Tout le monde aime les méchants. Qui n’a jamais été séduit par le côté obscur de la Force ? Qui ne s’est jamais identifié à un méchant Disney ? Dark Vador, le Joker, Maléfique, Dracula, Voldemort ou même Draco Malfoy… Certains antagonistes sont de véritables icônes ! Parfois même plus populaires que les héros.
Mais pourquoi les méchants fascinent-ils ? Comment évoluent-ils dans la pop culture ? Et comment sont-ils perçus par nos sociétés aujourd’hui ? Si comme moi vous choisissez souvent votre personnage préféré parmi les antagonistes, si vous pensez comme Alfred Hitchcock que « Meilleur le méchant, meilleur le film »[1], alors soyez les bienvenus dans ce dossier spécial Halloween…
Tout d’abord, pourquoi aime-t-on les méchants ?
1/ Parce qu’ils reflètent nos peurs ou nos défauts
C’est ce qu’on appelle la catharsis (du grec ancien κάθαρσις), ou selon Aristote dans sa Poétique [2], un moyen de réalisation une purgation des mauvaises passions. En d’autres termes, les antagonistes sont des projections de nos côtés les plus sombres ou des maux qui rongent nos sociétés. Les voir à l’écran nous permet donc de les exorciser.
Ce sont des personnages qui représentent nos peurs. Leurs arcs narratifs permettent d’aborder des thèmes sombres et des tabous. Les méchants Disney personnifient souvent un défaut ou un péché capital : la jalousie, la colère, l’orgueil, l’intolérance, la soif de pouvoir… Les Mangemorts dans Harry Potter représentent la vague nazie et fasciste de la seconde guerre mondiale. D’autres incarnent des phénomènes pandémiques comme le Dracula du manga DRCL, qui est une métaphore du Covid-19.

2/ Parce qu’ils nous fascinent
Beaucoup de méchants sont appréciés pour leur excentricité, leur démesure, leur absence de limite, leur jusqu’au boutisme. « Only a Sith deals in absolutes »[3], n’est-ce pas ? Cela fait souvent d’eux des personnages très dramatiques. Voire de véritables stars.
Certains monstres, comme les vampires, exercent leur pouvoir de fascination depuis leur création. À l’époque où le vampire littéraire a été inventé, il symbolisait une aspiration au désordre, en réaction à une société victorienne très stricte. Les vampires sont des personnages subversifs, contestataires, qui incarnent des interdits.
Michel Tournier en parle ainsi dans son livre Le vol du vampire (1946)[4] : « Les grands mythes sont là, croyons-nous, pour l’aider à dire non à une organisation étouffante. Bien loin d’assurer son assujettissement à l’ordre établi, ils le contestent, chacun selon un angle d’attaque qui lui est propre. »

3/ Parce qu’ils sont plus complexes que les héros
En particulier dans les œuvres à destination de la jeunesse, comme les Disney ou certains mangas shônen. On attend des héros d’être des roles models pour les jeunes. Leur qualité principale est de leur transmettre de bonnes valeurs. Ils n’ont pas de défauts, pas de faiblesses, jamais une mauvaise pensées, ou alors, ils parviennent toujours à les surmonter… Ce sont des personnages très ennuyeux ! Ce qui amène parfois les artistes qui les ont créés à s’identifier plus facilement à leurs antagonistes !
Par exemple, Hirohiko Araki, l’auteur de JoJo’s Bizarre Adventure, raconte qu’il prévoyait initialement que Dio Brando soit le personnage principal de Phantom Blood. Mais son tantô (éditeur) le lui a déconseillé, car Dio était un personnage trop cynique. Araki a donc eu l’idée de créer Jonathan pour servir de héros, tandis que Dio serait l’antagoniste. Et il a eu raison ! Car s’il s’était entêté à garder Dio comme héros, il aurait été forcé tôt ou tard d’adoucir sa personnalité et n’aurait pas eu autant de liberté pour l’écrire.
En termes de character developement, les méchants ont droit à une évolution plus riche. Les héros ne font que grandir sur le plan moral. Ils ont une trajectoire très linéaire. Tandis que les méchants ont souvent une origin story qui explique leur déchéance, puis une mort mémorable ou une rédemption. Leurs crimes pèsent ou non sur leur conscience. Dans les deux cas, cela nécessite un développement psychologique. Leur trajectoire morale est une courbe parabolique ou une chute vertigineuse.

