui a pour habitude de séduire des jeunes filles pour les vider progressivement de leur sang.
Ainsi, au fur et à mesure que Carmilla s’épanouit, Laura dépérit. (Et ce, juste sous les yeux de son père, qui – au début, du moins – ne semble pas s’en inquiéter outre mesure, puisqu’il explique les disparitions nocturnes de Carmilla par un simple cas de somnambulisme. Au sujet de sa fille, il se contente de déclarer en soupirant : « I wish my poor Laura was looking more like herself » [2] [« Si seulement ma pauvre Laura redevenait aussi comme avant. »] [3])
L’inaction et l’aveuglement du père se retrouvent aussi dans le manga. L’impuissance des figures d’autorité face au désordre est un autre élément traditionnel de la littérature gothique.
« Tout est sous contrôle. »
(Non, en vrai c’est pas ça la traduction.)
Toutefois, si les références à Dracula sont évidentes, il est en revanche difficile de déterminer si l’auteur de JoJo avait lu Carmilla. Cette histoire sert surtout à vous montrer que les vampires sont souvent des étrangers qui s’infiltrent dans la bonne société anglaise. On peut, là encore, penser à Dracula, qui se déguise en gentilhomme et se renseigne sur toutes les coutumes des Anglais pour mieux s’infiltrer à Londres, lorsqu’il déménage depuis la Transylvanie.
Mais du coup, pourquoi Dio est-il un si bon antagoniste ? Qu’est-ce qui fait peur chez lui, ou qui dérange ?
Habituellement, les récits gothiques s’appuient sur deux types de procédés pour provoquer la peur ou l’angoisse. Le sensationnel, qui se manifeste principalement à travers le déploiement de phénomènes naturels impressionnants (tempêtes, orages). Et l’étrange, que l’on explique généralement par le concept freudien de l’ « Unheimlische » (ou « inquiétante étrangeté »).
Ici, une courte définition s’impose :
L’inquiétante étrangeté, c’est une sensation que vous connaissez tous, pour peu que vous ayez déjà regardé un film d’horreur dans votre vie. Communément définie comme l’angoisse qui surgit d’éléments familiers, elle se manifeste lorsque des éléments normalement connus et rassurants (par exemple le cadre familial) prennent un aspect inquiétant et étrange. Ou encore lorsque des objets inanimés (poupées, marionnettes) paraissent vivants. C’est notamment le principe des récits et films d’horreur où des personnages sont attaqués par des membres de leur famille ou bien par des jouets.
Le rapport avec Dio ? Dans le manga étudié, la présence d’un ennemi caché dans un manoir en apparence respectable et au sein même de la famille du héros, c’est aussi une application de l’inquiétante étrangeté. (Mais, bien sûr, ce procédé n’est pas seulement utilisé dans la littérature gothique. On le retrouve par exemple dans les romans de Stephen King et dans le cinéma d’horreur, que l’auteur du manga affectionne particulièrement. Il insère de nombreuses références à des films d’horreur dans son manga, et y consacre même un ouvrage théorique : Araki Hirohiko no Kimyô na Horror Eiga-ron [L’analyse bizarre de films d’horreur d’Hirohiko Araki], inédit en France.)
Le manga JoJo’s Bizarre Adventure est également connu pour son style décalé, qui peut parfois déranger ou paraître ridicule. (Et ça aussi – même si ça ne fait pas peur – ça reprend l’idée qu’une situation qui devrait être normale ne l’est pas.)
Cette esthétique « bizarre » peut prendre différentes formes :
- Comportement déplacé et réactions imprévisibles de la part des personnages. (Non conformes aux normes sociales.)
- Poses inutilement maniérées. (Inspirées des statues de l’Antiquité et de la Renaissance italienne, ou encore de gravures et photographies de modes.) Les poses peuvent être érotiques dans certaines saisons mais, dans Phantom Blood, elle paraissent souvent bizarres et un peu grotesques. Cela peut rappeler le comportement parfois bizarre et inquiétant du vampire dans le roman de Stocker, où l’on trouve par exemple une scène où Dracula descend un mur à toute allure en rampant comme un lézard, ce qui terrifie Jonathan Harker !
- Onomatopées utilisées de manière inadéquate, voire carrément inventées.
- Phrases en anglais ou paroles de chansons insérées dans le texte en japonais.
Dio est le premier personnage chez qui ce comportement bizarre se manifeste, et ce, dès son arrivée dans le manoir.