4/ Parce qu’ils cachent souvent un passé tragique
Si vous avez lu/regardé Saint Seiya (Les Chevaliers du Zodiaque), Naruto ou Demon Slayer, vous devez savoir que les méchants dans les mangas ont souvent une raison d’être devenus tels qu’ils sont. Un traumatisme dans leur enfance ou une injustice dont ils ont été victimes. Le but des héros n’est alors pas de les vaincre par la force, mais de parvenir à les comprendre. Et si possible à les guérir : c’est le fameux « Talk no jutsu » de Naruto, la technique qui consiste à convaincre ses ennemis par le dialogue !
Dans ce cas, la trajectoire des antagoniste est une invitation à l’empathie. Dans la vie de tous les jours aussi, lorsque vous verrez une personne se mal comporter, vous pourriez vous demander : « Je ne sais pas tout de sa vie, il/elle a peut-être des problèmes » au lieu de le juger. L’idée est que, quels que soient ses torts, une personne mérite d’être aidée et d’être aimée.
En cela, les méchants des mangas japonais diffèrent des méchants occidentaux, qui sont souvent foncièrement mauvais.
La mentalité japonaise, qui n’est pas influencée par le christianisme, est beaucoup moins manichéenne que la nôtre. Mais, quelque part, les cultures japonaise et chrétiennes peuvent se rejoindre car, dans la pensée chrétienne aussi, l’on trouve l’idée que toutes les âmes peuvent être sauvées. C’est pourquoi la morale des mangas est souvent bien comprise du public français.
Par rapport à la bande-dessinée occidentale, les mangas mettent beaucoup l’accent sur l’introspection. Par exemple, les trois mangas cités plus haut utilisent des flash-back pour raconter l’histoire de chaque antagoniste depuis son enfance. En effet, un méchant devient tout de suite plus attachant si on le voit enfant et si on connaît toute sa vie de sa naissance à sa mort. Son affrontement avec le héros nous permet ensuite d’analyser son parcours et de confronter leurs valeurs morales. On comprend ainsi à quel moment il a commis une erreur et comment cela l’a conduit à sa perte.

5/ Parce qu’ils sont faillibles
« Je m’identifie à un méchant, que faire ? » Rassurez-vous, il n’y a rien de plus normal que de s’identifier à un méchant ! Si vous vous identifiez à un personnage qui a de gros défauts, cela ne signifie pas que vous êtes une horrible personne. C’est simplement que vous avez conscience d’être faillible. Ce qui est plutôt une qualité.
On juge parfois beaucoup le fait de s’identifier à un méchant ou de trop l’aimer…
Pensez au film de Claude Lelouch sur Les Misérables, où le personnage qui s’identifie à Javert est un collabo de la Seconde Guerre mondiale ! Ou à J.K. Rowling qui, dans ses interviews, reproche aux adolescentes de tomber amoureuses de Draco Malfoy… Ces réactions sont absurdes car les personnes qui cherchent à comprendre les antagonistes plutôt qu’à les rejeter sont en réalité souvent les plus sages. Javert et Draco sont des personnages gris qui suscitent la pitié et qui semblent vulnérables, il est naturel de s’y attacher. Et s’identifier à eux signifie seulement que vous pouvez avoir peur de commettre des erreurs ou de faire des mauvais choix. L’un croyait servir la justice et découvre qu’il se trompait, l’autre est un gamin idiot endoctriné par son père fasciste… S’y identifier est une preuve d’esprit critique et de réflexion.
Enfin, les personnes qui s’identifient à des antagonistes sont parfois simplement en colère ou déprimées. C’est pourquoi elles se sentent proches de personnages qui expriment des émotions négatives. Il est donc injuste de le leur reprocher. C’est aussi un comportement fréquent à l’adolescence, car c’est une façon d’extérioriser un sentiment de solitude. S’identifier à des héros est parfois vu comme une forme de pression sociale ou de conformisme, une injonction à être parfait ou à réussir sa vie. Les fans d’antagonistes ne cherchent pas la provocation : s’ils aiment un méchant, c’est que ce personnage les a vraiment aidés à un moment de leur vie. Ou qu’il leur a enseigné une leçon importante, que ce soit par l’exemple ou par le contre-exemple.

6/ Parce qu’ils ont un rôle ingrat
En particulier dans les films américains… C’est une existence tragique que celle d’un méchant ! Le public vous déteste, les héros aussi et, comme la plupart des films se terminent bien, vous serez probablement exécuté de manière horrible à la fin. Et la morale du film sera : « Bien fait pour lui, bon débarras ! ».
Contrairement à la morale japonaise, la morale américaine est qu’il faut punir le méchant pour l’exemple, plutôt que de chercher à l’aider. On pourrait faire un top des pires morts des méchants Disney… Pensez à Scar qui finit dévoré par ses amies les hyènes !

Dans un film américain, un méchant peut se faire lyncher à l’écran sans que personne ne s’en émeuve ! On ne traiterait jamais ainsi les autres personnages. De même, on peut rajouter à un méchant préexistant (tiré d’un livre ou d’un précédent film) un nombre incalculable de crimes, sans égard pour le personnage d’origine.
Par exemple, Claude Frollo dans Notre-Dame de Paris était déjà un personnage diabolique et clairement indéfendable… Mais était-ce vraiment nécessaire pour Disney de nous faire croire qu’il a assassiné la mère de Quasimodo, avant de tenter de jeter bébé-Quasimodo dans un puits ?! Sauver Quasimodo était pourtant l’unique bonne action que Frollo ait commise dans sa vie.
En réalité, le traitement des méchants dans beaucoup de films Disney est contre-productif. La technique de la punition cruelle et celle de la diffamation ne font qu’agacer les spectateurs.
Parfois, donc, on les aime par pur esprit de contradiction !
Le public n’aime pas qu’on cherche à l’influencer de manière trop évidente, qu’on lui impose d’aimer le héros et de haïr le méchant. Il veut pouvoir juger par lui-même avant de décider. D’où les critiques sur le manichéisme trop évident du cinéma américain, en particulier de Disney.
Dans les films européens, on dit plus souvent « Ce personnage se comporte mal » que « Ce personnage est méchant » : et un mauvais comportement ne fait pas de vous une mauvaise personne. Le problème des films américains est qu’ils commencent souvent par nous dire « Ce personnage est un monstre » dès son introduction au début du film, alors qu’il n’a encore rien fait ! C’est ce style de narration et de « pré-jugement » qui est critiqué.
Morale de l’histoire…
Il est parfaitement naturel d’aimer les méchants. Ils n’ont pas été créés pour être détestés. Parfois même, ils ont beaucoup à nous apprendre.
Il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » façon de lire une histoire. Si c’est le méchant qui vous plaît, cela ne fait pas de vous quelqu’un de plus bête, ni de plus mauvais. Pouvoir lire une histoire en s’identifiant autant au héros qu’à l’antagoniste, c’est en avoir une vision beaucoup plus complète. Si l’on ne s’intéresse qu’aux héros, on n’en connaît jamais que la moitié.

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Rédigé par Umeboshi
Rédactrice, Relectrice SEO, Community Manager, enfant prodige, passionnée d’univers gothiques, mangaphile, parle le japonais couramment, a rédigé une thèse de 80 pages sur JoJo’s Bizarre Adventure.
Notes
[1] Truffaut, François, Le Cinéma selon Hitchcock, Paris, Robert Laffont, 1966.
[2] Aristote, La Poétique, Texte, traduction et notes par Roselyne Dupont-Roc & Jean Lallot, Paris, Éditions du Seuil, 1980. (Chap. 6, 49b28, p. 53.)
[3] Lucas, George, Star Wars : Épisode III – La Revanche des Sith, États-Unis, Lucasfilm / 20th Century Fox, 2005. (citation d’Obi-Wan Kenobi)
[4] Michel Tournier, Le vol du vampire, Gallimard, 1983.
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