Il fait des choses qui ne se font pas en société, comme frapper sans prévenir le chien de la personne qui vient de l’accueillir [4], ou venir parler à Jonathan en lui tirant l’oreille [5] (alors qu’il le connaît à peine et qu’il est de rang inférieur).
En arrivant au manoir, plutôt que de descendre normalement, il saute hors de la calèche après avoir jeté sa valise par terre, apparemment sans autre raison que de faire une entrée remarquée [6]. Sur cette image, d’ailleurs, ses pieds dépassent du bord de la case, donnant l’impression que le personnage jaillit littéralement en dehors de la case. Cette scène illustre la volonté de l’auteur de « sortir du cadre ».
A la page 79, il embrasse Erina avec l’onomatopée « zukyuuun », peu adéquate [7], et aux pages 82-83, il enchaîne trois poses à la suite. Plus loin, il est également le premier personnage à prononcer une phrase en anglais insérée dans le texte en alphabet latin (« Good Bye JoJooo ! »). [8]
Mystérieux, inquiétant, hostile, Dio est l’étranger qui dérange. Son comportement intrigue et désoriente Jonathan, qui semble souvent perplexe et ne sait comment réagir. C’est lui qui introduit le bizarre dans le manoir, et plus généralement dans l’histoire.
Dio et le rejet des codes – l’innovation sur le plan artistique !
Mais, entre la pression des éditeurs et celle des votes des lecteurs, écrire un manga dans le Shônen Jump impose aussi aux auteurs de respecter certains codes et laisse parfois peu de place à la créativité. Dans Manga: Histoire et univers de la bande dessinée japonaise (2010), Jean-Marie Bouissou explique que c’est principalement pour cette raison que le manga, à la différence de la bande-dessinée occidentale, n’est aujourd’hui toujours pas inclus parmi les neufs arts. Peut-être la société victorienne étouffante dans Phantom Blood est-elle une représentation du poids des codes, dont l’auteur cherche à se libérer?
On sait d’ailleurs que la précédente série d’Araki, Gorgeous Irene, a été interrompue au bout d’à peine deux chapitres pour la seule raison que l’héroïne était une fille et ne récoltait pas assez de popularité auprès du lectorat masculin. Lors de sa première apparition dans Phantom Blood, on trouve Dio plongé dans la lecture d’un livre sur lequel est inscrit le titre « Gorgeous Irene » [9], mais il est interrompu par son père qui l’appelle et doit refermer le livre. Cette scène est visiblement un coup de colère de l’auteur contre l’interruption brutale de sa série.
A l’instar de la figure du vampire qui transgresse constamment l’ordre social, l’auteur aspire à transgresser les codes du shônen manga pour se libérer de ce cadre.
Ainsi, tous les espaces clos qui servent de cadre à l’intrigue (le manoir au début du manga, puis le navire à la fin) sont systématiquement détruits. Le manoir prend feu au moment où Dio se transforme en vampire (et assassine au passage toutes les figures d’autorité présentes : le père de Jonathan et les policiers). Et le navire explose quand l’auteur fait littéralement voler en éclat toutes les règles du shônen manga, en décidant de tuer le personnage principal en pleine série.
Dans les romans gothiques anglais, la transformation en vampire est souvent interprétée comme une forme d’émancipation sociale (par exemple pour les femmes, à qui la société victorienne accordait peu de rôle). Devenir un vampire après sa mort permet de s’affranchir de cette société et d’échapper à ses lois. Ainsi, Dracula déclare à ses compagnes vampires qu’elles auront un jour leur revanche sur la société : « You shall be avenged in turn ; for not one of them but shall minister to your needs » [10] [« Le temps viendra où il vous sera fait réparation ; car aucun parmi ces hommes ne pourra vous refuser ce que vous exigerez d’eux ! »] [11]
Et dans JoJo’s Bizarre Adventure, la transformation en vampire représente également une forme d’émancipation face au destin puisque, comme on l’a vu précédemment, Dio échappe ainsi au schéma des romans réalistes selon lequel tous ses projets étaient voués à l’échec.
En s’évadant de ce schéma et en faisant basculer l’intrigue dans le fantastique, l’auteur affiche aussi son refus d’obéir aux codes d’un seul genre littéraire. Désormais, l’histoire mélangera tous les genres et pourra passer de l’un à l’autre sans transition, quitte à dérouter complètement le lecteur. Ainsi, la figure du vampire, traditionnellement symbole de l’émancipation sociale, est ici également associée à l’émancipation artistique.
Voici la formule en guise de résumé :
Théorème du vampire et du manoir
Je sais que :
La série alternait entre espaces confinés (huis-clos) [le manoir et le navire dans le premier arc ; la petite ville de Morioh dans le quatrième ; la prison dans le sixième] et grands espaces qui s’étendent à perte de vue [désert dans le troisième arc, vastes plaines et montagnes dans le septième].
Or :
Si Manoir = société ordonnée et fermée, alors Dio = vampire qui vient bouleverser et détruire cette société.
Donc :
Manoir + Dio = Incendie
Navire + Dio = Explosion
c.q.f.d.
…Conclusion ! Dio est-il à la hauteur de Dracula ??
Finalement, contrairement à ce que la plupart des gens croient, Araki ne se contente pas dans Phantom Blood de faire quelques références à la littérature gothique pour s’amuser. Il reprend aussi la structure, les grands principes et les procédés d’un roman gothique !
Le manga gothique s’est développé dans les années 90 avec les shôjo de Kaori Yuki, notamment Hakushaku Caïn [Comte Caïn] et Tenshi Kinryôku [Angel Sanctuary]. Il en existe aujourd’hui beaucoup d’autres, comme Kuroshitsuji [Black Butler], Vampire Knight, Pandora Hearts, ou encore Vanitas no Carte [Les Mémoires de Vanitas]. On peut aussi vous recommander le magnifique Violet Evergarden, sur lequel on a déjà écrit un article.
Mais, bien qu’il ne soit pas officiellement catégorisé comme « gothique », JoJo’s Bizarre Adventure est sans doute l’un des mangas qui ont le mieux su saisir les enjeux de ce courant littéraire. Tout en le mélangeant avec diverses autres influences : la littérature française avec Les Misérables de Victor Hugo, et américaine avec East of Eden [A l’est d’Eden] de John Steinbeck ; les mangas shônen avec Hokuto no Ken [Ken le survivant] de Tetsuo Hara ; ou encore le cinéma d’horreur-thriller américain et italien. L’influence de la littérature, très visible au début de la série, est sans doute ce qui explique la présence d’un narrateur / voix off dans les premiers chapitres. L’auteur s’oriente ensuite vers une narration plus proche du cinéma.
Pourquoi Araki se réfère-t-il autant à la littérature en début de série ? Peut-être veut-il que son manga, comme ses personnages, ait des origines nobles ? Mais, dans Phantom Blood, il mêle la littérature à d’autres arts beaucoup plus populaires. Cette diversité d’inspirations fait de JoJo un mélange original qui donne une dimension bien plus universelle et moderne au vieux mythe gothique du vampire.
2 romans à lire si vous avez aimé le premier arc de JoJo’s Bizarre Adventure :
- Dracula de Bram Stocker. (Pour l’univers gothique)
- A l’est d’Eden de John Steinbeck. (Pour les histoires de famille, et bien sûr le conflit entre frères !)
A bientôt dans de prochains articles !
To be continued…
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Rédigé par Umeboshi
Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.
Notes
[1] Tous les numéros de pages sont donnés dans la collection JoJonium, une édition de la série JoJo’s Bizarre Adventure en grand format, où l’arc de Phantom Blood correspond aux trois premiers tomes.
[2] Joseph Sheridan Lefanu, Carmilla, Paris, Gallimard [édition bilingue], 2015, p.166.
[3] Ibid. p.167. Traduction de Sébastien Guillot.
[4] JoJonium. Op.cit. (t.1) p.32.
[5] Ibid. p.39.
[6] Ibid. p.29.
[7] Citant Natsume Fusanosuke, Blanche Delaborde explique dans sa thèse que cette onomatopée qui s’apparente plutôt au bruit d’un coup de feu est employée ici de manière métaphorique :
Natsume Fusanosuke a consacré une page à cet impressif graphique précis. Voici
son analyse :
80年代にあらわれた荒木が試みるのは、多くの場合既成の文脈から音喩の場
所をズラしてやる異化効果である。
Ce que tente d’obtenir Araki, qui est apparu dans les années 1980, c’est la
plupart du temps un effet de décalage en changeant le contexte d’impressifs
graphiques déjà existants.
たとえば〈ズキュウウゥン〉は、本来60年代の劇画が銃の発射音として描いた
音喩で、それ以前の「パン」「ガァン」からすれば画期的で斬新な音だった。
弾丸の軌跡を連想させる金属的な残響音〈キュウン〉があたらしいリアリティ
を感じさせたのだ。
Par exemple, « zukyūn » est un impressif graphique qui servait dans les
gekiga des années 1960 à exprimer de façon nouvelle le bruit des coups de
feu, et qui a marqué son époque en s’opposant aux impressifs graphiques
utilisés auparavant tels que « pan » et « gān ». En suggérant la trajectoire de
la balle, la résonnance métallique exprimée par « kyūn » faisait sentir une
nouvelle réalité.
それを荒木は、キスした瞬間の衝撃的な心理音として使っている。〈ズ〉は最
初のワケわからん瞬間で、むしろ〈キュウゥン〉にこそ驚きの余韻が表現され、
銃で撃たれたような衝撃を鋭い角のある文字で喩えている。
Araki utilise cela comme un bruitage du choc psychologique à l’instant du
baiser. « Zu » exprime le premier moment d’incompréhension, tandis que
c’est plutôt « kyūn » qui exprime la réverbération de la stupéfaction, un choc
comparé à celui de recevoir un coup de feu, exprimé par des caractères aux
angles saillants.
L’efficacité de la scène tient donc au fait que l’impressif est en porte-à-faux avec le
dessin, tout en exprimant parfaitement de façon métaphorique l’état psychologique
du personnage d’Erina.
Blanche Delaborde, Poétique des impressifs graphiques dans les mangas 1986-1996, Linguistique, Institut National des Langues et Civilisations Orientales- INALCO PARIS – LANGUES O’, 2019, pp.127-128.
[8] JoJonium. Op.cit. (t.2) p.86.
[9] JoJonium. Op. cit. (t.1) p.11.
[10] Bram Stocker, Dracula, Londres, Penguin Classics, 2003, p.307.
[11] Bram Stocker, Dracula, Paris, Editions J’ai lu, 1993, p.379. Traduction de L. Molitor, 1989.
Bibliographie
Œuvre étudiée
ARAKI Hirohiko, JoJo’s Bizarre Adventure. Phantom Blood. In: JoJonium (t. 1-2-3), Tôkyô, Shûeisha, 2013.
Romans gothiques du corpus
KING Stephen, ‘Salem’s Lot, New York, Random House, Anchor Books, 2011.
KING Stephen, Salem, Paris, Pocket, Editions Williams, 1977, pp.12-13. Traduction de Christiane Thiollier et Joan Bernard.
SHERIDAN LEFANU Joseph, Carmilla, Paris, Gallimard, 2015. [Edition bilingue]
STOCKER Bram, Dracula, Londres, Penguin Classics, 2003.
STOCKER Bram, Dracula, Paris, Editions J’ai lu, 1993. [Edition française. Traduction de L. Molitor, 1989.]
Ouvrages théoriques
ANZALONE Frederico, JoJo’s Bizarre Adventure. Le diamant inclassable du manga, Toulouse, Third Editions, 2019.
ARAKI Hirohiko, JoJoveller. History (1979-2013), Tôkyô, Shûeisha, 2014.
ARAKI Hirohiko, Manga in Theory and Practice. The craft of creating manga, San Francisco, VIZ Media, 2017. Traduction anglaise de Nathan A. Collins.
BOUISSOU Jean-Marie, Manga. Histoire et univers de la bande dessinée japonaise, Arles, Editions Philippe Picquier, 2010.
DELABORDE Blanche, Poétique des impressifs graphiques dans les mangas 1986-1996, Linguistique, Institut National des Langues et Civilisations Orientales- INALCO PARIS – LANGUES O’, 2019. Français.
DÜRRENMATT Jacques, Bande dessinée et littérature, Paris, Classiques Garnier, 2013.
GOTÔ Hiroki, Jump. L’âge d’or du manga, Paris, Kurokawa, 2018. Traduction française de Julie Seta.
PINON Matthieu, LEFEBVRE Laurent, Histoire(s) du manga moderne 1952-2012, Paris, Ynnis Editions, 2019-2022.
Article
« Les onomatopées dans le manga – Interview de Xavier Hébert » par Frédéric Toutlemonde, konishimanga.fr, 11 octobre 2017. Disponible sur : <Les onomatopées dans le manga – Interview de Xavier Hébert – Prix Konishi pour la traduction de manga japonais en français (konishimanga.fr)>
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